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LIEGEOIS ET BOURGUIGNONS
en 1408
ÉTUDE HISTORIQUE DE M. LE Dr H.-FM. ESTRUP
Conseiller d'É.at à Copenhague
D'APRÈS LES RAPPORTS DU LÉGAT ONUFRIUS
TRADUCTION OU DANOIS PUBLIÉE AVEC UNE INTRODUCTION
PAS
Stanislas BORMÂNS
D' en philosophie et lettres. Archiviste de l'État à Namur,
Membre de l'Académie royale de Relgique.
LIEGE
L. GRANDMONT-DONDERS, IMPRI.MKL'U-I.IHRAIIIK
rue Vinâve-d'Ue. 22
1881
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Pm.
SOCIÉTÉ
BIBLIOPHILES LIEGEOIS
PUBLICATION N° 24
Exemplaire de ]&** î-xaMIime*- Je'. L ftaw* 3t aoi<iAiûv«- . /aW
N° 5^2
/*" Le Secrétaire
LIÉGEOIS ET BOURGUIGNONS
en 1408
ETUDE HISTORIQUE DE M. LE D' H.-F'-J. ESTRUP, '
Conseiller d'État à Copenhague
D'APRÈS LES RAPPORTS DU LÉGAT ONUFRIUS
TRADUCTION OU DANOIS PUBLIÉE AVEC UNE INTRODUCTION
PAR
Stanislas BORMANS
D' en philosophie et lettres, Archiviste de TÉtat à Namur,
Membre de i'Acadé'mie royale de Belgique.
LIEGE
L. GKANDMONT-DONDERS, IMPRIMEUR-LIBRAIRE
rue Vinâve-d'Ile, 22
1881
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INTRODUCTION
Les quatre campagnes de Charles le Téméraire
contre les Liégeois en 1465, 1400, 1407 et 1408, la
prise de Dinant (1460) et celle de Liège (1408), sui-
vies l'une et l'autre de la destruction presque
complète de ces deux villes importantes, sont, sans
contredit, les épisodes les plus intéressants et les
plus douloureux des annales de notre antique
principauté, et comptent aussi parmi les faits les
plus mémorables de notre histoire nationale.
On ne doit donc pas s'étonner si les graves évé-
nements dont notre pays fut alors le théâtre, aient
fait immédiatement l'objet de plusieurs relations,
et soient devenus, dans la suite, le sujet d'un grand
nombre d'études historiques.
Je n'entre pas, à mon tour, dans la lice pour
tâcher de faire mieux que mes devanciers; bornant
mon ambition à un rôle plus modeste, je veux, à
propos de la publication d'un travail étranger qui
répand sur cette période une nouvelle et abondante
lumière, passer rapidement en revue les relations,
les chroniques, les mémoires et autres sources de
l'histoire de ces temps troublés.
Parmi les récits dus à des contemporains, ceux,
naturellement, auxquels on doit ajouter le plus de
foi, sont sortis de la plume des hommes qui, soit
qu'ils y aient pris une part active, soit qu'ils en
aient été simples spectateurs, virent par eux-mêmes
les faits qu'ils racontent. Quant à ceux qui ont
écrit d'après les renseignements dus à des témoins
oculaires, ils ne peuvent prétendre au même degré
d'exactitude, ni, par conséquent, au même degré
de confiance. Cependant leurs relations sont en-
core, et à juste titre, considérées comme des
documents importants, car nous devons supposer
vrais les souvenirs du narrateur et fidèle la trans-
cription de l'écrivain.
Dans l'énumération des historiens et des chroni-
queurs qui va suivre, j'observerai cette distinction
essentielle et je classerai, si je puis m'exprimer
ainsi, leurs oeuvres dans l'ordre de l'authenticité
qu'on doit leur attribuer, abstraction faite du mé-
rite qu'ils peuvent présenter par l'abondance de
leurs renseignements ou par leur forme littéraire,
sans m'inquiéter non plus de leur état social, et
même sans avoir égard à leur origine française,
bourguignonne ou liégeoise.
C'est en comparant ces divers auteurs — tout en
mettant de côté le point de vue où chacun d'eux
se place, ses tendances, ses préoccupations person-
nelles, ses sympathies, ses haines, — et en les
contrôlant ensuite avec les chartes et autres actes
VII
publics de l'époque, que l'on parviendra, non seu-
lement à connaître les hommes, les mœurs et les
faits dans leur plus rigoureuse vérité, mais encore
à saisir l'enchaînement des événements, leurs
causes et leurs résultats. Le tableau qui sortira de
cet examen a toute chance d'être aussi complet que
possible , d'abord par le grand nombre de peintres
qui en ont préparé les couleurs et par leurs na-
tionalités différentes, ensuite par la diversité de
leurs fonctions , de leur caractère et de leur
condition sociale : car, comme le dit M. Henrard,
à cette époque « tous ceux qui savent tenir une
plume veulent raconter ce qu'ils ont vu, ce qu'ils
ont ouï dire : hommes d'Etat et hommes d'Eglise,
hommes d'armes et bourgeois , évèque, moine,
clerc, capitaine et soldat, tous écrivent, tous nous
laissent des Mémoires (1). »
Philippe de Gommines (mort en 1509) n'avait
que 10 ans lorsqu'il fut attaché, en 1464, à la cour
de Charles le Téméraire. Il suivit son maître dans
toutes ses expéditions contre les Liégeois. Acheté
par Louis XI, il passa, en 1472, au service de ce
prince. Entre les années 1488 et 1493 il écrivit ses
Mémoires qui embrassent une partie des règnes
de Louis XI et de Charles VIII (2). Comme il ne
rapporte rien qu'il n'ait vu s'accomplir sous ses
(1) Appréciation du règne de Charles le Téméraire et des
projets conçus par ce prince dans V intérêt de la maison de
Bourgogne. Mémoire couronné par l'Académie, 1873.
(2) Michaui) et Poujoulat, Nouvelle collection de Mémoires
pour servir à l'histoire de France, lrc série, tome IV (1837). Les
VIII
yeux, son récit, dans lequel il n'omet aucun détail,
mérite toute confiance. De plus, ayant vécu dans
l'intimité des princes, et chargé souvent de mis-
sions importantes il connaît le fond des choses et
n'ignore aucun des rouages secrets de la politique ;
enfin, doué d'une grande science d'observation,
d'un esprit vif et pénétrant, profondément versé
dans la connaissance des hommes, instruit, prudent,
réfléchi, son récit est plein d'enseignement (i).
C'est un véritable historien.
Jean de Haynin (mort en 1495). Jean dit Bron-
gnart, sire de Haynin et de Louvignies, dans le
Hainaut, était vassal des ducs de Bourgogne, et, en
cette qualité, accompagna également Charles le
Téméraire dans toutes ses campagnes, de 1465 à
1477. Ainsi que le firent plusieurs hommes de
guerre de son temps, il inscrivait dans un journal,
sans aucune préoccupation littéraire, jour par jour
et presque heure par heure, les étapes, les sièges,
les batailles, les simples escarmouches ; il indique
la force des armées, désigne avec soin les capitaines,
fait connaître les pertes subies par les belligérants,
donne les noms des morts tombés dans la mêlée.
Mais ces détails minutieux ne sont pas racontés
expéditions de Charles contre les Liégeois occupent presque tout
le livre II (chapitres I à XIV, pages 28 à 50). M. Chantelouze
vient de publier, cette année même, une nouvelle édition des
Mémoires de Commines, que je n'ai pas encore vue.
(î) Il faut naturellement se méfier de son chauvinisme bour-
guignon, comme le remarque M. Dewez dans son Hist. de Liège,
t. II, p. 66, note 2.
IX
sèchement, au contraire ; on trouve dans son
récit des descriptions vives et animées, des anec-
dotes, des dialogues, voire même des discours. En
outre, il est au courant de ce qui passe dans les
hautes régions et ne se bat pas sans savoir pourquoi.
On conçoit combien l'œuvre d'un pareil témoin
doit présenter de garanties, notamment au point
de vue des dates.
La Société des bibliophiles de iVIons a publié les
Mémoires de messire Jean de Haynin (i), mais dans
un texte abrégé, tronqué et, par suite, rempli
d'erreurs. Une copie du véritable texte de Jean de
Haynin se trouve à la bibliothèque royale de La
Haye parmi les manuscrits Gérard (2). Malheureu-
sement la quatrième expédition de Charles contre
les Liégeois, en 1468, manque (3).
Olivier de la Marche (mort en 1502), devint à
douze ans page de Philippe le Bon, et resta toute sa
vie entièrement dévoué à la maison de Bourgogne ;
(1) Mons, 1842, 2 vol. in-8°, n° XI des publications de cette
Société.
(2) M. de Reiffenberg cite le ms. Gérard dans son édition de
VHist. des ducs de Bourgogne, t. VI, où il donne (pp. 412-455) des
extraits du texte abrégé des Mémoires du sire de Haynin relatifs
à la campagne de 1465. Cl', le Bulletin de la Société de Vhistoire
de France, t. II, p. 132, et le Compte-rendu des séances de la
comm. d'hist. de Belgique, lre série, t. I, pp. 73 et 120.
(3) Voyez le Compte-rendu de la Commission royale d'histoire,
3e série, tome IX, papes 444 à 447, où j'ai parlé de la copie de
Gérard et émis l'opinion que le quatrième voyage pourrait bien
se trouver dans le manuscrit n° 212 de la bibliothèque de sir
Thomas Phillips (Cf. ibidem, p. 240).
Charles le Téméraire le créa chevalier après la
bataille de Monthiéry. Lors des expéditions de
Liège, il faisait partie de l'entourage de ce prince
en qualité de capitaine de ses gardes. Il avait alors
environ 40 ans. Six ans plus tard, il écrivit des
Mémoires pour les années 1435 à 1489 (i), dans
lesquels il ne raconte aussi que ce qu'il a vu. Simple
et modeste, il n'a pas la prétention d'être un his-
torien, et quoiqu'il ait été plusieurs fois chargé de
missions à l'étranger, son horizon politique n'est
pas étendu. C'est plutôt un peintre. La cour l'oc-
cupe plus que l'armée , et il s'arrête bien plus
volontiers à parler de fêtes et à narrer des anec-
dotes qu'à décrire des batailles. Son style est fort
négligé. Il ne consacre aux affaires de Liège que
deux chapitres ; mais le caractère honnête et sin-
cère de l'auteur fait qu'ils peuvent être rangés au
nombre des sources les plus précieuses de l'époque.
On peut seulement lui reprocher d'estropier les
noms propres au point de les rendre quelquefois
méconnaissables (2).
Onufrius , évêque de Tricaria (mort en 1471).
Envoyé en 1468 à Liège comme légat du Saint-Siège,
(i) Michaud et Poujoulat, op. cit., lre série, tome III (1837). Ce
qui concerne Liège comprend en partie les chapitres 1 et 2 du
livre II, pages 513 à 518.
(2) Cf. Paquot, Mémoires pour servir à l'histoire littéraire des
dix-sept provinces des Pays-Bas, etc., t. XV, p. 305. Jean de la
Bouverie, dit le Ruyte, chevalier, bourgmestre de Liège en 1455
(voy. le Recueil héraldique des bourgmestres de Liège, p. 159, et
cfr. ibid., p. 175), était, suivant Jean de Haynin, cousin germain
d'Olivier de la Marche.
XI
ce prélat fut non seulement présent à tous les évé-
nements qui précédèrent immédiatement la prise
de la Cité, mais se trouva très activement mêlé aux
nombreuses négociations qui eurent lieu entre les
Liégeois et les Bourguignons en vue de conclure la
paix. Etant à Liège, il adressa au pape un rapport
très détaillé sur sa mission. Sa position officielle,
sa qualité de négociateur désintéressé, sa science,
son caractère, contribuent à faire de son récit un
document du plus haut intérêt. La présente pu-
blication ayant pour but de le faire connaître, j'en
parlerai plus loin avec de plus amples détails.
Un anonyme, qui vivait à Liège sous Louis de
Bourbon, a écrit l'histoire de la Cité de 1449 à 1408.
Il atteste plusieurs fois qu'il a vu les faits qu'il rap-
porte. Cette importante chronique n'est pas pu-
bliée (i). Selon Fisen, l'historien Brusthem l'a
copiée presque mot pour mot dans ses Annales, qui
sont également inédites.
Lettres de maître Antoine de Loisey, bourgui-
gnon, licencié ès-lois, au président de Bourgogne,
(i) Le manuscrit se trouve chez M. X. de Theux, à Bruxelles,
qui en a parlé dans ses Nouveaux mélanges de Villenfagne,
pp. 149-150. J'ai signalé quelques autres manuscrits relatifs à
Louis de Bourbon et à son époque, dans les Bull, de la Conim.
d'histoire, 3e série, t. IX, p. 4(32 ; mais je n'en connais pas les au-
teurs, et le temps m'a manqué pour me rendre compte de leur
valeur. Une curieuse chronique de Georges Munterus, curé de
Curange, qui embrassait la même époque, est presqu'entièrement
perdue. Il ne reste plus, à l'abbaye d'Averbode, en Brabant, que
le second des trois volumes qu'elle comprenait (Voy. ibid., Ve
série, I, U ; VIII, 425).
XII
et de Jean de Marsilles, échanson du duc de Bour-
gogne, à sa sœur, à Dijon, toutes deux datées de
Liège, l'une du 3 novembre, l'autre du 8 novembre
1468. La première ne relate que le sac de la ville,
l'autre débute par la prise de Tongres (î). Six autres
lettres, en flamand, écrites de Liège entre le 28 oc-
tobre et le 24 novembre 1467, par Louis van den
Piyne, Jean van Halewyn et Jean de Guupere à des
parents ou à des amis, à Ypres. Tous ces person-
nages servaient dans l'armée de Charles de Bour-
gogne (2). Emanant d'hommes qui prenaient part
aux événements et qui, payant de leur personne,
se trouvaient au premier rang pour bien voir, ces
documents présentent toutes les garanties de
certitude et de précision attachées aux correspon-
dances privées.
Adrien du Vieux-Bois (mort vers 1484), ainsi
nommé d'après son lieu de naissance, Oudenbosch,
dans le Brabant septentrional, ou à Oudenbosch
en Flandre, près de Lokeren, était moine dans
l'abbaye de Saint-Laurent, près de Liège. A partir
de l'année 1449, il prit l'habitude de consigner, jour
par jour, ce qui se passait dans la principauté et
particulièrement à Liège. Plus tard (vers l'an 1469?),
il donna aux notes de ce Diarium la forme d'une
chronique, tout en respectant scrupuleusement
l'ordre des dates. Martène et Durand ont publié
(1) Imprimées en partie par M. Gachard dans le Compte-rendu
des séances de la Comm. d'hist., lre série, t. III, pp. 20 à 34.
(2) Imprimées par M. J. Diegerick dans le Bulletin de la
Société scientifique et littéraire du Limbourg, t. V, pp. 357 à 371.
XIII
cette œuvre sous ce titre : Rerum leodiensium sub
Joanne Heinsbergio et Ludovico Borbonio episcopis,
opus Adriani de Veteri-Busco (i), 1429 à 1483. La
première partie de cette chronique, jusqu'à l'année
1449, est empruntée à Jean de Stavelot ; mais à
partir de là, Adrien marche seul. Il rapporte un
grand nombre de faits qui se sont accomplis sous
ses yeux. Appelé souvent, par la nature de ses
fonctions, à figurer dans les solennités religieuses,
il les décrit dans leurs moindres détails, en ayant
soin de dire qu'il y assistait. Ce qu'il n'a pas vu lui-
même, il le tient de personnes bien informées avec
lesquelles sa position le mettait en relation. Il
nous prévient à plusieurs reprises qu'il doit les
renseignements relatifs à la dernière guerre de
Charles contre les Liégeois au fameux Gui de
Brimeux, qui y joua un si grand rôle (2).
Avant tout, il se préoccupe d'être complet et
exact, sans songer à faire une œuvre littéraire.
Comme il annote les moindres faits, son récit est
rempli de menus mais curieux détails. C'est une
des sources les plus sûres que nous ayons pour la
seconde moitié du quinzième siècle.
(1) Amplissima collectio, tome IV, col. 1201 à 1378. Martène et
Durand ont donné en note quelques fragments du Diarium qui
leur ont paru présenter de l'intérêt pour l'histoire. Ce qui con-
cerne les guerres de Charles de Bourgogne occupe les colonnes
1264 à 1346.
(2)Voy. Amplissima collectio, col. 1335, 1338. M. X. de Theux
possède une traduction de la chronique d'Adrien avec des notes
de M. Devaux, doyen de St-Pierre, à Liège, à la fin du dernier
siècle.
XIV
Thomas Basin (mort en 1491), a été, jusqu'en
1854, confondu, par tous les historiens, liégeois et
autres, avec le prêtre liégeois Amelgard. Il fit ses
études à Paris et ù Louvain. Homme très savant et
très habile, Basin, après avoir été professeur de
droit canon à Caen, devint membre du Conseil
privé de Charles VII, auquel il rendit de grands ser-
vices par ses légations. Devenu évoque de Lisieux,
en Normandie, il révisa le procès de Jeanne d'Arc et
joua un grand rôle dans des affaires très impor-
tantes. C'est lui qui sacra évoque Louis de Bourbon,
à Huy, le 1:3 juillet 146G. Ayant encouru la haine de
Louis XI, il fut obligé de s'exiler et mourut, à l'âge
de 79 ans, chez son ami David, bâtard de Bour-
gogne, évêque d'Utrecht. C'est là qu'il écrivit en
latin l'Histoire des règnes de Charles VII et de
Louis XI, de 1407 à 1483 (î), dans laquelle on
trouve une relation assez étendue des guerres des
Liégeois avec les ducs de Bourgogne (2). L'auteur
déclare avoir vu une grande partie des choses qu'il
raconte, et ce qu'il n'a pas vu, dit-il, il l'a tiré d'au-
teurs dont on ne saurait mettre la véracité en
doute. C'est surtout à partir de l'année 1419 que
son récit prend l'intérêt d'un témoignage direct,
(1) Publiée pour la première fois en entier par J. Quicherat,
Paris, 1854, 4 vol. in-S°.
(2) Cette relation occupe, dans le livre II, les chapitres vin,
ix, xvi à xvni et xxii à xxv (Quicherat, t. I, pp. 129 et suiv.,
105 et suiv., 191 et suiv.). Martène et Durand l'ont publiée, sous
lo nom d'Amelgard, dans leur Amjrtiss. coll., t. IV, col. 741 et
suiv., en y comprenant la mort de Louis de Bourbon, en 1483, et
les événements dont Maestricht Ait alors le théâtre.
XV
oculaire et animé. « Cependant., dit M. Quicherat,
ce n'est pas un témoin auquel on doive s'abandon-
ner. Ses écrits historiques le placent derrière
Philippe de Gommines et derrière Georges Chaste-
lain, au-dessus de ces chroniqueurs par le senti-
ment, au-dessous d'eux pour la sûreté de l'infor-
mation. »
Jacques Piccolomini (1) (mort en 1479), cardi-
nal de Pavie, homme très savant, écrivit en plusieurs
livres, des Rerum suo tempore geslarum commen-
tarii, contenant le récit des événements qui se
passèrent en Europe pendant les années 1464 à
1469 (2). La relation de la prise de Liège figure dans
le livre IV ; elle a été reproduite par Chapeau-
ville en 1616 (3), par Struvius en 1717 (4), et par de
Ram en 1844 (5). Elle est très courte, mais présente
(1) Son véritable nom était Ammanati. Ce fut le pape Pie II,
son protecteur, qui, par une espèce d'adoption, lui fit prendre son
propre nom de famille. Voy. Namèche, Cours cThist. nation., VII,
564.
(2) Imprimés à Milan en 1506, puis à Francfort, en 1614, avec
les Commentaires d'yEneas Sylvius.
(3) Gesta pontificum leodiensium, tome III, pages 175 à 185,
sous ce titre : De Caroli Burgundi expeditione contra Leodienses
etcivitatis deprœdatione, etc.
(4) Rerum Germanicarum scriptores varii de bibliotheca
Freheri, Argentorati, tome II, pages 271 et suiv., sous ce titre :
De Leodiensium dissidio cum episcopo suo Ludovico Borbonio et
de Leodii civitatis excidio.
(5) Documents relatifs aux troubles du pays de Liège sous les
princes-évêques Jean de Rome et Louis de Bourbon, Bruxelles,
1844, in-4°, pages 371 à 382, sous ce titre : De expugnatione leo-
diensi.
XVI
un intérêt particulier en ce qu'elle met, avec auto-
rité, le public au courant des relations du Saint-
Siège avec tous les partis. Quant auxfaits eux-mêmes,
on s'aperçoit aisément que l'auteur en a puisé une
bonne partie clans les Rapports du légat Onufrius (1).
Angélus de Gurribus Sabinis (mort entre 1471
et 1500), était un poète renommé de Viterbe. Onu-
frius s'étant décidé à présenter au pape Paul II un
mémoire justificatif de sa conduite, lui demanda
de faire son apologie (2). Ange y consentit et écrivit,
sous l'inspiration du légat, un véritable poème
épique en six livres, comprenant près de six mille
vers alexandrins, que Martène et Durand publièrent
sous le titre de Angeli de Curribus Sabinis, poetœ
laureati, de excidio civitalis Leodiensis libri sex (3).
Nous raconterons plus loin les péripéties qu'a
(1) Voyez Bouille, Hist. de Liège, t. II, p. 163. Piccolomini
considère ces événements comme une leçon pour le St-Siége. Il
en donne le récit « quo nostris pontificibus esse documento
possit quantum sseculi principibus oporteat credi quantumque
adhiberi curse conveniat ne iis pastores plebibus dentur quorum
vel setate vel ambitione offeratur. »
(2) « Accivit ex omni Italia doctissimum poetam Angelum
Viterbiensem, qui heroïco carminé rem omnem ab egressu
urbis luculenter perscriberet. » (Herbenus, dans de Ram,
op. cit., p. 361).
(3) Amplissima collectio, tome IV, col. 1380 à 1500, d'après un
manuscrit du baron de Crassier. M. de Villenfagne, dans ses
Mélanges historiques et littéraires, Liège, 1810, pp. 338 à 379, en
a donné une mauvaise analyse que M. de Ram a reproduite clans
ses Documents, etc., pp. 235 à 260. Ce dernier eut fait cbose plus
utile en publiant une traduction complète de ce poëme qui, en
bien des endroits, est d'une intelligence difficile.
XVII
subies ce poème. Au même titre que les Rapports
du légat, avec lesquels, du reste, il se rencontre et
se confond, pour ainsi dire, en bien des endroits,
ce poëme est pour nous du plus haut intérêt. 11
l'est même pour les faits étrangers à l'histoire de
Liège, notamment pour ceux du règne de Charles
le Téméraire. Malheureusement, l'intervention du
merveilleux, qu'il emprunte au paganisme, les longs
discours et les longues descriptions poétiques en
rendent la lecture fatigante (i).
Matthias Herbenus (mort vers 1505 ?), éco-
làtre de Saint-Servais, à Maestricht, fut attaché à
la personne d'Onufrius après le retour du légat à
Rome, et devint le collaborateur du poëte de Vi-
terbe (2). C'était un homme très instruit (3). Comme
nous le verrons plus loin, c'est grâce à lui que
l'œuvre d'Ange est arrivée jusqu'à nous. Il com-
posa en vers un argument pour chacun des six
livres du poëme, et en fit faire plusieurs copies
qu'il adressa à différents personnages, entre autres
à Henri de Rerghes, évoque de Cambrai (1480-1502).
(i) Le manuscrit n° 1675 de la bibliothèque du Vatican contient,
au folio 173, les Leodinœ historiœ d'Ange de Viterbe (Voyez les
Bulletins de la Commission royale d'histoire, 2e série, tome X,
p. 30).
(2) «Usus est autem vicissim mea opéra in hoc labore legatus »
(Herbenus dans de Ram, Documents, etc., p. 361. Cf. ibidem, in-
troduction, p. XVI.
(3) Il composa, en vers latins, une histoire des miracles de St
Servais, et un traité De origine rebusque gestis Trajectensinm
ad Mosam, qui sont restés inédits. Cf. Foppens, Bibliotheca bel-
gica, p. 867.
XVI II
En tète ligure une épitre dédicatoire dans laquelle il
raconte brièvement le sac de Liège; elle est surtout
précieuse à cause des renseignements qu'il nous
donne sur la personne du légat. M. de Ram l'a pu-
bliée sous ce titre : Epistola dedicatoria quœ poe-
mati de vasiationc leodiensi in codice cameracensi
prœflgitur (1).
Jean Peecks (mort en 1516), est connu sous le
nom de Jean de Looz parce qu'il était né dans cette
petite ville. Il avait onze ans lorsque survinrent les
événements de 1408. Il passa huit mois à Liège, en
1466, et y revint un instant l'année suivante. En
1477, il se fit moine à l'abbaye de Saint-Laurent,
dont il fut nommé abbé en 1508. Etant simple
moine, il avait fait l'histoire de son monastère.
Mais plus tard, il remania son travail qui devint
une histoire très étendue et très détaillée des évé-
nements dont le Brabant et le pays de Liège en
particulier avaient été le théâtre pendant sa vie.
M. de Ram a publié son œuvre sous ce titre :
Joannis de Los, abbatis Sancti Laurentii prope Leo-
dium, chronicon rerum gestarum ab anno 1455 ad
annum 1514 (2). Peecks ne nous dit pas où il puisait
(1) Documents, etc., pages 356 à 362. Une autre copie était
dédiée à Lambert d'Oupée,trélbncier de St- Lambert (1503 à 1515),
chanoine de St-Servais à Maestricbt, chancelier de l'évêque de
Liège, secrétaire du cardinal Julien de Caesarinis et commensal
d'Alexandre VI (Cf. de Theux, le Chapitre de St-Lambert à
Liège, t. III, p. 5). Voyez le Bulletin du bibliophile belge, t. I.
p. 265.
(2) Documents, etc., p. 3 à 132. Ce qui concerne les expéditions
de Charles de Bourgogne contre les Liégeois occupe les pages
XIX
ses renseignements, mais ce qui est certain, c'est
qu'ils proviennent de bonne source. Sa haute po-
sition le mettait à même d'être bien informé. On
voit qu'il ne négligea rien pour cela, car sa grande
préoccupation est d'être exact pour les dates et les
noms propres, et complet dans les plus minimes
détails. Son exposition est claire et méthodique, sa
chronologie sûre, ses renseignements sont certains.
Sa chronique est, après celle d'Adrien du Vieux-
Bois, la meilleure et la plus riche que nous possé-
dions pour cette époque.
Henri Van der Heyden ou de Merica (mort en
1479). était prieur du couvent de Bethléem, près de
Louvain ; il avait 48 ans en 1468. Immédiatement
après le sac de Liège, plusieurs membres du clergé
liégeois vinrent se réfugier dans son monastère.
« Louvain, dit M. de Ram (i), devint, en quelque
sorte, le refuge de tous ceux qui restèrent fidèles à
la cause de Louis de Bourbon. » On lui demanda
de recueillir tout ce qu'il entendait raconter sur ce
fait et d'en composer une relation ; c'est ainsi qu'il
écrivit sa Comjiendiosa hisioria de cladibus Leo-
diensium, qui a été publiée par M. de Ram (2).
Comme il tenait ses renseignements de témoins
oculaires, son œuvre est originale, véridique, et
22 à 63. Cf. ibidem, introduction, p. ni. Jean Peecks s'occupait
aussi de peinture. Voy. Helbig, Histoire de la peinture aie pays
de Liège, p. 77. Cf. de Theux, Nouveaux mélanges de Vi/len-
fagne, p. 146.
(1) Documents, etc., introduction, p. xi.
(2) Documents, etc., p. 135 à 183.
XX
contient çà et là quelques faits qui ont échappé aux
autres chroniqueurs. Malheureusement, Van der
Heyden a plutôt voulu faire œuvre de style
qu'oeuvre d'histoire ; il néglige les dates, sacrifie
la pensée à la phrase et s'adonne à la déclamation.
C'est une amplification de rhétorique.
Theodoricus Pauli ou Franconis (mort vers
1490 ?), vice-doyen du chapitre de Saint-Martin à
Gorcum, avait 52 ans lors du sac de Liège en 1468.
Il avait la manie d'écrire (i). Ayant eu l'occasion de
voir un garde du corps de Charles le Téméraire,
nommé Jacques Deyn, qui avait accompagné ce
prince dans toutes ses expéditions contre les Lié-
geois,il se les fit raconter (2) et en composa un récit
que M. de llam a publié sous ce titre : Historia de cla-
dibus Leodiensium, 1465-1408 (3). S'il s'était borné à
nous soumettre ce que lui racontait Jacques Deyn,
il eut fait un travail utile. Mais nous ne pouvons
admettre que l'homme d'armes ait retenu avec une
telle précision les noms, les faits et les dates, et il
n'est pas douteux que Pauli, donnant carrière à son
imagination, n'ait ajouté à son récit une foule de
particularités de son cru. Il nous présente les faits
(1) Il a écrit une Histoire universelle. Voy. de Ram, Documents,
etc., introduction, p. xv.
(2) « Hue usque certificatum est ab honesto viro Jacobo Deyn...
qui omnia praedicta fere vidit et semper in omnibus prsesens fuit;
et is Tbeodorico Pauli alias Franconis, canonico in Gorchein,
petitione aliquorum honestorum, sub omni fide enarravit. « {Ibich,
p. 231).
(3) Documents, etc., p. 185 à 232.
XXI
tels qu'il lui semble qu'ils ont dû se passer. Par ses
phrases inutiles, ses répétitions, ses détails oiseux,
on voit qu'il se préoccupait beaucoup plus de sa
réputation littéraire que de sa responsabilité d'his-
torien. Son Historia ne nous inspire aucune con-
fiance.
Georges Chastelain (mort en 1475), dit YAcl-
ventureux, entra tout jeune au service de Philippe
le Bon et, jusqu'à l'âge de 32 ans, combattit sous
sa bannière. De 1435 à 1445 il habita la France, où
il fréquenta la cour. Il revint ensuite auprès de son
maître, qui l'honora de sa confiance et le chargea
souvent de missions importantes. Il avait 51 ans
lorsque, en 1454, il quitta le service militaire pour
se retirer à Valenciennes, avec le titre de chroni-
queur de la maison de Bourgogne. C'est là qu'il
écrivit ses Mémoires, embrassant les années 1419 à
1470, et qui jouissent, à juste titre, d'une grande
autorité. Loyal, impartial, zélé pour la vérité jus-
qu'à l'imprudence, Chastelain est, en outre, dignecle
toute confiance parce qu'il avait été lui-même té-
moin d'un grand nombre de faits et qu'il tient les
autres des principaux personnages de son temps
avec lesquels il était en relation, ou les appuie sur
des documents officiels qui lui ont été communi-
qués. Avec une grande expérience des hommes et
des choses, il envisage les faits de haut et tâche de
faire voir leur enchaînement. A côté de cela, il ne
néglige pas les détails et a soin d'indiquer les
dates et les noms propres. En un mot, ce n'est pas
une chronique, mais une histoire. Malheureuse-
XXII
ment, son ouvrage est perdu en partie, et, pour ce
qui regarde Liège, les faits des années 1466 et 1468,
manquent presque complètement (1).
Jacques du Clercq (mort après 1467), écuyer,
licencié en droit, était conseiller et avocat de Phi-
lippe le Bon. En 1448, n'étant encore âgé que de
28 ans, il se fixa à Arras, sa ville natale, et com-
mença à écrire les événements de son temps, en
compilant les chroniques contemporaines. Cepen-
dant, il y ajoute assez fréquemment des renseigne-
ments inédits qu'il devait à ses relations person-
nelles. Il déclare, du reste, qu'il s'est enquis du
mieux qu'il a pu. Son récit, en eiîet, abonde en
détails intéressants et on peut se fier à son exacti-
tude. Mais s'il est de bonne foi, simple, franc,
véridique, il est froid et décoloré. Ses Mémoires
embrassent les années 1448 à!467, car ils s'arrêtent
à la mort de Philippe le Bon (2).
Jean de Troyes (mort après 1483), greffier de
l'hôtel de ville de Paris, avait 35 ans lorsqu'il se
mit à écrire, sous forme de journal, les Choses
advenuesau royaulmede France etaultres royaulmes
(1) Edition de M. le baron Kervyn de Lettenhove, Bruxelles,
1863. Ce qui concerne Liège n'occupe que quelques chapitres de
la lre partie du livre VII ; t. V, pp. 307, 315, 319 à 360.
(2) Ses Mémoires ont été publiés par M. le baron de Reiffen-
berg, Bruxelles, 1835. Ce qui concerne Liège se trouve dans le
livre V, chapitres 45, 47, 51, 54, 56 à 64. M. Polain cite Jean du
Clercq et, en même temps, Monstrelet, qui mourut en 1453.
Matthieu de Coucy, continuateur de Monstrelet, s'arrête lui-
même en 1461. (Voy. Buchon, Coll., XXXV, XXXVI). M. du
Fresne de Beaucourt a donné une édition de Coucv en 1863.
XXIII
voisins, ainsi qu'il a pu s'en souvenir. Son œuvre,
publiée sous le titre de Chronique de Louis XI de
Valois ou de Chronique scandaleuse, embrasse les
années 1460 à 1483 (1). L'auteur est un bon bour-
geois, peu initié à la politique, et qui expose
naïvement, en gros et sans malice, les événements
de son temps, sans les juger, sans s'inquiéter de
rechercher le pourquoi et le comment des choses.
« L'intérêt de ses Mémoires consiste bien moins
dans les faits politiques que dans la peinture des
mœurs contemporaines et le récit de curieuses
anecdotes (2). » Il dit peu de chose des expéditions
contre les Liégeois, mais ce peu est à noter comme
un écho de l'opinion publique en France.
Robert Gaguin (mort en 1501), ministre général
de l'ordre des Trinitaires en France, était un homme
d'une grande science. Louis XI, Charles VIII et
Louis XII lui confièrent tour à tour plusieurs mis-
sions importantes à l'étranger. Chargé de la garde
de la Bibliothèque royale de Paris, il acheta un
grand nombre de manuscrits précieux (3), ce qui
le mit à même d'être bien renseigné. Aussi ses
Annales ou Compendium super origine et gestis
Francorum a Pharamundo usque ad annum 1491,
furent-ils estimés ; ils eurent vingt-deux éditions
(1) Cette chronique a eu seize éditions. La plus récente se trouve
clans la Nouvelle collection des mémoires de Michaud et Poujou-
lat, lre série, t. IV, pp. 241 à 351. Ce qui concerne Liège se trouve
aux pages 271, 276, 277, 281, 283, 288, 289.
(2) Ibidem, p. 243.
(3) 11 cite des volumes d'Origène provenant de Dinant.
XXIV
et huit traductions dans le courant du seizième
siècle, mais n'ont plus été imprimés depuis. C'est
une œuvre originale pour ce qui regarde la seconde
moitié du quinzième siècle, et quoique ce qu'il dit
des expéditions contre les Liégeois ne soit guère
important, encore faut-il en tenir compte (i).
Adrien de But ou de Saeftinghe (mort en 1488),
prieur, puis portier de l'abbaye des Dunes, écrivit
vers l'an 1480 un Supplementum chronici magistri
JEgiclii cl Roya et Bartholomœi de Beca, religioso-
rum Dunensium, de 1463 à 1468, avec lacunes, que
M. de Ram a publié (2). Il parle des démêlés des Lié-
geois avec le duc de Bourgogne en 1465 et 1466 ;
mais ce ne sont que des fragments ; il y rapporte
notamment quelques poésies touchant la destruc-
tion de Dinant(3).
(1) Ces expéditions se trouvent dans le livre X, drap. VII à XI,
p. 253, 255 et 259 de l'édit. de Francfort, 1577.
(2) Documents, etc., pp. 362 à 371.
(3) Je ne cite que pour mémoire d'autres poésies contempo-
raines, françaises et latines, relatives à la destruction de Dinant
et de Liège : Bartholomœi Leodiensis carmen de guerra leodina
et de direptione urbis dionantensis (dans de Ram, 1. c, pp. 261-
290) ; La correction des Liégeois (ibid., pp. 291-304) ; La com-
plainte de la Cité de Liège (ibid., pp. 325, 334) ; La complainte
de Dinant (ibid., pp. 335-345). Ce ne sont que des dythirambes en
l'honneur des ducs de Bourgogne, et qui n'apprennent rien pour
l'histoire. — Notons en passant que M. de Rama eu tort, selon
nous, de faire figurer dans son recueil des pièces concernant la
bataille d'Othée, en 1408 (ibid., pp. 304-325). — On peut en dire
autant d'une Epistola incerti auctoris de Caroli Burgundiœ
ducis laudibus et victoriis, necnon Leodiensium clade et excidio
a. 1468,qui se trouve dans Freher, Script, rerum German, éd.
Struve, t. II, p. 278.
XXV
Paul Emile ou Paolo Emilio (mort en 1529),
était un italien qui se lixa en France sous Charles
VIII, et devint chanoine de Vérone et de Paris. Il
portait le titre de chroniqueur du roi, et fut chargé
d'écrire l'histoire de France « dans le style de
l'antiquité. » Son livre De rébus gestis Francorum
usque ad annum 1488 libri deeem a été souvent
imprimé à Paris, de même qu'une traduction, dans
les seizième et dix-septième siècles. Il cite Phi-
lippe de Gommines dans sa relation des expéditions
contre les Liégeois (i).
Nauclerus (mort vers 1510) est un surnom donné
à Jean, chevalier de Vergen, prévôt de l'église de
Tubingue, puis chancelier de l'université de cette
ville. Il a écrit un précieux Chronicon universelle ou
Memorabilium omnis œtatis et omnium gentium
chronicon commentarii, qui s'arrête à l'an 1500. On
v trouve une courte relation du sac de Liège qui
semble rédigée d'après des rapports verbaux.
Cependant il l'ait mention de Robert Gaguin (2).
Tritheim (mort en 1510), peut être considéré
comme le dernier historien contemporain des
expéditions de Charles contre les Liégeois, car il
naquit en 1462 à Trithenheim (d'où son nom), près
de Trêves ; il était fils du chevalier Jean Heiden-
berg. Ce savant homme devint abbé du monastère
(1) Ce qui concerne Liège occupe les pages 485 à 488 de l'édition
de Paris, 1548.
(2) Qeneratio XLIX, pp. 491 à 493 du tome II do redit, de Co-
logne, 1564.
XXVI
de Spanlieim, puis de celai de St-Jacques à Wurz-
bourg. Il écrivit beaucoup d'ouvrages, entre autres
sonimportant Chronicon Hirsaug iense ou Annalium
Hirsaug iensium tomi duo, compleclentes historiam
Franciœ et Germaniœ, g esta imperatorum , etc.,
embrassant les années 830 à 1514. Il est sincère
mais crédule, et manque de critique. Il fit, en 1495,
la connaissance de Matthias Herbenus, à Spanheim,
et c'est probablement de lui qu'il tenait les détails
qu'il donne sur la prise de Liège en 1468 (t).
Telles sont les chroniques, relations, etc., dues
à des écrivains contemporains, qui traitent, ex
professo ou incidemment, de la lutte des Liégeois
contre la maison de Bourgogne (2). Elles sont nom-
breuses, et si l'on y ajoute un genre de documents
plus authentique encore, à savoir les chartes, les
traités et autres actes publics (3), on conviendra
(1) Joannis Trithemii... annales Hirsaugienses, Monasterii
S. Galli, 1690, tome II, pp. 459 à 467.
(2) Je n'ai pas fait mention du Chronicon magnum Belgicum,
qui s'arrête à l'année 1474, parce qu'il n'est qu'une compilation
de sources connues (Voy. Potthast, Bibl. hist. medii cevi, p. 207).
(3) En voici une brève énumération : 1° Soixante dix-neuf
lettres et autres documents relatifs aux expéditions de Charles
contre Dinant et Liège, du 16 juil. 1465 au 2 mai 1468 (Gachard,
Docum. inédits, etc., t. II, pp. 197 à 498. Cf. Idem, Analectes, etc.,
pp. 7 à 14).
2° Soixante et onze lettres, etc., du 1er mai 1465 au 17 sep.
1466 (S. Bormans, Cartulaire de Dinant, t. II, pp. 87 à 297).
3° Vingt-six lettres, bulles, traités, etc., du 29 oct. 1461 au 21
oct. 1469 (de Ram, Documents, pp. 484 à 597).
XXVII
qu'il est peu d'épisodes de nos annales sur lesquels
nous possédions autant de sources diverses. Aussi,
depuis le seizième siècle jusqu'à nos jours, les
écrivains n'ont-ils pas manqué pour exploiter cette
mine féconde. On en jugera par la liste sommaire
des principaux d'entre eux que je fais suivre ici, et
dans laquelle ils sont rangés suivant l'ordre des
temps où ils ont vécu :
Jacques Meyer (né en 1491), Commentarii sive Annales
rerum Flandricarum libri 17. Anvers, 1561, loi. 337 v° à 347
passim.
Guillaume Paradin (né vers 1510), Les Annales de Bourg ogne,
de 378 à 1482. Lyon, 1566, pp. 936 à 938 (1).
4" Vingt et une lettres, mandements, etc., du duc Charles, du
27 juil. 1467 au 30 oct. 1468 (Gachard, Doc. inéd., t. I, pp. 154 à
168, 178 à 192, 196 à 201).
5° Quatorze traités,etc , du 22 avril 1465 au 16 mars 1468 (Bon-
mans, Recueil des ordonnances de la principauté de Liège, lre
série, pp. 586 à 615).
6° Quatre lettres de la ville de Liège à Louis XI, etc., du 15
juil. au 19 août 1467 (M. Gachard, dans les Bulletins de la com-
mission royale d'histoire, 2e série, t. VIII, pp. 98 à 103).
7° Liste des objets enlevés de Liège en 1468 par les soldats de
Charles le Téméraire, publiée par S. Bormans, dans les Bull, de
VInstitut archéol. liégeois, t. VIII, pp. 181 à 207.
8° Analyses de vingt chartes, du 8 oct. 1464 au 10 sept. 1469
(Schoonbroodt, Inventaire des chartes du chapitre de St-Lam-
bert, à Liège, pp. 329 à 343).
9° Analyses de huit documents, du 9 sept. 1466 au 21 oct. 1469,
dans de Barante, Hist. des ducs de Bourgogne, édit. de M. Ga-
chard, t. II, p. 726.
(i) M. le baron Adrien Wittert a cité un curieux passage de ce livre dans
Le» preux et la gravure à Liège en 1444, p. 2o. Paradin paraît avoir visité
Liège qu'il compare une fois à Lyon, une autre fois à Rouen.
XXYIII
Suffridus Pétri (i) (né en 1527), Gesta pontificum Leodiens.
a Joanne de Bavaria usque ad Erardum a Marcha (1390 à 1505),
dans Chapeaville, Gesta pontif. leod., t. III, pp. 14 à 190.
Pontus Heuterus (né en 1535), Rerum Burgundicarum libri
sex. La Haye, 1639, livre V, chap. III et IV, édit. de Louvain,
1649, pp. 126 à 130 (2).
Brusthem (mort en 1549), chronique liégeoise en latin, s'anv-
tant à l'année 1544. Inédite (Cf. ci-dessus Anonyme, p. xi, et
voy. de Theux, Nouveaux mélanges de Villenfagne, pp. 146 à 149).
Fisen (mort en 1649), Historiarum ecclesiœ leodiensis partes
duœ, Liège, 1696, 2e partie, pp. 233 à 277.
Mélart, L'histoire de la ville et ehasteau de Huy, 1641, pp. 24G
à 268.
Foullon (mort en 1669), Historia leodiensis, etc., Liège,
1735, t. II, pp. 64 à 140.
(Abry), Recueil héraldique des bourgmestres de la noble Cité
de Liège, 1720, pp. 165 à 182, passim. (3).
Bouille, Histoire de la ville et pays de Liège, 1725, t. II, pp.
74 à 163.
Duclos ou Charles Pineau (mort en 1772), Histoire de Louis
XI. La Haye, 1745, t. I, pp. 379, 381 à 397.
Jaeger, Geschichte Caris des Riihnen. Nur., 1797.
Dewez, Histoire du pays de Liège, 1822, t. II, pp. 21 à 75.
Villenfagne, Recherches sur V histoire de la ci-devant princi-
pauté de Liège, 1817, t. II, pp. 60 à 62.
De Barante, Histoire des ducs de Bourgogne, 1824, tome II,
[i) Cet auteur, qui s'appelait Sjurd Peeters, n'a fait que traduire Philippe
de Commincs (Voy. NÈVE, Relations de Suffridus Pétri avec tuniversitè de
Louvain, Louvain, 1848).
(2) Dans son livre VI, Heuterus dit qu'Arnold de Wachtendonck l'a aidé
dans ses recherches. Ce savant liégeois, mort en 1605, avait, paraît-il , étudié
d'une manière toute particulière lesévènements du règne de Louis de Bourbon.
Son frère Herman avait composé un Supplément à la vie de ce prince —
imprimé ou manuscrit, je ne sais, — qui est cité par M. de Gerlache, p. 279
de son Histoire, mais que je n'ai jamais rencontré.
(5) Je crois avoir prouvé qu'Abry est le véritable auteur de ce livre, attribué
jusqu'à ce moment au jurisconsulte Lovons (Voy. Le Bibliophile helge, t. II,
1867, p. 270).
XXIX
pp. 253 à 325 passim, de l'édit. de M. Gachard. (Cf. de Gerlache, p.
248, note.)
B(ov)y, Promenades historiques clans le pays de Liège, 1838,
t, I, pp. 13 à 32.
Polaln, Histoire de V ancien pays de Liège, 1844, t. II, pp. 296
à 388.
Freeman, Charles the Bold, dans les Select historical Essays,
1850.
A. Borgnet, Sac de Binant par Charles le Téméraire, 1853,
dans les Annales de la Soc. archéol. de Namur, t. III, pp. 1 à 92,
avec documents.
De Gerlache, Histoire de Liège, 1859, t. IV des Œuvres com-
plètes, pp. 212 à 300 (1).
Ed. Garnier, Louis de Bourbon, évêque-prince de Liège,
Paris, 1860, in-8°.
John Foster Kirck, Histoire de Charles le Téméraire, duc
de Bourgogne. Trad. de l'anglais par Ch. Flor O'Squarr, 1866,
3 volumes.
Polain, Liège et Bourgogne ou les six cents Franchimontois,
dans les Récits histor. de Vanc.pays de Liège, 1866, pp. 243 à 265.
A.-J. Namèche, Cours d'histoire nationale, t. VII, 1867, pp.
456 à 578 passim.
P. Henrard, Les campagnes de Charles le Téméraire contre
les Liégeois, dans le Bull, de VAcad. d 'archéol. de Belg., 2e série,
t, XIII, 1867, pp. 581 à 678.
Henaux, Histoire du pays de Liège, 1875, t. II, pp. 77 à 182.
P. Fredericq, Essai sur le rôle politique et social des ducs de
Bourgogne dans les Pays-Bas, 1875, pp. 17, 20, 21.
Baron Jules de Chestret de Haneffe, Jean de Wilde, étude
sur un chef liégeois du XVe siècle, dans le Bull, de l'Institut
archéol. liég., t. XIII, 1877, pp. 1 et suiv.
Malgré le grand nombre de ces écrits, tout n'est
pas dit encore sur le terrible conflit qui amena, en
1468, la destruction de Liège. La monographie de
M. Borgnet sur le sac de Dinant, et l'étude de
(i) M. de Gerlache avait, antérieurement, publié une étude intitulée :
Révolutions de Liège sous Louis de Bourbon, Bruxelles, 1831, in-8n.
XXX
M. Henrard sur l'ensemble des campagnes de
Charles le Téméraire contre les Liégeois, sont les
travaux les plus complets et les plus approfondis
qui aient paru jusqu'à présent sur les événements
qui nous occupent. Mais leurs auteurs n'ont pu
consulter toutes les sources, dont quelques-unes
leur étaient difficilement accessibles, d'autres com-
plètement inconnues. Une des plus importantes
parmi les premières est, sans contredit, la relation
de l'évêque de Tricaria, Onufrius, dont nous pu-
blions aujourd'hui la substance. Mais voyons d'a-
bord ce que les écrivains nous apprennent sur la
vie de ce légat et sur sa mission à Liège.
Onufrius ou Honophrius, évèque de Tricaria
dans la Basilicate, était romain de naissance et
appartenait à la noble famille de Sancta-Cruce (1).
Un digne prêtre, Matthias Herbenus, qui fut long-
temps attaché à sa personne, nous apprend que les
dons du corps et de l'esprit ne lui avaient pas été
ménagés (2) et, de son côté, Ughelli affirme qu'il
jouissait d'une grande réputation de savoir (?.). Il
(1) « Ex ea familia quae vulgo Sanctae-Crucis nuncupatur »
(Herbenus, dans de Ram, Documents, etc., p. 357). « Honufrius,
Tricaricensis prsesul, homo romanns, in familia locupleti quse
Sanctse-Crucis dicitur » (Piccolomini, ibid., p. 373). « Meminit
Honufrii Carolus Chartarius in advocatorum consistorialium lib.
in Petro Sanctacrucio, p. 15, nbi uberiori calamo hujus gentis
nobilissimse viros egregios recensait ad satietatem * (Ughelli,
cité par de Ram, ibid., p. xvn). Cf. Ange de Viterbe, dans VAm-
pliss. coll., t. IV, col. 1401.
(•2) « Pluribns animi et corporis dotibus ornatus » (Herbenus,
ibid.).
(3) « Egregiam Honufrii doctrinam et ernditionem memorat
XXXI
devait aussi être très habile en affaires et doué
d'un grand esprit de conciliation, car le pape Pie II
l'ayant envoyé en qualité de légat à Mayence, pour
apaiser des débats qui avaient fait couler le sang
dans l'archevêché, il accomplit sa mission à la satis-
faction générale (1).
Depuis plusieurs années (1456) , des troubles
violents déchiraient la principauté et surtout la
ville de Liège qui était en guerre ouverte avec son
évêque, Louis de Bourbon, neveu du duc Philippe
de Bourgogne (2). Pour punir des sujets trop peu
soumis à son gré, il avait jeté l'interdit sur la Cité,
— 29 octobre 1461 (3) — et quitté sa capitale. Un
Fantinus Valeressus, Jaderensis archiepiscopus, iu epistola ad
eumdeni scripta 11 Kal. decemb. a0 1462. » (Texte cité par M. de
Ram, ibid., p. xvn).
(1) « Quem Pius ^neas Belgarum niisit ad oras
Atque Moguntiacum, ut Dieteruni forte rebellem
Pontiflci Latio, et Fredericum conciliaret
Ductorem belli. »
(Ange de Viterbe, col. 1401).
Onufrius arriva à Mayence en octobre 1463 à l'effet de conclure
la paix entre Diether d'Isenburg et Adolphe II de Nassau, com-
pétiteurs pour le siège de Mayence, et afin de relever Diether,
ainsi que ses alliés, entre autres le comte palatin Frédéric le
Victorieux, de l'excommunication. Cette paix fut conclue par
Onufrius et Ferrici, le 28 octobre 1463, à Francfort sur le Mein
(Helwich, De dissiclio Moguntino in Joannis Scriptores rerum
Moguntin., t. II, pp. 193-194).
(2) Piccolomini, qui était bien au courant des faits, déclare que
Louis ne fut agréé par le pape qu'à la suite de la promesse que
Philippe le Bon lui fit d'un secours contre les Turcs (dans de Ram,
p. 372).
(3) Voir l'acte dans de Ram, op. cit., p. 484. Pie II confirma cet
interdit le 1er mai 1462 {Ibid., 503).
XXXII
légat, Pierre Ferrici, envoyé en 1463 (1) pour réta-
blir l'union, ne put y parvenir, et même les choses
s'envenimèrent à ce point que, le 22 mars 4465,
les Liégeois prononcèrent la déchéance de leur
évêque (2). Les Bourguignons envahirent alors la
principauté et, le 20 octobre, battirent les milices
liégeoises àMontenaken. Le pape, auquel les deux
partis avaient eu recours, ne savait trop que faire,
et il ne fallut rien moins que la promesse d'un
secours contre les Turcs, que lui fit le duc de
Bourgogne, pour faire cesser ses hésitations : par
une sentence du 23 décembre 1465, il se prononça
en sa faveur et donna tous les torts aux Liégeois (3).
Mais entretemps, Louis XI, roi de France, ce
cauteleux ennemi du duc de Bourgogne, avait, le
17 juin 1465, conclu une alliance avec les Liégeois,
et entretenait soigneusement dans la Cité l'esprit
de révolte ; aussi toutes les tentatives d'accom-
modement restèrent-elles inutiles. Le 28 octobre
1467, les Bourguignons infligèrent aux Liégeois une
seconde et sanglante défaite à Brusthem. Raes de
Heers, le chef du parti hostile à l'évêque, hors d'état
de continuer la lutte, quitta Liège à la tête de plu-
(1) Le bref est daté du 12 janvier (voy. de Ram, p. 512). Ferrici
arriva le 31 mars à Aix-la-Chapelle (Adrien dans YAmpliss.coll.,
IV, 1258). Il se transporta à Trêves pour prononcer sa sentence,
le 10 septembre 1464.
(2) Adrien, dans YAmpliss. coll., IV, 1267-1270. Cependant, par
un bref du 6 mars 1465, adressée Louis de Bourbon, Paul II
avait suspendu pour quatre mois l'interdit,en vue d'arriver à un
arrangement.
(3) Sur la Pauline, voy. de Gerlache, Hist. de Liège, p. 222.
XXXIII
sieurs milliers de ses partisans, tandis que Charles
de Bourgogne entrait en maître dans la Cité,
le 17 novembre, en compagnie de Bourbon (î).
Par sa célèbre et cruelle sentence du 18, le duc
dépouilla les Liégeois de toutes leurs anciennes
institutions, ordonna la démolition de leurs mu-
railles, et bannit à perpétuité les bourgeois qui
avaient suivi Raes de Heers.
Courbés sous le joug, les Liégeois réclamèrent
l'intervention du pape pour obtenir un adoucisse-
ment à leur sort, et notamment la levée de l'inter-
dit (2). Cédant à leurs instances, Paul II assembla
en 1468 un consistoire et proposa d'envoyer à
Liège un légat muni de pleins pouvoirs pour
réconcilier le prince avec ses sujets. Les quali-
tés éminentes d'Onufrius et le succès de sa pre-
mière mission le désignèrent au choix des cardi-
naux (3). D'abord il voulut refuser, et ne céda enfin
que sur les vives instances du pape.
(1) Voyez dans Gachard, Collection de documents inédits, t. I,
pp. 154-182, les lettres de Charles le Téméraire au magistrat
d'Ypres touchant sa campagne contre les Liégeois en 1467.
(2) Jean de Looz, dans de Ram, Documents, p. 56.
(:i) - Honuirius huic difficillimo negotio idoneus judicatus est «
(Herbenus, ibid.,\). 357).
- Nemo tam melior nec cernitur aptior ullus
In Latio quam sit reverendus Honophrius urbe
Nomine Tricarius, nunc digaus episcopus, alta
Virtute et morum cultu majora meretur,
Publicolse Valeri proies ab origine longa,
Ingenio velox et relligione timendus,
Consilio sapiens ; non est moderatior alter
Quique est multorum mores expertus et urbes ;
XXXIV
Dans les derniers jours du mois de mars, Onu-
frius écrivit à Liège pour annoncer vers le 10 avril
son arrivée à Cologne, et son intention de se rendre,
de là, directement à son poste. Mais son voyage
subit des retards, et il n'atteignit Cologne qu'après
la date fixée (î). Il y trouva des envoyés liégeois
avec leur suite (2) : l'évèque avait député son
chancelier Herman, le chapitre de S'-Lambert Jean
de Quercu, et les églises secondaires Jean de
Straile, doyen de S'-Martin, qui tous, lui firent
escorte, par Juliers et Aix-la-Chapelle (3), jusqu'à
Maestricht. Après y avoir vénéré les reliques de
S1 Servais, il s'embarqua pour remonter la Meuse
jusqu'à Jupille, où une foule immense, accourue de
Liège, l'accueillit avec de grandes démonstrations
de joie, et l'accompagna en triomphe jusqu'au cou-
vent des Chartreux. C'était un jeudi, 28 avril (4).
Non illum fallit legum veneranda sacrarum
Majestas, non hune fallunt civilia jura, etc. »
(Ange deViterbe, col. 1400-1401).
"... Nullum meliorem unoorefatetur. «
(Idem, col. 1403).
(1) Adrien, col. 1326. Ange de Viterbe, col. 1404, décrit tout
au long son voyage et nomme les villes par où il passa.
(2) " Ad hune cum Agrippinam Coloniam maturato itinere
pervenisset, Leodiensis legatio adventus hujus prsescia accessit,
summis obsecrationibus petens ut, quanto posset celerius,
Leodium properaret,reliquiasque dispuisse plebis,redditis sacris,
consolaretur » (Piccolomini, p. 373).
(3) Selon Piccolomini, il s'arrêta quelques jours dans cette
dernière ville pour s'assurer que l'évèque et le peuple étaient
disposés à bien recevoir les avertissements du Saint-Siège.
(4) Jean de Looz, p. 56. Selon Adrien, col. 1326 (les col. 1325 et
XXXV
Le lendemain, l'évêquelui rendit visite ainsi que
plusieurs autres personnes ; le père carme Robert
et Alexandre Bérard, échevin, lurent des discours
qui nous ont été transmis en vers alexandrins
par le poète de Viterbe (1). Puis Louis de Bourbon
lui adressa quelques paroles pleines de bons senti-
ments pour son peuple. Le légat répondit à tous avec
bienveillance (2), et après s'être entretenu avec eux
des difficultés de la situation, prit de commun
accord avec eux des arrangements pour la levée de
l'interdit (3). Le samedi, Onufrius s'avança jusqu'au
pont d'Amercœur (4), où le clergé de toutes les
1326 sont en double), ce fut le 27, et l'évêque s'étant porté à la
rencontre du légat, le conduisit chez les Chartreux. Ange de
Viteriïe, col. 1-106 , et Piccolomini, p. 374, disent la même
chose.
(1) Ampliss. coll., col. 140Get 1407.
(2) <• Detur niihi tanta facilitas
Ut valeam inter vos omnes componere lites. «
(Ange de Viterbe, col. 1408).
(:h) « Nos interdictum, cum mœnia vestra petemus,
Solvemus certa sub conditione, deinde.
Si meritum est vestrum, penitus delebimus illud. ••
(Ange de Viterbe, col. 1408).
D'après cet auteur, col. 1408-1409, il semble que cela se serait
passé le jour même de l'arrivée du légat. Il décrit l'entrevue dans
tous ses détails et dit qu'Onufrius demanda ensuite un cheval
pour se rendre à l'entrée de la ville. Il affirme, cependant, qu'il
passa deux nuits chez les Chartreux (col. 1406).
(4) Là se trouvait une des portes de la ville. Le texte de Jean
de Looz, p. 56, porte Aurati corclis au lieu de Amari cor dis.
Ange de Viterbe dit : « conscendit pario orator de marmore
pontem, h ce que de Villenfagne traduit erronément par le
pont des Arches (Mélanges cités, p. 353).
XXXVI
églises de la Cité s'était rendu processionnelle-
ment. Arrivé sous la porte de la ville, il leva provi-
soirement l'interdit, et, montant à cheval, il fut, au
son des cloches et aux acclamations joyeuses du
peuple tout entier, conduit par Louis de Bourbon
à la cathédrale de S'-Lambert, qu'il réconcilia (i).
Après le Te Deum et la bénédiction, on le mena en
grande pompe à l'abbaye de S'-Jacques, où des
appartements lui avaient été préparés.
Le 1P1 mai, il assista, dans les formes de la cathé-
drale (2), à la première messe de Louis de Bourbon
qui, à genoux avec tout son clergé, lui demanda
ensuite la bénédiction (3). Après la procession (4),
à laquelle les deux prélats assistèrent, un repas
splendide réunit tous les notables de la Cité au
palais épiscopal. Le 3 mai, jour de l'invention de la
Sainte Croix, une messe spéciale fut chantée à
S'-Lambert en son honneur, et l'évèque suivit la
procession en chape , avec les chanoines. A la
(1) Adrien, col. 1325, prétend que l'évèque, en habits sacerdo-
taux, attendait Onufrius sur les degrés de St-Larnbert. Cf. Ange
DE VlTERBE, COl. 1411 à 1413.
(2) « Honofrio, in habitu legationis suae, sine superpellicio,
sedente in forma ubi episcopi leodienses tempore majoris missa?
stare soient. » (Adrien, loco cit. Ce chroniqueur assistait à la
cérémonie).
(3) « Post missam vertit dominus leodiensis se ipse et omnes
prœlati versus legatum, et depositis, tam per dominum leodien-
sem quam per prselatos, mitris, prostraverunt se omnes super
genua sua, et... dédit legatus benedictionem super populum ulti-
mam. » (Idem, col. 1326).
(4) « Dominicum sacramentum tota urbe, legato et populo
prosequente, manibus suis circumtulit. » (Picoolomini, p. 374).
XXXVII
demande générale, le légat se rendit, le 8 mai, à
2 heures de l'après-midi (1), dans l'église cathé-
drale, où, avec la plus grande solennité, il leva
définitivement l'interdit, à condition que la sen-
tence papale du 23 décembre 1465 fut respectée (2).
Le 5 juin, jour de la Pentecôte, il chanta dans le
même temple une messe du Saint-Esprit (3).
Cette réception cordiale et ces débuts heureux
semblaient promettre une issue favorable à la mis-
sion du légat. Il ne lui restait plus qu'à obtenir du
duc Charles de Bourgogne la révocation de sa ter-
rible sentence du 18 novembre 1467, ou, du moins,
des modifications aux articles les plus odieux aux
Liégeois (4).
Après un échange de lettres avec le duc, alors à
Bruges, afin d'obtenir une audience (s), Onufrius
(1) « In octavis apostolorum Philippi et Jacobi, post prandium
hora secunda. » (Adrien, loc. cit.)
(2) Adrien, qui assista encore à cette cérémonie, la décrit tout
au long. Theodoricus Pauli, donnant carrière à son imagination,
dit : - Non solum relaxavit civitatem ab excommunicatione et
anathemate quibus irretita fuit,sed e contra equitavit solemniter
per plateas leodienses, absolvendo incolas ejus et benedicendo
civitatem et omnes habitantes in ea. » (Dans de Ram, p. 231).
(3) Jean deLooz, p. 57. Adrien, col. 1326.
(4) « Erant gaudiorum plena omnia, respirareque tum primum
ex longa fatigatione miseri videbantur, dissensionem omnem
initio hoc sublatam putantes. Id modo supererat ut exulum
quoque et tributorum sua ratio haberetur, amodoque civitatis
mœnibus parceretur ; postremo ut leges patrise redderentur,
sine quibus nil quietis habitura reliqua putabantur. « (Piccolo-
mini, p. 374).
(5) Ange de Viterbe, col. 1413.
XXXVIII
quitta Liège le mercredi, 8 juin (i). On lui avait
dépeint Charles comme un prince dur, hautain
et inexorable; mais il le trouva très gracieux à son
égard et en reçut le meilleur accueil (2), à ce point
que, remettant à plus tard les affaires sérieuses,
il le pria tout d'abord d'assister le 3 juillet à
ses noces, dans lesquelles il lui fit rendre des
honneurs tout particuliers (3). Les fêtes passées,
le légat n'oublia pas le but spécial de son voyage.
Le duc écouta ses réclamations avec bienveillance
et lui parla sans amertume, si bien qu'il ne douta
point que le différend ne fut aisément apaisé (4).
Mais comme Charles était en ce moment absorbé
par des négociations difficiles avec Louis XI, il
(1) Ange, col. 1414. Cet auteur décrit, ville par ville, l'itinéraire
du légat. Nous ne pouvons le suivre dans tous ces détails.
(2) « Cum ingenti honore atque singulari applausu ab univer-
sis amplexus est. » (Herbenus, p. 357). Cfr. Ange de Viterbe,
col. 1418.
(3) « In quibus festis tantus honor factus apostolico legato est,
ut mortali homini major exhiberi non potuisset. « (Herbenus,
p. 358).
- Aima ducis mater prima est discumbere jussa,
Mox et legatus vultu verecundus honore,
Et médium fecit conjux speciosa d'Iorcha. «
(Ange de Viterbe, col. 1423).
Notre poëte consacre neuf colonnes à décrire les fêtes du ma-
riage (Ibicl., col. 1420-1429).
(4) « Ita benignum repperit principem, ut ei sine negotio
magno dissidium omne componi posse videretur. » (Herbenus,
l. c.) Piccolomini, de son côté, dit : « kl tantum de postulatis
legato concessit, ut cum praesule et populo quse viderentur com-
poneret, conventaque referret ad se conflrmanda decreto suo vel
respuenda. » (Dans de Ram, p. 374).
XXXIX
l'engagea à retourner près des Liégeois (î) pour
les affermir dans leurs bonnes dispositions et
s'enquérir des bases d'une paix nouvelle, lui pro-
mettant qu'à son retour de France il effacerait
toute trace de désaccord entre euxetleurévêque(2).
Le légat accompagna le duc jusqu'à Bruxelles et
tâcha, mais en vain, de le détourner de faire la
guerre à Louis XL Là, ils se quittèrent, et tandis que
Charles partait pour la France, Onufrius rentra à
Liège plein de confiance dans le succès de sa dé-
marche (3). Il est certain que son espoir était
fondé ; d'abord, son caractère franc et affable lui
avait de suite valu l'estime de Louis de Bourbon
qui ne voyait plus en lui qu'un ami, et qui, sans la
(1) Selon Ange de Viterbe, col. 1430, il le pria d'aller l'attendre
pendant dix jours à Bruxelles.
(2) Herbenus, l. c.
« Mox se leodinam velle videre
Causam ait, et si quid sancto non competat illud
Pontifici, mutari, inquit, nos omne sinemus. »
(Ange de Viterbe, /. c).
(3) « Linquitur (Carolus) his dictis Brugis, jam mœnia fidus
Bruxella? subiit legatus Honofrius urbis ;
Jamque dies aderat decimus durn fœdera servat,
Bruxellam petiit legato et multa locutus ;
Sed tandem visa Leodina penitus urbe
Componi melius Legias res ipse suadet
Legatus, répétât Leodinse diruta gentis
Mœnia. »
(Ange de Viterbe, col. 1430).
« Legatus magno animi gaudio Leodium revertitur, spe-
rans ex molli principis verbis... atque leodiensis populi humili
submissione, omnem rem ex sententia se esse confecturum. »
(Herbenus, p. 358).
XL
crainte du duc, aurait suivi ses conseils dans les
moments les plus critiques (1) ; d'autre part, il avait
gagné les sympathies des Liégeois, aussi bien celles
du clergé que de la bourgeoisie : tous le consi-
déraient comme leur providence (2) ; enfin, ce qui
était le point important, il avait été bien reçu par le
duc. On doit donc le reconnaître : grâce au tact.
à la prudence et à la sagesse du légat, les affaires
étaient bien engagées et ces préliminaires sem-
blaient devoir aboutir à un heureux résultat.
Mais hélas ! un événement survint qui, d'un seul
coup, renversa cet échaffaudage si laborieusement
élevé. Plusieurs milliers de bourgeois (3), bannis
par la sentence du 18 novembre 1467 (4), sachant
le duc de Bourgogne empêché par sa guerre avec le
roi de France — dans laquelle ils espéraient bien
qu'il succomberait, — et encouragés sous main
par Louis XI, rentrèrent inopinément dans la Cité
le 9 septembre, révolutionnèrent la population et
se livrèrent à toute espèce de violences envers les
(1) « Ludovicus ita se semper legato exhibuit quasi alter cuidam
suo parenti. « (Herbenus, p. 357).
(2) « Quem (Honofrium) non secus atque terrenum quemdam
Deum venerati sunt. » (Ibid.).
(3) Ils étaient cinq mille, dit Piccolomini, p. 374. Suivant cet
auteur, ils profitèrent de ce que Louis de Bourbon avait quitté
Liège, le 25 août, pour aller s'établir à Maestricht.
(4) On les appelait couleuvriniers ou compagnons de la Verte
Tente. Herbenus, p. 355, prouve ici son origine flamande, en disant:
« qui se socios Virdurse nuncupabant, quod nos vernaculo sermo-
ne exponimus van der groenre tenten. «
XLI
partisans de l'évêque (i). Cet incident affecta pro-
fondément le légat qui vit ses espérances de paix
s'évanouir et comprit que cette nouvelle échauf-
fourée, en refoulant tout sentiment de clémence
dans le cœur de Charles, allait attirer sur la mal-
heureuse Cité toutes les horreurs de la guerre (2).
Ce fut en vain, cependant, que les hommes les plus
sages, craignant pour sa vie, l'engagèrent à quitter
la ville ; il s'y refusa, même malgré les instances
de ses compagnons, qui voulaient fuir le danger (3).
Pour conjurer autant que possible les terribles
résultats de cette insurrection, Onufrius assembla
de suite les principaux bourgeois du parti modéré
et les pria de s'aboucher avec les bannis pour
les engager de sa part à quitter Liège s'ils ne
voulaient pas entraîner la perte de cette ville (4) ;
(1) Adrien, col. 1328-1331 (les col. 1329 et 1330 n'existent pas),
décrit cette entrée des proscrits avec beaucoup de détails. Cfr.
Jean de Looz, p. 58, et voy. le Bull, de l'Jnst. archéol. lieg.,
XIII, pp. 8 et9.
(2) « Hic licet cernere cuilibet ordinera rerum contemplanti
quam is reditus legato infaustus fuerat, utpote qui de niaxima
spe pacis deciderat in summas angustias mentis, quod conjiceret
legationern suam optato fine minime perfuncturam. » (Herbenus,
p. 359).
(3) « Tamen ipse furenti
Cedere ab urbe negat, tanta est constantia mentis
Ipsius, et tanta est sedandi cura furentis. «
(Ange de Viterbe, col. 1432-1433).
Cet auteur donne aux compagnons d'Onufrius les noms de
Tuitius et Henricus Lonvorchus, qui paraissent estropiés.
(4) Selon Piccolomini, l'initiative vint des hommes modérés
qui se trouvaient encore à Liège. Le légat les réunit sur le Mar-
ché et les harangua, leur faisant sentir la gravité de leurs actes,
XLII
il leur faisait promettre de s'employer énergi-
quement auprès du duc pour obtenir leur rappel
ainsi que leur réintégration pacifique dans leurs
droits. Les proscrits firent répondre que la misère
seule les a ramenés dans leurs foyers ; que, pleins
de respect pour leur évèque et pour le légat,
ils désirent conférer avec lui, le lendemain, à Sl-
Jacques. Dans cette entrevue, qui fut des plus cor-
diales , Onufrius renouvela ses instances pour
décider les proscrits à se retirer ; mais ils ne purent
s'y résoudre et, par l'organe d'Amel de Velroux,
le supplièrent de se rendre auprès de Louis de
Bourbon pour implorer leur pardon (1).
Le 14 septembre, Onufrius partit avec quelques
députés pour Maestricht, où l'évêque résidait de-
puis le 25 août (2). Malheureusement, les bannis
rejetèrent les conditions que leur posa Louis de
Bourbon (3), et se préparèrent à la lutte. Le légat
et les engageant à déposer les armes. Que s'ils n'y consen-
taient pas, il quitterait la ville et irait rendre compte au
souverain-pontife de leur obstination. L'auteur fait de cette
scène un tableau dramatique (Dans de Ram, pp. 375-376).
(1) Ange de Viterbe, col. 1433-1436. Cfr. Herbenus, p. 359 et
Jean de Looz, p. 58. Selon Adrien, col. 1331, le légat reçut assez
mal les chefs des proscrits : « Legatus respondere fecit eis
quod quando concordes essent cum domino Leodiensi, tune
absolveret eos. »
(-2) Il paraît évident qu'il existe une lacune assez considérable
dans le poëme d'Ange de Viterbe, col. 1436 ou 1438, en ce qui con-
cerne ce fait.
(3) « Dominus Leodiensis requisivit tria : Primo, quod illi qui
redierunt de Francia, deponerent arma, et irent ad unum locum
quem dominus nominaret. Secundo , quod illi qui in Leodio
sumserunt arma, quod deponerent. Tertio, quod rumperent
vexilla... Responderunt quod non facerent. » (Adrien, col. 1333).
XLIII
rentra à Liège le 21 septembre ; le peuple et le
clergé, pour lui témoigner leur satisfaction de ses
démarches, vinrent à sa rencontre et formèrent la
haie depuis la porte S1 Léonard jusque sur le
Marché. Néanmoins, Onufrius n'avait pas encore
renoncé à tout espoir de conciliation, et après plu-
sieurs autres voyages qu'il fit à Maestricht, l'en-
tente paraissait enfin conclue. Le 29 septembre,
le bruit courut même que la paix était faite, et le
lendemain Louis de Bourbon s'étant rapproché de
la Cité jusqu'à Liers, le légat et le peuple accou-
rurent au-devant de lui dans l'intention de le rame-
ner à Liège (i).
Pendant ce temps-là, Charles avait appris la ren-
trée des proscrits dans la Cité, et, transporté de
fureur, il avait, le 17 septembre, par une lettre datée
de son ost, établi Gui de Brimeu en qualité de lieu-
tenant pour assembler ses vassaux et marcher
contre les Liégeois (2) ; le G octobre, il mande de
Péronne à l'évoque de rompre toute relation avec
eux, et en attendant que sa guerre contre la France
soit terminée, il le prévient qu'il envoie Humber-
court à Tongres avec des troupes (a). Louis re-
(1) Voici la version de Piccolomini, p. 376 : - Jamque dierum
nonnullorum diligentia rem eo redegerat, ut reconciliatus Ludo-
vicus ad oppidum Tongrimsecumaccederet,indeque repetendam
civitatem statueret. Convenerat autem ut turba omnis, poeni-
tentise significanda causa, effusa obviam inermis et supplex a
transeunte misericordiam precaretur, etc. »
(2) Annales de VAcad. d'archéol. de Belgique, t. III, 1867, p.
653, note.
(3) Adrien, col. 1333. Suivant Piccolomini, il annonce son arri-
vée pour le lendemain et lui envoie quatre mille hommes pour le
protéger.
XLIV
broussa aussitôt chemin et alla s'installer dans
cette ville (t), où le légat vint le rejoindre. Il y était
depuis trois jours, lorsqu'il manifesta l'intention
de retourner à Liège; mais l'évêque le pria de rester
auprès de lui jusqu'à l'arrivée de Humbercourt, et,
désireux de connaître les ordres du duc, il y con-
sentit (2).
Humbercourt entra dans Tongres le samedi, 8
octobre, vers 5 heures du soir. Il rendit visite au
légat, lui apprit que Charles se proposait de mar-
cher contre les Liégeois, et l'engagea, en consé-
quence, à se joindre à lui pour châtier les rebelles.
Onufrius fit ressortir l'injustice et la cruauté du
projet du duc, puisque les Liégeois étaient disposés
à se soumettre à toutes les décisions de leur évêque;
il déclara qu'il ne voulait pas assister à cette expé-
dition et partirait le lendemain pour Maestricht.
Humbercourt rapporta ces paroles aux capitaines
des troupes bourguignonnes, qui tinrent conseil ;
au milieu de la nuit, l'un d'eux, Jean de Bergues,
vint trouver le légat (3) et lui annonça qu'on était
(1) Le bruit courut que, s'il était venu à Liège, il aurait été
en grand danger, car les bannis, rassemblés sur le Marché,
tiraient des couleuvrines ; ce que voyant, le légat avait expri-
mé ses craintes, et aussitôt Amel de Velroux avait fait cesser le
tir (Adrien, col. 1333). Les détails qui précèdent sont fournis par
le même chroniqueur. Il nous fait savoir que, le 1er octobre, à 4
heures, le légat, en l'absence de l'évêque, établit Gilles de Lens
et Amel de Velroux comme bourgmestres de la Cité. Abry ne
mentionne pas ce fait dans son Recueil héraldique des bourg-
mestres de la Cité de Liège.
(2) Ange de Viterbe, col. 1439.
(3) Il lui témoigne l'estime qu'il a conçue pour sa personne :
XLY
d'accord pour permettre aux Liégeois de venir
librement implorer le pardon de l'évèque. Onufrius
ayant témoigné des doutes pour la sécurité des
députés liégeois à Tongres, engagea de Bergues
à l'accompagner à Liège même pour y traiter de la
paix, ce que celui-ci accepta (i).
11 est donc évident, dit Herbenus, que ce ne fut
pas la faute du légat si la ville de Liège subit un sort
effroyable, mais bien, comme on le verra, celle
d'une poignée de proscrits ; car Onufrius, tout en
constatant la mauvaise tournure que prenaient les
choses, ne cessa jamais d'exhorter les rebelles à
faire leur soumission (2).
Dès le môme jour, vers 1- heures du soir, des
lettres de Tongres étaient déjà parvenues à Liège
pour annoncer l'arrivée imminente de Humber-
court et de ses troupes, et en même temps pour
prévenir qu'il serait facile de les surprendre pen-
dant la nuit (3). Aussitôt, ne doutant plus du
•• Aime pater,.Brugis, Lovaniiet Metibusolim
[psetuam novi virtutom, et scmper amavi ;
Et si quid possem, servatoscmpLT honore
Burguiuli tlomini, i'accrem, noctesque diesque
Pro te proquc tuis, l'uerit dum vita superstes. »
(Ange de Vitesse, col. 1440).
(1) Ange de Viterbe, col. 1441.
(2) « Nulla igitur legati culpa tanta urba tam misère afflicta
est, sed paucorum exulum, qui démentis principis, ac salvare
cupientis, animum ad tantam indignitatem provocaverunt
Eosdem ad humilitatem adhortari conatus est. » (Herbenus,
I». 359).
':•. Adrien, cul. 1334. Theodoricus Pauli, pp. 210-21 1 , place
ce l'ait au dimanche 19 octobre, et en donne un récil fantaisiste.
XL VI
sort qui les attendait, et voulant, dans leur déses-
poir, tenter un dernier effort, trois cents bannis (i)
quittent la Cité, tombent vers onze heures sur les
Bourguignons et s'emparent de Tongres. Bourbon,
accompagné de quelques-uns des siens, descend
dans la rue et veut se défendre ; mais il est
repoussé. Onufrius réveillé par le bruit , fait
ouvrir la porte de son hôtel et va au devant des
Liégeois dont il a reconnu le cri (2). Il s'informe
de l'évêque : on lui répond qu'il s'est enfui à Maes-
tricht. Alors, voyant tout espoir de paix à jamais
perdu, il se répand en plaintes. Mais heureusement
cette nouvelle était fausse, car un chevalier de la
suite de Louis vint en ce moment prier le légat de
l'accompagner près de son maître ou de permettre à
celui-ci de venir le rejoindre. Onufrius ayant trouvé
plus de garanties de sécurité dans ce dernier
parti, Louis, Humbercourt et une centaine de
Bourguignons pénètrent chez lui par les jardins
et se mettent sous sa protection (a). Il promet d'a-
(1) Herbexus, p. 360. jean de Looz, p. 59, dit qu'ils étaient
environ 500 et Piccolomini, p. 377, deux mille. Suivant Theod.
Pauli, p. 211, c'était toute une armée : « Statim magno exercitu
eongregato. *
(2) « At sacer orator somnoestexcussus.et ipsos
Agnovit Legios tanto clamore furentes...
Mox mandat tecti resereturjanua possint
Intrare ut Legii utque Mis ipse obvios ire,
Et sermone queat tantos sedare tumultus. »
(Ange de Viterbe, col. 1442).
« Legatus, qui ab initio tumultus inermis in vicum erat pro-
gressus.. •• (Piccolomini, p. 377).
(3) Ange de Viterbe, col. 1443. Suivant Adrien, col. 1334,
XLVII
paiserlesLiégeois, surtout si, en retour, il peut leur
garantir la paix. Toutefois, on convient d'attendre
le jour.
Cependant, de grand matin, les Liégeois n'ayant
pas trouvé l'évêque dans son palais, arrivent de-
vant la demeure du légat ; il les harangue d'une
fenêtre et parlemente avec les chefs , qui lui
exposent leurs griefs (î). Pour toute réponse,
Onufrius demande si leur intention est d'emmener
l'évêque prisonnier; ils répondent qu'ils ne veulent
qu'une chose, l'avoir à Liège pour le reconnaître
comme leur seigneur. Louis se montra alors et
fut acclamé par ses sujets, qui le ramenèrent en
triomphe dans sa capitale. Il y rentra le dimanche,
l'évêque et le légat logeaient dans le même hôtel et Hurobercourt
vint les y retrouver. Ce chroniqueur, col. 1334-1335, donne de la
suprise de Tongres, un récit détaillé qu'il tient évidemment de
la bouche de Humbercourt. Theod. Pauli, à son ordinaire,
p. 212, invente une scène dramatique et, qui est plus, avance des
faits entièrement faux. Henri de Merica aussi, p. 173-174, s'aban-
donne aux écarts de son imagination : « Cum autem legatus,
increscente rumore, viros Belial ante fores hospitii suiad capien-
dum eum stare didicisset, excutiens se cito de lecto, apertis
caméra? fenestris, convertit se ad illos. Videres hominem pavi-
dum et trementem scalpere pedibus, supplices attollere palmas,
motu instabili corpus agitare, alta voce clamare et sine cessa-
tione dicere : Legatus ego sum! Legatus ego sum ! » Cf. le Bull, de
VInst. archéol. liég., t. XIII, p. 12.
(î) Ce fut Jean Arnold qui prit la parole en cette circonstance.
Ange de Viterbe, col. 1444-1448, lui fait tracer, de tous les faits
antérieurs, un tableau fort curieux, qui constitue en même temps
un éloge du légat. Suivant Piccolomini, il déclara que si Louis
ne voulait pas retourner à Liège, ses compagnons étaient décidés
à mettre le feu à la ville et à la réduire cette même nuit en
cendres avec tous ceux qui s'y trouvaient.
XLYIII
vers une heure de l'après-midi, au milieu des cris
de joie de la foule qui s'était portée à sa rencontre;
mais, malgré ces démonstrations enthousiastes,
Louis avait plutôt l'air d'an prisonnier que d'un
souverain revenant au milieu de son peuple (1).
Le mardi, 11 octobre, l'évêque et le légat se
rendent au palais, où était convoquée une assem-
blée populaire, et grâce à Onufrius (2), une paix
est conclue et publiée le lendemain (3).
Les faits qui suivirent sont longuement racontés
par Ange de Viterbe dans les chants V et VI de son
poème. Mais ils ne paraissent être qu'une para-
phrase de la relation d'Onufrius, et comme je n'ai
trouvé, dans les autres chroniqueurs, aucune par-
ticularité remarquable sur notre légat, je passe sur
tous les événements qui eurent lieu depuis le
retour de Louis à Liège jusqu'après le sac de cette
malheureuse ville.
Ayant vu l'inutilité de ses elïorts pour exciter la
pitié de Charles à l'égard des Liégeois, Onufrius,
presque seul, découragé, épuisé de douleur et de
(1) Ange de Viterbe, col. 1448-1449 ; Adrien, col. 1336.
(2) « Magister Hubertus dixit verbum legati de pace facienda,
primo ad Deum, secundo cum domino, tertio inter nos, quarto
ad vicinos nostros ; et quodlegatus intenderet facere pacem quse
in perpetuum duraret. » (Adrien, col. 1336). Ce fut aussi le 11 oc-
tobre que les premières nouvelles des événements de Tongres
arrivèrent à Péronne, où Louis XI se trouvait depuis le 9.
(3) « Facto igitur inter dominum et civitatem tractatu, pax
in Leodio fuit proclamata et insiguia régis deposita. » (Adrien,
col. 1337).
XLIX
fatigue, avait gagné péniblement Maestricht (î).
C'est là qu'an témoin oculaire, le nonce apostolique
Albert (2), qui avait suivi l'armée bourguignonne, lui
raconta la destruction delà Cité.
Un chroniqueur dont j'ai déjà signalé l'inexacti-
tude (3), avance ensuite au sujet d'Onufrius des as-
sertions que je ne puis accepter que sous bénéfice
d'inventaire. Voici ce qu'il raconte: Amel de Vel-
roux ayant été fait prisonnier par les Bourguignons
et envoyé à Maestricht, vers le 14 novembre (4), le
duc Charles ordonna son exécution. Amel implora
sa grâce en déclarant que, trompé par le légat, il
n'avait agi que d'après ses ordres et ses suggestions:
(1) « Intérim tamen non destitit cuncta perlustrare, si quis
casus eum in tanto strepitu armorum ad ducera perduceret...Sed
cernens legatus leges inter armatos silere atque dignitatem suam
inter sanguinarios satellites versari multisque periculis esse ex-
positam,ducis primum deinde proprio consilio fretus, coactns est
abexercitu cedere. « (Herbenus, p. 360).
(2) « Perveniens itaque magnis periculis Trajectum, tantisper
illic remansit, dum misera? urbis excidium ab Alberto, apostolico
nnntio, qui liberius inter armatos versât us est, recitante perdidi-
cerit. » (Herisenus, pp. 360-361).
« Ecce
Nuntius ad dominum Burgundum missus, ad almum
Legatum rediit, Legiae post moenia gentis
Evcrsa, etcastris ubi non invenit, oberrat :
Denique Trajectum, sumtis insignibus armis
Pontilicis Pauli, velox allabitur, audit
Vivum esse, ac sedes ipsius tutus adivit. »
(Ange de Viterbe, col. 1466).
(3) Theodoricus Pauli, p. 226.
(1) D'après Adrien, col. 1345, Charles, arrivé à Maestricht le 9
novembre, quitta cette ville le 12.
que c'était d'après ses conseils que les proscrits
étaient rentrés à Liège où il allait rétablir la paix en
vertu de l'autorité qu'il tenait du Saint-Siège, et
avec l'assurance que le duc, absorbé par ses dé-
mêlés avec la France, n'en reviendrait pas ; après
tout, avait-il dit, si l'évèque se refusait à remplir
ses obligations, il le déposerait pour mettre à sa
place un prélat plus accommodant. Il l'accusa ainsi
publiquement de toutes les violations commises à
Liège contre la foi jurée et les traités conclus avec
le duc. Le chroniqueur ajoute encore que les Lié-
geois, errants et misérables, accablaient le légat de
malédictions, que Charles fit précipiter les gens de
sa suite dans la Meuse, et, pour le punir d'avoir
excité et soutenu les Liégeois contre lui, l'envoya
avec son chapelain en prison, au château de Vil-
vorde, où il fut étroitement gardé (1).
Jean de Looz, beaucoup plus véridique, semble
dire que Onufrius resta àMaestricht jusqu'en 1469,
et qu'alors seulement il songea à reprendre la route
de l'Italie. S'il en fut ainsi, il faut croire que le
légat fut retenu à Maestricht par l'état de sa santé.
En effet, ainsi qu'il le déclare lui-même, les préoc-
cupations de toute nature, les fatigues corporelles,
les privations, les souffrances morales avaient pro-
fondément altéré sa constitution. Avant son dé-
part, il réclama des indemnités pour les pertes
qu'il avait éprouvées et pour toutes les peines que
sa légation lui avait causées ; chaque chanoine et
(0 Dans de Ram, pp. 231-232.
LI
chaque abbé lui remit dix florins du Pihin, et chaque
chapelain trois ou quatre (1).
On conçoit, dit Herbenus (2), dans quelles tristes
pensées Onufrius regagna cette ville de Rome où il
avait espéré rentrer après une mission heureuse-
ment accomplie. Pour comble de douleur, Paul II le
reçut froidement et ne lui accorda même pas les
honneurs publics avec lesquels on reçoit d'ordi-
naire les légats à leur retour dans la ville Eter-
nelle (3). La cause du mécontentement du pape n'est
pas bien connue. Herbenus semble insinuer qu'il
provenait simplement de l'insuccès de sa mission ;
mais peut-être, le bruit d'une plus grave accusation,
répandue par le parti bourguignon, était-il arrivé
jusqu'à Piome. On disait — Philippe de Gommines
et d'autres historiens ont relevé complaisamment
cette rumeur — qu'Onufrius aurait excité les Lié-
geois à larévolte contre Louis de Bourbon et Charles
de Bourgogne par ambition personnelle et pour de-
venir lui-même évèque de Liège. « Mais, dit M. de
Villenfagne(4),sil'évèquede Tricaria, trahissant ses
devoirs, eût fomenté la sédition à Liège, comment
supposer que le duc de Bourgogne, si irrité, si fu-
rieux, lui qui n'avait pas craint de retenir son roi
(1) Jean de Looz, p. 63.
(2) Dans de Ram, p. 361.
(3) « Erat summus pontifex vehementissime legato infensus, ita
ut ne publico honore quo legati assolent, in Urbem recipitur. »
(Herbenus, ibid.).
(4) Mélanges, 1810, p. 365. De Gerlache, Hist. de Liège, p. 233,
note, réfute également cette accusation.
ni
prisonnier, comment supposer, dis-je, qu'il lui eut
fait rendre les honneurs qui lui étaient dus comme
envoyé du Siège apostolique, et comment se per-
suader qu'il eût voulu, après, l'admettre à son au-
dience ? Remarquons encore, ajoute cet écrivain,
que tous nos auteurs, loin de dépeindre l'évêque
de Tricaria comme un ambitieux, le représentent
comme un homme sensible, qui fit ce qu'il put pour
détourner l'orage qui allait fondre sur la ville de
Liège. En effet, il est certain que le légat plaida
inutilement la cause des Liégeois dans les termes
les plus éloquents, et fit les efforts les plus
énergiques pour émouvoir le duc et lui arracher
leur pardon. »
Quoiqu'il n'eût rien à se reprocher, Onufrius
prit à cœur de se justifier complètement près du
pape (t). A cet effet, il jeta les yeux sur un poète
italien alors célèbre, Angélus de Gurribus Sabinis,
de Viterbe, le chargea d'écrire l'historique de sa
mission, et lui adjoignit un prêtre attaché à sa per-
sonne, très versé dans la théologie et la littérature,
nommé Matthias Herbenus. Nous avons parlé
plus haut du poème d'Ange de Viterbe. Il était
terminé lorsque Paul II, auquel il était déjà
dédié, vint à mourir subitement, le 28 juillet 1471.
Or c'était pour recouvrer ses bonnes grâces qu'O-
(i) Voici, suivant Herbenus, p. 361, les motifs de cette décision:
» Quia humanajudicia plerumque ab eventis ac casibus rerum
fortuitarum pendent, idcirco sit ut cum unus quidem multorum
criminibus virtute par esse nequeat, in eumdem omnium delin-
quentium peccata impingantur. »
lui
nufrius avait entrepris cette œuvre laborieuse. On
peut juger du chagrin et du découragement qu'il
éprouva. Cette contrariété, jointe aux fatigues et
aux angoisses de sa mission, lui occasionna une
maladie mortelle (i). En vain, Sixte IV qui venait
de succéder à Paul II, reconnaissant ses mérites,
lui promit-il le chapeau de cardinal (2). Sa santé
était ruinée, et, le 20 octobre, trois mois après la
mort de Paul II, il descendit lui-même dans la
tombe. Enterré à Rome, dans l'église de Ste-Marie
de Publicolis, on grava sur sa tombe l'inscription
suivante :
Amissvm tellvs si flevit Romvla Brvtvm,
Si Gvrivm et Scavros, si Gicerona patrem ;
pvblicol.e vita defvnctvm corpvs honophru
ecclesia ob mores et bene facta fleat :
Pro qva bis Gallos, bis Rheni flvmina vidit,
Pro QVA, NIL fvgiens, plvrima damna tvlit.
Tricarivs pr^esvl referendi et mvnvs habebat,
romanvs patrle famaque magna svm.
Deniqve legatvs lateris transmissvs ad vrbes
Belgas, Bvrgvndi premet vt arma dvcis.
gvm bello rverent leodin.e mœnia gentis,
avt popvli, avt domini sorte dolenda svi,
Tantvm concepit generosa mente dolorem,
Staminé quod vit^e rvpta fvere svm.
(1) « Contigit Honofrio, partim languore animi partim labori-
bus atque anxietatibus in legatione perpessis, in gravissimam
ffigritudinem incidere, unde etiam consuraptus est. » (Ibid.).
(2) » Agnoscens magnanimitatem atque in rébus agendis viri
dexteritatem. » (Ibid.).
LIV
Non animo qvisqvam major ne aptior alter
consiliis patrice gvltor et ecclesle.
eloqvio et lingva pollerat, glarvs in omni
hlstoria et notvm jvris vtrvmqve genvs (l).
Ange de Viterbe ayant vu mourir les deux seules
personnes qui, pour le moment du moins, pou-
vaient attacher quelque prix à son poème, le con-
serva par devers lui. A sa mort, nul ne s'en préoc-
cupa, et on ne sut ce qu'il devint. Plusieurs années
après, Matthias Herbenus, qui s'intéressait à ce
travail, d'abord parce qu'il justifiait son maître
d'imputations odieuses , et ensuite parce qu'il
avait trait à des événements dont son pays natal
avait été le théâtre, et qui sait, regrettant peut-
être en sa qualité de collaborateur, que le fruit de
tant de peines fut perdu pour la postérité, se mit
à la recherche du manuscrit égaré et finit par le
découvrir ; mais selon toute probabilité, ce fut seu-
lement dans les premières années du seizième
siècle.
Les renseignements qu'on vient de lire sur la
personne d'Onufrius, donnent de ses capacités
une opinion très favorable , et montrent son
caractère sous un jour des plus sympathiques. Cet
homme devait être doué d'une grande énergie et
d'une fermeté peu commune. Souvent il fait preuve
d'un véritable courage. De plus, il est toujours
sincère , loyal , dévoué ; on le sent incapable
(]) Cette épitaphe, tirée cTUghelli, Italia nacra, Venise, 1720,
t. VII, p. 154, a été reproduite par M. de Ram, Documents.
p. XVII.
LV
d'une action basse, et les accusations dont il fut
l'objet ne résistent pas à cette impression. Les
peines qu'il s'est données pendant sa longue et
difficile mission, les déboires, les fatigues, les
souffrances qu'il a endurées pour épargner à nos
ancêtres et à notre vieille Cité une effroyable ca-
tastrophe, l'esprit de conciliation et de paix, le pro-
fond amour du bien qui ne cessèrent de l'animer, le
dévouement et l'abnégation dont il fit constamment
preuve, doivent rendre sa mémoire chère aux Lié-
geois. A ce titre déjà, notre publication sera ac-
cueillie avec faveur par nos concitoyens. Elle le
sera encore pour un autre motif: c'est qu'elle nous
donne sur un des faits les plus mémorables de nos
annales, des renseignements que l'on chercherait
vainement parmi les nombreuses sources que l'on
possède sur cette époque et que j'ai énumérées
plus haut. Enfin, si jamais document fut d'une
authenticité indiscutable, c'est bien celui-ci, puisque
l'auteur, merveilleusement placé pour bien voir, ne
relate que ce dont il a été témoin, et raconte, pour
ainsi dire, jour par jour, sa propre histoire.
Certes, il eut été préférable de faire connaître le
texte même de la relation d'Onufrius. Mais, par une
étrange fatalité qui semble s'attacher aux mémoires
justificatifs du légat, de même que le poème d'Ange
de Viterbe fut longtemps perdu, la relation origi-
nale d'Onufrius est aujourd'hui égarée. En 1818, un
célèbre historien danois, le Dr H. Fr. J. Estrup,
conseiller d'Etat, la découvrit chez un libraire de
Rome. En homme habitué à juger, du premier coup,
LVI
de l'importance d'un document, M. Estrup en fit l'ac-
quisition. De retour chez lui, il l'étudia de plus près,
la compara avec d'autres sources contemporaines,
et acquit bientôt la conviction qu'elle contenait, au
point de vue de l'histoire, des données précieuses,
inconnues jusqu'à ce jour. Il s'entoura alors de
tous les renseignements qu'il put recueillir et pu-
blia, en 1828, dans les Annales historiques, littéraires
et artistiques du Nord (1), un travail étendu basé
sur la relation du légat.
Cette étude attira vivement l'attention du public
lettré de la Belgique (2), et lorsque notre Commis-
sion royale d'histoire fut instituée dans le but de
mettre au jour les sources de nos Annales, la rela-
tion d'Onufrius fut de suite désignée comme devant
y figurer au premier rang. C'est M. A. Borgnet qui,
le premier, en 1856, fit des démarches pour obtenir
en communication le texte original. Il s'adressa à
M. Ch.-Chr. Rafn, membre de l'Académie royale de
Belgique, qui lui-même pria M. C.-F. Wegener,
vice-président de la Société royale des antiquaires
(1) Nordisk Tidshrift for Historié, Literatur og Konst, udgi-
vet a f Christian Molbech, t. II, pp. 169-218 ec 329-351. Ce travail
a été réédité dans les Œuvres complètes d'Estrup, Estrups
samlede Skrifter, Copenhague, 1851, t. II, pp. 405-480. C'est
M. Engelstoft, évèque d'Odensée et parent de M. Estrup, qui a
soigné cette édition.
(2) Et aussi de la France. M. Férussac en rendit compte dans le
Bulletin des sciences historiques, Paris, 1829, t. XIII, p. 381.
Cette collection ne se trouve pas en Belgique ; c'est ce qui ex-
plique l'erreur que j'ai commise dans le Bull, de la Commission
royale d'histoire, 3e série, t. IX, p. 462, en disant qu'il existe un
manuscrit de la relation d'Onufrius à Rome.
LVII
du Nord et archiviste intime du royaume de Dane-
marck (1), et M. le professeur Aug. Rothe, de Sorô,
de s'occuper de cette affaire. Malheureusement, le
Dr Estrup était mort depuis 1846, et les recherches
les plus obligeantes pour découvrir le manuscrit
restèrent sans résultat.
A la fin de l'année 1858, M. Fr. Schiern, profes-
seur d'histoire à l'Université de Copenhague, pré-
senta spontanément ses services pour se livrer a
de nouvelles investigations (2). Son offre fut accep-
tée avec empressement, mais sans doute il ne réus-
sit pas dans ses recherches, car on n'en eut plus de
nouvelle.
Chargé, en 1876, de présenter à la Commission
d'histoire un programme pour la formation d'un
corps de chroniques liégeoises inédites, je m'oc-
cupai à mon tour du Commentaire d'Onufrius et,
grâce à la bienveillante intervention de M. le che-
valier F. de Bertouch, veneur de la cour de S. M. le
roi de Danemarck, qui habite notre pays, M.Wege-
ner s'occupa de nouveau du môme objet. Il supposa
que le manuscrit pourrait se trouver dans les châ-
teaux de Kongsdal en Sélande ou de Skaffôgaard
en Jutlande, appartenant tous deux à la famille
Estrup, mais ses recherches demeurèrent encore
une fois infructueuses.
Puisque donc il semblait évident qu'il fallait re-
noncer à mettre la main sur le texte original du
(1) Auteur d'une Vie de Charles le Bon, comte de Flandre.
(2) Voy. les Bulletins de la Commission royale cChistoire,
2« série, t. XII, p. 17, et 3e série, t. I, p. 290.
LVIII
légat, il nous restait à mettre à profit l'analyse que
M. Estrup en avait faite. Déjà M. Borgnet avait eu
cette pensée et, à cet effet, il en avait fait faire, par
M. le DrLiebrecht, la traduction littérale. Après avoir
remanié ce premier travail, je sollicitai et obtins de
S. Exe. M. Jacques B.-S. Estrup, président actuel du
Conseil des ministres du Danemark, et fils du con-
seiller d'Etat, l'autorisation d'en faire l'objet d'une
publication pour la Société des Bibliophiles liégeois.
Puis, grâce aux bons offices de M. de Bertouch et de
son cousin S. Exe. M. lebaronde Rosenôrn-Lehn, mi-
nistre des affaires étrangères, je fus mis en rapport
avec un employé de ce ministère, qui voulut bien
vérifier l'exactitude de la traduction.
Pour payer toutes mes dettes de reconnaissance,
je dois ajouter que, n'ayant pas trouvé dans les
bibliothèques de Namur les livres dont j'avais
besoin pour ma préface et pour ajouter au texte
de M. Estrup quelques notes indispensables (i),
j'ai eu recours à l'obligeance de mes bons amis le
chevalier G. de Borman, à Schalkhoven, M. Jules
Petit, de la Bibliothèque royale, le baron Adrien
Wittert, à Bruxelles, H. Helbig et le Dr Alexandre,
archiviste provincial, à Liège, qui tous, répondant
à mon appel avec un empressement dont je ne sau-
rais assez les remercier , ont rendu ma tâche
beaucoup plus facile.
(i) Les notes que j'ai cru devoir joindre à celles de M. Estrup
sont précédées d'un astérisque.
Lutte de la Cité de Liège contre les ducs de Bour-
gogne ET DESTRUCTION DE CETTE VILLE, EN 1468,
d'après les Rapports du légat Onufrius, par le
Dr H.-F.-J. Estrup.
Aujourd'hui que certains hommes d'état rivalisent de
zèle pour faire connaître au monde leur caractère public
par des Mémoires qui trouvent immédiatement des milliers
de lecteurs bénévoles, il ne sera peut-être pas sans intérêt
de tirer de quelques manuscrits que j'ai découverts chez
un bouquiniste de Rome, les Rapports d'un légat apostolique
du quinzième siècle, intitulés : Ad beatissimum Pont.
Max. Paulum II, Honofrii, Tricariensis episcopi, de
rébus in sua legatione germanica gestis, et civitatis
Leodiensis excidio, commentarium primum. Il existe,
dans les archives du Saint-Siège, beaucoup de Rapports
semblables, qui n'ont été utilisés que par Baronius et par
quelques autres historiographes privilégiés; mais le nombre
des documents de ce genre qui, comme celui-ci, ont franchi
l'enceinte du Vatican pour s'aventurer au dehors et af-
fronter la pleine lumière, est fort restreint. Le Mémoire
d'Onufrius, pour autant du moins que j'ai pu m'en assurer,
n'est connu que de moi et de mon bouquiniste ; et, bien qu'il
ne vaille guère la peine d'être imprimé dans son intégrité,
il mérite toutefois d'être rendu public par un résumé fidèle.
— 2 —
C'est ce résumé que j'ai tâché de faire, en respectant le
style sans prétention de l'auteur, mais en le débarrassant
d'une insupportable exubérance de mots et de phrases inu-
tiles ; tout en conservant scrupuleusement l'exposé des faits
dans l'ordre où ils se présentent, j'ai rejeté les circonstances
de minime importance et raccourci les longs discours en
latin barbare. De plus, j'ai fait précéder la relation de
notre légat d'une introduction, et je l'ai comparée avec
d'autres récits contemporains, quelquefois pour suppléer
à ce qui lui manque, mais plus souvent pour la rectifier.
Le Commentaire d'Onufrius se rapporte à Louis XI, roi
de France, à Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, et au
sac de la ville de Liège auquel ces deux princes assistèrent.
Cet événement frappa l'Europe de stupeur ; de nos jours
encore, il est mis en scène sous différentes formes, par des
historiens et des poètes (i) qui, tous, juchés sur les épaules
de Philippe de Commines, apprécient de ce point de vue
partial les hommes et les choses. Onufrius, qui habitait
Liège à cette époque, et qui fut activement mêlé aux événe-
ments de son temps, a voulu, lui aussi, apporter son contin-
gent à la juste appréciation des faits. Paul Emile, his-
torien presque contemporain (2), Philippe de Commines,
dans ses Mémoires (3), et, sur l'autorité de ceux-ci, Villaret
(i) * J'ignore à quelles œuvres poétiques M. Estrup fait ici allusion. Mais,
postérieurement, l'épisode du sac de Liège a encore été exploité à différentes
reprises par les littérateurs : A. Rastoul de Mongeot, Liège et Franchi-
mont, drame en 3 actes, in-42, Liège, 1842; Ch. Stappers, Louis XI et
Charles le Téméraire à Péronne, Épisode historique en vers, ir.-8°,
Liège, 1856 ; Al. Pirotte, Brusthem ou Liégeois et Bourguignons, in- 12",
Liège, 18ol. — Les romanciers aussi se sont emparés de cet événement cé-
lèbre ; est-il besoin de rappeler le Quentin Durward de. sir Walter Scott ?
(i) fie rébus Francorum, ad a. 1468.
(3) Collection de Mémoires, par Petitot, Paris, 1819-20, tome XI, p. 493.
— 3 —
et Garnier (i), accusent Onufrius d'avoir excité les Lié-
geois à la révolte contre leur prince dans le but de devenir
lui-même évêque de Liège, outrepassant ainsi les pou-
voirs qu'il avait reçus du pape. Selon eux, Charles le
Téméraire aurait permis à ses soldats, qui avaient fait le
légat prisonnier, de le mettre à rançon comme un simple
marchand de la Cité, pourvu qu'il semblât ignorer le fait :
car, autrement, il n'aurait pu, par égard pour le pape, se
dispenser de faire faire réparation à son représentant.
Mais d'autres auteurs contemporains et des écrivains plus
récents, notamment le cardinal Jacques Piccolomini dans
ses Commentaires sur les événements de son temps (2)
Jean de Troyes, Olivier de la Marche et Robert Ga-
guin (3), sont muets à cet égard et ne rapportent rien qui
puisse entacher l'honneur d'Onufrius. Nos lecteurs, en par-
courant sa relation, concevront probablement aussi une
opinion favorable du légat. Si donc ses Mémoires n'avaient
pas d'autre titre à la publicité, celle-ci se justifierait en-
core par le droit que tout personnage historique méconnu
peut revendiquer d'être placé dans son vrai jour et d'exiger
de la postérité, dont les jugements sont plus équitables
que ceux des contemporains, la révision de son procès.
Dans le récit qui va suivre, partout où je ne cite pas
d'autres auteurs, c'est Onufrius lui-même qui m'a servi de
guide.
(i) Histoire de France, tome XVII, p. 299. — ' Villaret, né à Paris, était
directeur de théâtre, à Liège, en 1756. Il s'adonna ensuite à l'histoire.
(2) Freheri Scriptores rerum Germanicarum, tome II, pp. 271 et suiv.
(3) Historia Francorum, éd. de Paris, 1528.
— 4 —
Jean de Heinsberg abdiqua l'évèché de Liège en 1455 ;
Louis de Bourbon, allié à la maison royale de France et à
celle de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, fut désigné
pour lui succéder (1). La confirmation de Louis rencontra à
Rome une certaine opposition, car n'ayant encore que vingt
ans (2), il lui manquait l'âge canonique (3). D'un caractère
trop orgueilleux et de mœurs trop mondaines, il était peu
apte à gouverner l'Eglise de Liège, qui, de la part de Rome,
était l'objet d'une faveur toute spéciale. Suivant la devise
qui ornait les armoiries de la Cité, elle était « la fille
unique de l'Eglise romaine (4). » Liège était un des plus
vastes et des plus riches évêchés de la Chrétienté. Les
églises et les couvents de la ville étaient au nombre de
trois cents et, chaque jour, au dire de Philippe de Com-
mines, on y célébrait autant de messes qu'à Rome même.
Outre sa capitale, qui comptait une population de cent
et vingt mille habitants (s) , la principauté épiscopale
(i) * Louis de Bourbon était fils de Charles, duc de Bourbon, et d'Agnès, fille
de Jean sans Peur, duc de Bourgogne. Le comte de Charolais avait épousé, en
premières noces, sa sœur, Isabelle de Bourbon.
(2) * Selon Zantfliet et d'autres chroniqueurs, il était âgé d'environ dix-huit ans.
(3) Piccolomini comm., Freher, loc. cit., II, p. 271.
(x) Legia Romance ecclesiœ unica filia. C'est pour ce motif, ainsi qu'on le
verra plus loin, que les Liégeois désignaient Onufrius comme représentant du
pape, leur maître. — * La devise exacte de l'Eglise de Liège était : Sancta
Legia, Romance ecclesiœ filia.
(s) Piccolomini, 1. c, p. 278.—* Dans ce chiffre étaient sans doute compris
les habitants de la franchise et de la banlieue, car aujourd'hui que la ville a
pu s'étendre en tous sens par suite de la démolition de ses remparts, elle ne
compte que 130,000 habitants. Cfr. Henaux, Histoire du pays de Liège,
tome II, p. 89, note I.
comprenait encore vingt-trois villes importantes (1), douze
cents villages et bourgades et cinquante-deux abbayes.
L'évèque, prince de l'Empire, pouvait, au besoin, mettre
sur pied trente mille hommes. Il avait, avec son clergé,
une part dans les richesses que produisait un sol fertile,
notamment dans les mines de Dinant (2) et de Franchi-
mont ; il bénéficiait de l'esprit industrieux de son peuple
et de la situation de ses États, si favorable au commerce,
sur les bords d'une eau navigable. Liège, par elle-même,
était une ville très forte : d'un côté, ses murailles s'ap-
puyaient sur un des prolongements les plus avancés des
Ardennes (3), et de l'autre, leur pied baignait dans le fleuve.
Celui qui avait en mains les clefs de Liège, de Huy et de
Dinant, pouvait se considérer comme maître de toutes les
contrées arrosées par la Meuse.
Tous ces avantages faisaient que l'évêché de Liège était
(1) A l'occasion de la sentence de Paul II, de l'an i4Go, Onufrius ne cile
que les villes suivantes comme se trouvant sous la juridiction de. l'évèque :
Liège, Saint-Trond, Hasselt, Loscaslrum, Beringen, Maeseyck, Stockeni,
Bilsen, Brée, Tongres, Herck, et le comté de Looz. Mais on verra plus loin que
cette liste n'est pas complète ; car, d'après l'article 7 de la paix de i 467 conclue
avec Charles le Téméraire, les villes de Franchimont, Huy, Dinant, Maestricht
en partie, Hasbain, Thuin et Couvin appartenaient aussi à l'évêché de Liège.
— * Les bonnes villes du pays de Liège étaient : Saint-Trond, Tongres, Bee-
ringen, Bilsen, Hamont, Hasselt, Herck, Looz, Peer, Brée, Maeseyck et Stock-
heim,pour la partie flamande ; Waremme, Huy, Ciney, Dinant, Chàtelet, Couvin,
Fosses, Thuin, Verviers et Visé, pour la partie wallonne. Los castrum était
Looz ; Franchimont était un château fort ; Maestricht était possédé par
indivis entre l'évèque de Liège et le duc de Brabant ; Hasbain ou Hesbaic
était le nom d'un quartier ou division territoriale de la principauté.
(2) * La ville de Dinant était célèbre par ses batteurs de cuivre ; mais elle
tirait la matière première de l'étranger.
(3) ' Les collines de la vallée de la Meuse, à Liège, sont isolées et ne se
rattachent à aucun système orographique.
— 6 —
considéré comme un des plus beaux fleurons de la tiare
du pape, et que le duc de Bourgogne — dont les terres
entouraient déjà de toutes parts la principauté — aurait
bien voulu en orner sa propre couronne. Si donc il parve-
nait à placer sur le siège épiscopal. un membre de sa famille
et réussissait à séculariser l'évêché, le chemin se trouvait
tout frayé pour arriver à la suzeraineté de ce pays. Déjà
antérieurement, plusieurs évoques, en s'appuyant sur l'in-
fluence de la maison de Bourgogne, avaient cherché à se
transformer en princes temporels (i) ; mais toujours ils
avaient rencontré une opposition invincible dans le clergé,
et surtout dans la bourgeoisie qui croyait, à bon droit, ses
libertés mieux en sécurité sous la crosse épiscopale que
sous un sceptre temporel; de plus, elle craignait et haïssait
les Bourguignons.
Jean de Heinsberg, le prédécesseur immédiat de Louis,
avait été soupçonné d'entretenir avec les ducs de Bour-
gogne des relations dans le sens que nous venons d'in-
diquer, relations indignes du caractère dont il était revêtu.
Ce n'était donc pas seulement à cause de son extrême jeu-
nesse que les papes Calixte III et Pie II (2) hésitaient à
donner l'investiture à Louis de Bourbon, mais encore parce
qu'il était le propre neveu de Philippe le Bon — fils de sa
sœur — et recommandé par lui. Mais, la chute de Constan-
tinople et les succès du Croissant dans l'Europe Orientale
présentaient des dangers bien autrement menaçants que le
(1) Robert Gaguin, Hist. Francor., édit.1528, p. 198. — * Le seul évêque
de Liège auquel on ait prêté des intentions serablables,avant Louis de Bourbon,
est Henri de Gueldre. Mais de son temps il n'était pas encore question de la
maison de Bourgogne.
(2) * Calixte III mourut le (i août 1458. Pie II, dont le nom de famille était
Eneas Sylvius Piccolomini, fut élu le 19 août.
— 7 —
projet formé par le duc de Bourgogne de planter sur une
église cathédrale sa croix de Saint-André. Philippe le Bon
mit fin aux hésitations de Pie II en promettant une croisade
contre les Turcs (1) ; cette promesse ne fut remplie que
plus tard et très mollement ; mais, en attendant, Louis de
Bourbon fut proclamé évèque de Liège (2).
Bien que Louis fut assez instruit pour un prince, il ne
possédait aucune des qualités indispensables à un prêtre ; il
était mondain, d'un caractère faible et emporté (3). De suite
il entra dans les vues de son protecteur, le duc de Bour-
gogne, et commença par chercher querelle aux bourg,
mestres et au Conseil de la Cité ainsi que des autres
bonnes villes de l'évèché, au sujet de la juridiction tempo-
relle (le merwn et mixtum imperhim), qu'il prétendait
concentrer toute entière dans sa personne, tandis que,
d'après la coutume, elle ne lui appartenait qu'en partie (4).
Quelques années plus tard, ayant atteint l'âge canonique,
il refusa de se faire consacrer et ajourna cette obligation
pendant plus de dix ans. Durant cette longue période de
temps, il ne célébra pas la messe en public (5). Les Lié-
geois, non sans raison, voyaient dans cette attitude la
(1) * Dès qu'il fut élu pape, Pie II chercha à provoquer une ligue générale
des princes chrétiens contre les Turcs qui menaçaient d'envahir l'Europe.
(2) * La bulle de confirmation arriva à Liège le 10 mai 1456. Louis fit sa
joyeuse entrée dans sa capitale le 13 juillet.
(3) Il est autrement apprécié, d'après Amelgard, par de Iîarante, Histoire
des ducs de Bourgogne. Paris, 1826, t. IX, p. 55 : >• Il n'y avait pas de
prince plus doux, plus patient, un évêque plus indulgent et plus charitable
que Louis de Bourbon. Si les gens sages lui faisaient quelque reproche, c'était
d'encourager son peuple à la sédition par sa trop grande bonté. »
(•i) ' Sur cette question, voyez Henaux, Histoire du pays de Liège, t. II,
pp. 76 et suiv.
(s) * Il ne la célébra môme pas en particulier, puisqu'il n'était pas prêtre.
preuve qu'il nourrissait le projet de les façonner au
joug temporel, sous la protection et la suzeraineté de la
maison de Bourgogne (1). Il semble même que quelques
chanoines et particulièrement l'archidiacre Robert (2),
favorisaient les prétentions de l'évêque, soit qu'ils eussent
été gagnés en secret, soit qu'ils préférassent devenir les
ministres d'un prince temporel que d'être ceux d'un servi-
teur de l'Eglise. Mais ils s'attiraient par là la haine des
bourgeois.
A une époque plus reculée du moyen-âge, alors que la
liberté communale, protégée par les princes eux-mêmes,
luttait contre l'aristocratie féodale, les Liégeois avaient
obtenu ou s'étaient arrogé de nombreux privilèges ; ils
s'étaient, pour ainsi dire, retranchés derrière les constitu-
tions de leurs métiers et de leurs corporations qui, presque
nulle part, n'étaient aussi puissamment organisés que
chez eux. Ils possédaient un régime communal qui ne lais-
sait au souverain que peu d'influence sur les affaires de la
Cité. Aussi, les évêques étaient-ils devenus jaloux d'une
liberté qu'eux-mêmes avaient autrefois favorisée ; de leur
côté, les bourgeois étaient fiers des corporations et des
privilèges qui assuraient le maintien de leurs droits civils.
Ils comptaient sur l'appui des princes voisins, particu-
lièrement sur celui des rois de France qui ne pouvaient
rester spectateurs indifférents de la puissance croissante
de la maison de Bourgogne. Ils se fiaient aussi à la solidité
de leurs remparts et à l'excellente position stratégique
de la Cité, protégée, comme nous l'avons dit, d'un côté
par de hautes collines, de l'autre par la Meuse. Mais aussi.
(0 Piccolomini, loco citatu.
(2) * Robert de Morialmé. Voyez de Theux, Le chapitre de S'-Lombert
à Liège, t. Il, p. 270. Cfr. Ange de Viterbe, dans VAmpliss. coll., IV, 1442.
— 9 —
la conscience de leur liberté, le sentiment de leur force
et de leurs richesses, les rendaient turbulents et orgueil-
leux. De plus, les factions et les partis ne manquaient pas
dans une ville où la hiérarchie était opposée à la démo-
cratie, la noblesse à la bourgeoisie, et où les métiers se
trouvaient souvent en hostilité les uns avec les autres.
Ce qui doit le plus nous étonner dans les troubles qui
suivirent, c'est que l'empereur, qui avait l'évèché de Liège
sous sa mouvance, ne se soit pas efforcé de rétablir la paix
et de détourner, par son intervention, la ruine de la ville.
Frédéric III occupait alors le trône impérial ; prince
faible et sans caractère, il était tantôt l'ami tantôt l'en-
nemi de Charles le Téméraire ; aussi ne songea-t-on même
pas à implorer sa protection.
Les premiers résultats de la querelle entre l'évèque et
ses villes furent des scènes de violence, des bannissements,
des confiscations, des pillages et des meurtres. Quoiqu'il
n'eut pas encore reçu la consécration épiscopale, Louis ex-
communia la Cité (i). En 1463, il eut recours à l'arbitrage de
Louis XI, pour terminer ces dissentiments ; mais, bientôt
après, il récusa lui-même ce juge qu'il avait spontanément
choisi, pour se tourner vers Philippe le Bon ; celui-ci lui
accorda aussitôt son appui. A Liège, un parti qui comptait
dans son sein quelques membres du Chapitre, élut évêque
Marc, margrave de Bade, en opposition avec Louis (2). Mais la
peur desBourguignons chassa ce nouveau prélat de la ville(3).
Telle était la situation lorsque Onufrius fut envoyé pour
(<) ' L'interdit fut lance le 29 octobre 1461. Voy. de Ram, op. cit., p. 484.
(i) ' La déchéance de Louis de Bourbon fut proclamée par les Etats le 22
mars 1465. Marc de Bade fut élu évoque deux jours après.
(s) * Marc abandonna les Liégeois le 4 septembre 1465, au siège de Fau-
quemont.
2
— 10 —
la première fois à Liège ; Philippe le Bon et Louis de Bourbon
n'ayant osé, dans une affaire aussi délicate, faire abstraction
de l'autorité du pape, s'étaient adressés au Saint-Siège.
Pie II se croyait alors sur le point d'atteindre le but qu'il ne
cessa de poursuivre pendant les dernières années de sa
vie, à savoir de mettre le duc Philippe à la tète d'une
croisade nombreuse contre le sultan Mohamed II ; aussi
évitait-il de froisser les Bourguignons. Il avait, en consé-
quence, envoyé Pierre, son auditor causarum Sedis apos-
tolicœ (i), pour s'informer du différend et tâcher, pendant
l'instruction de l'affaire, sinon de rétablir la paix, au moins
d'apporter quelque adoucissement à l'interdit. Le débat
devait, du reste, être soumis à la cour de Rome pour rece-
voir une décision en dernier ressort. Pierre procéda d'abord
seul à l'enquête ; plus tard, il s'adjoignit un assistant dans
la personne d'Onufrius, romain de la famille de Santa-
Croce, évêque de Tricaria dans le royaume de Naples (pro-
vince actuelle de Basilicate), et qui, précisément à cette
époque, avait été envoyé comme légat à Mayence, pour
aplanir quelques difficultés en Allemagne.
Après avoir longtemps, mais inutilement, travaillé à
amener un accord à l'amiable, Pierre se vit enfin obligé de
traiter l'affaire suivant des règles plus strictes. Les Liégeois
s'étaient engagés, sous peine d'une amende de trente mille
florins du Rhin, à ne commettre aucune hostilité pendant
toute la durée du procès ; cependant, sous prétexte de
venger la captivité de quelques bourgeois, ils démolirent le
château de Reydened (2). Pierre n'hésita pas, non-seulement
(i) " Pierre Ferrici arriva à Aix-la-Chapelle vers la fin de mars 1463. Sa léga-
tion est donc antéreure aux faits qu'on vient de lire.
(2) * Bouille, Histoire de la villa et pays de Liège, t. If, p. 76, donne à ce
château le nom de Reya ou Reyta, et dit qu'il fut assiégé le 26 juin 1464. C'est
— 11 —
à leur faire payer l'amende, mais à les irapper d'interdit.
Pendant ces négociations, Pie II vint à mourir, en l'an
1464 (i), et Paul II, son successeur, qui tenait aussi à la
croisade contre les Turcs et par conséquent à l'amitié de
Philippe, invita Pierre à lui faire son rapport. Il fixa en-
suite aux deux parties un terme de quatre mois pour con-
clure un accommodement. Mais on ne put s'entendre, et
malgré les menaces des autorités, tant ecclésiastique que
séculière, les hostilités continuèrent de part et d'autre.
Alors Paul II, à la date du 23 décembre 1465, rendit une sen-
tence entièrement favorable à levèque et par laquelle il
décernait, à lui et à son Eglise, une souveraineté invio-
lable, ainsi que les juridictions temporelle et spirituelle,
le droit de nommer les membres des tribunaux dans la Cité
de Liège, le comté de Looz et toutes les villes de révèché
en lutte avec le prince ; elle statuait encore que les bourg-
mestres, le Conseil et les maîtres jurés des métiers des-
dites villes n'avaient aucun droit de participer à cette
souveraineté, ensemble ni séparémeut, et que les empié-
tements faits jusqu'alors sur l'autorité de l'évèque étaient
contraires aux lois. Le pape se réservait de fixer le taux des
indemnités pour les violences commises et les dommages
causés ; mais, en attendant, il imposait aux Liégeois l'obli-
gation de payer cinquante mille florins du Rhin pour la
Rheidl, sur la Neers, aux environs de Gladbach, appartenant à Jean d'Aren-
dael. Les Liégeois partent par la Meuse le !26 juin et arrivent à Rheidl le
4 juillet. La garnison, forte de 130 hommes, en l'absence du seigneur, demande
une trêve de huit jours et se rend le M juillet ; le château est pillé pendant
deux jours, puis incendié. Pour les détails, voir Chapeaville, III, 139 ;
Jean de Looz. p. 21 ; Adrianus de Veteri Busco, dans VAmpliss. coll., IV,
1263. Le baron de Chestret, dans la Revue de numismatique belge, 1873,
o»8 série, tome V, pp. 87-92, résume le récit de ces chroniqueurs.
(0 * Dans la nuit du 15 au 16 août, à Ancône, s'étant mis lui-même en route
- 12 —
guerre contre les Turcs, se refusant à lever l'interdit qui
pesait sur eux jusqu'à ce qu'ils eussent acquitté leur
dette (i). Cette sentence sévère ne reçut point son exé-
cution.
Durant la guerre impie que Louis XI avait soutenue
contre son père, il avait trouvé asyle à la cour de Bour-
gogne. Mais la raison d'état bannissait alors de la mémoire
de Louis, devenu roi, le souvenir des bienfaits qu'il avait
reçus lorsqu'il n'était que dauphin. Il attira auprès de lui
le comte de Charolais, connu dans la suite sous le nom de
Charles le Téméraire, et entretint entre lui et son père, Phi-
lippe le Bon, une hostilité de nature à amener l'humilia-
tion de l'un et de l'autre. Dans ce but, il prit ouvertement
le parti des seigneurs de Croy, qui jouissaient auprès de
Philippe d'une grande faveur et qui, par là-même, étaient de
la part de son fils l'objet d'une antipathie et d'une jalousie
profondes. Aussi Charles conçut-il pour son prétendu pro-
tecteur une haine implacable, qu'il cachait sous les dehors
de l'amitié. Philippe le Bon, qui pénétrait les desseins de
Louis, consentit volontiers à ce que Charles satisfit sa soif
de vengeance en entrant dans la Ligue du bien public que le
duc de Bretagne, le propre frère du roi et d'autres puissants
vassaux de la couronne de France avaient formée contre le
despotisme du roi. Celui-ci, pour parer à ce danger immi-
nent, chercha d'abord à diviser les forces de l'ennemi, et,
afin d'empêcher les Bourguignons d'opérer leur jonction
pour la croisade. Paul II, élu le 31 août, fut consacré le 16 septembre. Il con-
tinua la guerre contre les Turcs.
(i) * J'ai publié la Pauline dans le Recueil des ordonnances de la prin-
cipauté de Liège, 1re série, t. I, p. 602. Celte sentence arriva trop tard pour
apaiser les esprits, puisque Louis de Bourbon avait été déclaré déchu et que
les Liégeois s'étaient alliés à la France.
— 13 —
avec le duc de Bretagne, s'efforça de leur jeter sur les bras
une guerre avec Liège (1). Il n'était pas besoin, pour y
réussir, de beaucoup de diplomatie ni d'efforts. Louis pro-
mettait toujours aux Liégeois des secours considérables,
mais ne les fournissait que dans une très faible mesure, afin de
prolonger d'autant plus une guerre qui lui était si utile (a).
En conséquence, lorsque l'armée bourguignonne, sous les
ordres de Charles, se trouva au cœur même de la France,
les Liégeois saisirent l'occasion pour commencer les hosti-
lités. Au plus fort de l'hiver, ils pillèrent et ravagèrent les
États du duc voisins de leurs frontières. Philippe le Bon
a3*ant réuni quelques troupes sous les ordres de son général
Philippe de Horne, celui-ci battit les Liégeois près de Monte-
nack (3). Vincent, comte de Meurs, et Jacques, comte de
Heuxne(i), accoururent aussitôt à Bruxelles pour demander
à Philippe le Bon de mettre fin à cette guerre désastreuse.
Ils réussirent à négocier un traité de paix qui fut signé
à Saint-Trond le 22 décembre 1465, c'est-à-dire la veille
même du jour où Paul H avait prononcé sa sentence, et
(i) * Les ambassadeurs de Louis XI arrivèrent à Liège le 23 mai 146o
L'alliance entre la France et les Liégeois fut signée le 17 juin, et, le 30 août,
Marc de Bade déclara la guerre aux Bourguignons.
(2) Voyez l'introduction des Mémoires de Philippe de Commines et ces
Mémoires eux-mêmes, dans Petitot, Collection de Mémoires, t. IX, pp. 233
et 433.
(3) Olivier de la Marche, Collection de Mémoires, t. X, 247. — ' La
rencontre de Montenaeken eut lieu le 20 octobre 1465. Montenaeken est une
dépendance de la commune de Vroenhoven, dans la province de Limbourg, à
26 kilomètres de Hasselt.
(i) Je ne puis lire autrement ce nom dans mon manuscrit. — 'Vincent comte
de Meurs et de Saerwerden, et Jacques comte de Horne et du S'-Empire,
seigneur d'Altena, de Weert, etc., remplirent souvent l'office de négociateurs
entre les Liégeois et les ducs de Bourgogne. Voyez mon Cartulairc de
Dînant, t. II, p. 162.
— 14 —
ainsi, longtemps avant que les belligérants eussent pu en
avoir connaissance. Les conditions de cette paix montrent
combien le pape était en droit de se plaindre de ce que
Ton n'eût pas attendu sa décision, après l'avoir demandée,
car la paix de Saint-Trond plaçait entièrement la ville
de Liège sous la dépendance du duc de Bourgogne. En effet,
les Liégeois devaient, par des délégués et conformément à
un cérémonial déterminé, demander pardon à Philippe et
au comte de Charolais, son fils, qu'ils avaient particulière-
ment offensé ; pour expier la mort des Bourguignons qui
avaient péri dans la lutte, il étaient tenus d'ériger une cha-
pelle dans un endroit désigné par le duc et d'y faire dire
des messes ; les habitants de Maestricht et d'une partie des
environs de cette ville, qui se trouvaient à la fois sous la
juridiction du duc et sous celle de l'évêque de Liège,
étaient exempts de toutes ces obligations ; il était interdit
aux Liégeois de conclure aucune alliance sans le con-
sentement du duc et ils étaient obligés de briser celles
qu'ils avaient formées antérieurement dans un but poli-
tique ; ils devaient reconnaître le duc et ses successeurs
comme avoués (guardianos . et advocatos) de l'évèché de
Liège ; ceux-ci, en vertu de cette charge, devaient défendre
les Liégeois dans leurs propriétés, leurs privilèges et leurs
libertés, et prendre en mains l'administration du pays
lorsque les habitants, pour prévenir des troubles, le requé-
reraient, ou lorsque les circonstances l'exigeraient ; dans
ce dernier cas, les Liégeois seraient tenus de prêter aide et
assistance à l'avoué ; le tout sans préjudice à la souve-
raineté de l'évêque et de ses successeurs sur la Cité de
Liège, sur les villes de l'évèché et sur le comté de Looz. En
retour de la protection que le duc leur accordait, les Lié-
geois devaient lui verser chaque année, en la ville de
— 15 —
Louvain, une somme de deux mille florins, sans compter,
à titre d'indemnité, trois cent quarante mille florins une
fois à payer, pour les dommages causés pendant la guerre ;
de plus, le duc était autorisé à pénétrer librement dans le
territoire de la principauté pour franchir la Meuse ; les
monnaies bourguignonnes devaient avoir cours légal dans
le pays; il était interdit de construire de nouvelles forte-
resses, et enfin, les Liégeois promettaient de rentrer dans le
devoir et d'obéir à l'évêque, leur seigneur légitime, auquel
ils payeraient une amende à fixer de commun accord entre
eux et lui (1).
La paix fut signée des deux parts. Cependant on en avait
exclu Dinant, ville importante à cette époque et qui devait
son opulence à ses nombreuses fabriques d'ustensiles de
chaudronnerie (2). Les Dinantais avaient fait mourir un de
leurs principaux bourgeois, Jean le Charpentier, pour avoir
récemment négocié une paix entre eux et les Bourgui-
gnons (3). Mais leur plus-grand crime aux yeux de Philippe,
était peut-être d'avoir composé contre lui des chansons
satyriques, de l'avoir pendu en effigie, ainsi que son fils le
comte de Charolais, d'être entrés dans le territoire Namurois
pour y porter leurs ravages, et d'avoir juré la destruction
de la ville de Bouvignes.
Aussi, dès que Charles eut forcé Louis XI à conclure la
(1) ' Voir le texte de celle paix dans le Recueil des ordonnances de la
principauté de Liéye, ire série, p. 590. Elle ne fut signée définitivement que le
23 janvier 1466, et fut seulement proclamée à Liège le 1er mars suivant.
(2) COMMINES, Collection de Mémoires, t. XI, p. 43 i.
(3) * Jean Carpenlier, maître ou bourgmestre de Dinant, avait engagé ses con-
citoyens à se soumettre au duc de Bourgogne. 11 fut pris et mené à Liège le
26 mars 1467. Louis de Bourbon et Charles le Téméraire le réclamèrent en
vain. Il fut décapité sur la place du Marché le II aoûl.
— 16 —
paix de Conflans (1), il amena, au mois de janvier 1466,
ses troupes contre Dinant (2). Le duc Philippe lui-même,
malgré son grand âge, se fit porter jusque là, voulant être
témoin du sanglant spectacle qui se préparait. Charles com-
mandait l'armée en personne, avec le maréchal de Bour-
gogne et le bâtard de Bourgogne, fils naturel de Philippe.
L'artillerie de siège était sous les ordres du chevalier Pierre
de Hagenbach, qui joue un grand rôle dans l'histoire de
Charles le Téméraire (3) ; il la dirigea avec un tel succès que
bientôt des brèches furent ouvertes dans les murailles. Les
Liégeois avaient cru d'abord que Philippe se bornerait à
faire payer des amendes ; mais voyant qu'il ne visait à
rien moins qu'à détruire la ville, ils mirent des troupes
sur pied pour voler à son secours. De leur côté, les Dinan-
tais avaient compté sur l'appui de Louis XI, et c'est dans
cette confiance, sans doute, qu'ils n'avaient pas craint de
braver les Bourguignons. Mais la paix de Conflans liait les
mains au roi de France ; il n'hésita pas, toutefois, à nouer
des relations secrètes avec les Liégeois, et les engagea à
secourir Dinant en son lieu et place (4). L'armée liégeoise ne
put empêcher les Bourguignons de s'emparer de cette ville
que Philippe, après l'avoir livrée au pillage, fit démolir
de fond en comble, sans même épargner les églises ; tous
les habitants qui tombèrent entre les mains des soldats
bourguignons, furent égorgés, sans distinction d'âge ni de
(i) * Cette paix fut conclue le 5 octobre 1465.
(2) * Charles ne convoqua ses vassaux, pour aller faire le siège de Dinani,
que pour la fin du mois de juillet 1466. Son année arriva en vue de Dinant
le 18 août.
(3) * Sur ce personnage, voyez de Barante, Hist. des Ducs de Bour-
gogne, édit. de M. Gachard, t. II, pp. 417 à 433.
(4) Jean de Troyes, Collection de Mémoires, t. XIII, p. 348.
— 17 —
sexe (i). Un chevalier liégeois, Renaud de Rouvrai, sut,
par d'habiles obstacles, empêcher le comte de Charolais
d'attaquer les milices de la Cité, qu'il réussit à ramener
saines et sauves (2).
Après cet échec, les Liégeois ne pouvaient faire autrement
que de demander la paix ; ils l'obtinrent à peu près aux
conditions antérieures : ils devaient fournir des otages au
duc et s'en rapporter à lui pour terminer leur différend
avec l'évêque ; ces conditions remplies, celui-ci était tenu
de lever l'interdit.
Mais les Liégeois demandèrent qu'une vingtaine de bour-
geois (3), aux conseils pernicieux desquels ils attribuaient
leurs malheurs, et qui, après la dernière guerre, s'étaient
réfugiés auprès de l'évêque, fussent à perpétuité bannis de
la ville. Louis de Bourbon refusa énergiquement de sous-
crire à ces exigences: il ne consentit pas à lever l'interdit,
et prétendit rentrer dans la Cité avec les bourgeois mis en
(i) ' Le comte de Charolais entra dans Dinant, avec son armée, le 26 août
1466. La ville s'était rendue la veille.
(«) Jean de Troyes, page 3io; Philippe de Commines, 1. XI, p. 437; Olivier
de la marche, t. X, pp. 237 et suivantes. — * Renard de Rouveroi était
maître ou bourgmestre de la ville de Liège, en 1 166. Il remplit aussi à diffé-
rentes reprises la charge de capitaine des milices liégeoises, et était gouver-
neur de Saint-Troncl lorsque cette place fut assiégée par le duc de Rourgogne.
Voyez Abry, Recueil des Bourgmestres de Liège, pp. 165 et 173.
Il est avéré que les Liégeois ne vinrent pas au secours des Dinantais. Voyez
Jean de Haynin.
(3) * Parmi lesquels Gilles Démet, ancien bourgmestre, qui fut arrêté le 20
janvier 1466 et exécuté à Liège le 1er mars. On voit que les événements dont
il est ici question se passèrent avant la prise de Dinant. Cff Henaux, II, 103 ;
BOUILLE, llisi. du pays de Liège, II, 98.
— 18 —
accusation. De leur côté, les Liégeois ne voulurent céder
sur aucun de ces points, et l'on se trouva dès lors, pour
l'exécution de là paix, en présence des plus graves difficultés.
Philippe et son fils intervinrent auprès de l'évèque pour
l'engager à placer le bien public au dessus de ses intérêts
privés et du sort d'une poignée d'hommes, et cela avec
d'autant plus d'empressement que les Liégeois avaient, a
cette condition, promis de se soumettre à son arbitrage.
Mais ce fut en vain. Louis persista dans son refus, et lors-
qu'enfin les alliés des Liégeois, désignés sous le nom cle
compagnons des vertes tentes (1), vinrent à leur secours
au nombre de quatre mille et ravagèrent les environs de
la Cité, Philippe envoya à Rome Guillaume, évêque de
Tournay, et Jacques d'Ostende, provincial des Ermites au-
gustins de Flandre, pour demander à Paul II de ratifier la
paix et d'envoyer à Liège un légat agréable aux deux par-
ties, afin qu'il put aplanir les difficultés, modérer les pré-
tentions exagérées de l'évèque et venir en aide au duc pour
obtenir la levée de l'interdit ainsi que le bannissement des
bourgeois qui avaient encouru la haine de leurs concitoyens.
Pour arriver à ces résultats, Philippe promettait d'appuyer
le légat de tout son pouvoir.
Jacques se mit en route avant l'évèque de Tournay. Il
n'était pas encore arrivé à Rome, que mourut, le 14 ou le 17
(i) Je suppose que les montagnards de Franchimont ou des Ardennes, ou
ces compagnons mêmes, e'taient des bourgeois de Liège dont la faction fut
chassée de la Cité pendant les troubles précédents et qu'ils s'appelèivnt ainsi
à cause des ramées des Ardennes ; au moins ressort-il avec évidence de la
relation d'Onufrius, que les compagnons des vertes tenles n'habitaient pas la
ville de Liège. Ce parti forma, plus lard, l'élite des forces liégeoises. — * Voy.
Chapeaville, Gesta pontifie, leodiens., t. II!, p. 137, et cfi- Gachard, Col-
lectai de documents inédits concernant V histoire de la Belgique, t. II, p.
433, note.
— 19 —
juin de l'année 1407 (1), Philippe le Bon, prince sage et libé-
ral, riche et puissant, qui éleva la maison de Bourgogne à
un haut degré de splendeur. Son fils et successeur, Charles
le Téméraire, était trop irréfléchi pour profiter de la bril-
lante situation que lui avait laissée son père et trop dominé
par ses passions pour ne pas en abuser. La destruction de
Pinant était le seul fait qu'on put reprocher à Philippe;
pour tout le reste, sa mémoire était bénie par ses sujets.
Paul II soumit au collège des cardinaux la demande que
lui faisait le duc de ratifier la paix de Saint-Trond. Mais les
cardinaux déclarèrent d'un commun accord qu'il fallait la
repousser, surtout en ce qui concernait les articles relatifs
à la souveraineté et à la juridiction de l'Église de Liège ;
d'ailleurs l'évêque, pas plus que son Chapitre et le clergé
ni le peuple, n'avaient sollicité la confirmation de ce traité.
Toutefois, pour ne pas exaspérer la maison de Bourgogne
par un refus pur et simple,le pape résolut d'envoyer à Liège
un légat ex latere chargé de ramener la concorde entre les
partis, de lever l'interdit, do réintégrer les particuliers
dans leurs biens et leurs dignités, de vaincre l'opposition
par l'excommunication et même à l'aide du bras séculier,
enfin, d'exhorter leduc à s'abstenir de toute hostilité contre
l'Église, en se contentant de ses possessions actuelles déjà
suffisamment vastes. Paul II chargea de cette mission l'é-
vêque de Tricaria, Onufrius, dont il a été question plus
haut, homme d'une prudence et d'une énergie éprouvées, et
dont les intentions ont été, à tort, mises en suspicion par les
historiens français et bourguignons. Son départ, fixé d'abord
a la fin du mois d'août, dut être ajourné par suite de nou-
veaux désordres qui survinrent à Liège.
(i) Jacques du Clercq, Collection de Mémoires, t. XI, p. 117.— " Le
duc Philippe mourut à Bruges le lo juin 1467.
— 20 -
Les Liégeois, qu'en cette circonstance Olivier de la Marche
appelle à bon droit « les ennemis de leur propre bonheur, »
étaient indignés de ce que leur évêque ne voulait pas reve-
nir dans la Cité (1) : ils attribuaient cette résolution à une
influence hostile et ne se crurent pas liés plus longtemps
par une paix dont la première condition était le retour de
Louis ù Liège. Ils voulaient, après la mort de Philippe,
éprouver la fortune contre son fils. Aussitôt, ils formèrent
le projet de s'emparer par surprise du château de Huy, où
résidait l'évêque, et de le ramener à Liège. L'entre-
prise ne réussit qu'à moitié : Huy tomba entre leurs mains,
mais Louis parvint à s'échapper (-2); il chercha un asyle au-
près du duc et ne se fit pas faute de l'exciter contre les
Liégeois.
Déjà, Charles avait pris Saint-Trond (3), que Philippe s'é-
tait fait céder pour servir de boulevard à toute entreprise
contre le Brabant. Il rassembla son armée; ses hérauts
tenaient d'une main une épée nue, de l'autre une torche
allumée, sinistre présage signifiant que le duc se proposait
de mettre Liège à feu et à sang (4).
A cette nouvelle, Louis XI s'empressa de protester : les
Liégeois, disait-ii, contre lesquels ces hostilités étaient diri-
gées, étaient ses alliés ; mais, en secret, il s'engagea à les
sacrifier si le duc lui laissait pleine liberté d'agir contre le
duc de Bretagne. En réponse à cette proposition, Charles fit
savoir au roi que les Liégeois avaient été les aggresseurs ;
qu'une bataille était imminente et aurait lieu avant trois
(1) * Depuis l'année 1458, Louis de Bourbon avait établi sa résidence à Huy,
seule ville qui lui fût restée fidèle.
(2) * La ville fut prise dans la nuit du 16 au 17 septembre 1467.
(3) ' Le 21 décembre 1465, suivant la relation inédite de Jean de Haynin.
(4) Jean de Tboyes, /. c, p. 360.
— 21 —
jours : s'il la perdait, il savait bien que les Français agi-
raient à leur guise ; mais s'il la gagnait, il était certain que
Louis laisserait les Bretons en paix. Quelque courroucé
qu'il fût contre les Liégeois, le duc se laissa persuader, par
des conseillers généreux, de mettre en liberté les otages
qu'ils lui avaient livrés en garantie de l'observation de la
paix de Saint-Trond.
Au mois d'octobre de l'année 1467, Charles, à la tète d'une
armée nombreuse, parut devant la ville de Saint-Trond,
dont la garnison était commandée par un homme de grande
expérience, le chevalier Renaud de Rouvrai (1). Le cheva-
lier Baré (2), de Liège, accourut à son secours avec trente
mille hommes, mais parmi lesquels on ne comptait que
cinq cents cavaliers. Il existait dans le pays de Liège une
tradition selon laquelle aucun ennemi ne franchissait la
rivière de Hasbain (3) sans éprouver une défaite ; les Lié-
geois firent eux-mêmes l'expérience de l'exactitude de ce
dicton.
(0 ' Voyez plus haut, page 17, noie -1. Ce fut le 27 que Charles investit la
ville. Il l'assiégea le 29, lendemain de la bataille du Brusthem.
(2) * Fastré Baré de Surlet, chevalier, maître ou bourgmestre de Liège en
H(j7. Il joua un rôle important dans les événements qui sont racontés ici. Ce
fut lui, notamment, qui fil mettre en accusation Gilles Démet et ses compa-
gnons. (Voyez ci-dessus page 17, note 3.) Il périt à la bataille de Brusthem.
(5) * « Que nul ne passe le Habsbain, qu'il ne soit combattu le lendemain. »
Ol. delà Marche, édit. de Michaud et Poujoulat, p. 513-oU. La Hesbaie, on
l'a vu plus haut, était une division territoriale de l'ancienne principauté. La
rivière à laquelle il est fait allusion ici, était le Geer ou Jaar, qui prend sa
source à Lens-St-Remi dans la province de Liège, passe à Warommc, à Lens-
sur-Geer, à Oreye, enlre dans la prov.de Limbourg, passe à Otrange, Lowaige,
Tongres, Mail, et revient dans la prov. de Liège. Jean de Haynin, plus exact
qu'Olivier de la Marche, dit: * De mémore d'homme, on disoit qu'on n'a voit
onques veu nuls gens d'armes estant passés outre la rivière de Gerre pour
nuire ou pays, qui y séjournassent vingt-quatre heures sans estre combattus. »
— 22 —
Charles détacha douze cents hommes de son armée pour
arrêter les troupes françaises qui, suivant la rumeur pu-
blique, accouraient au secours des Liégeois. On croit, en
effet, que Louis XI avait donné l'ordre au brave Dammartin
d'entrer en campagne avec deux cents lances et six mille
archers (1). Mais ce renfort ne vint pas ou arriva trop tard ;
il paraît toutefois qu'un agent français se trouvait à Liège
pendant toute la durée des négociations.
Le choc entre les Bourguignons et l'armée du chevalier
Bare eut lieu, le 24 octobre, près du village de Bruischen,
dans le voisinage de Saint-Trond (2). D'abord les Liégeois,
quoique mal armés, remportèrent quelques avantages sur
les archers ennemis, grâce à leurs longues hallebardes ;
mais ils durent enfin céder devant les glaives bourguignons,
laissant trois mille hommes — six mille, suivant Com-
mines — sur le champ de bataille ; parmi les morts se trou-
vait le chevalier Baré. Trois jours après cette défaite,
Renaud rendit la ville de Saint-Trond au vainqueur (3) ;
pour échapper au pillage, tout le comté de Looz, Tongres
et dix autres villes suivirent cet exemple.
Privée de ses alliés et de ses postes avancés, Liège se
trouva réduite à ses propres forces. Charles vint asseoir
(1) Jean de Troyes, /. c. ; Robert Gaguin, l. c, p. 263. Il faut remarquer,
toutefois, que Dammartin parait avoir lui-même nié le fait dans sa correspon-
dance. Voyez une note au texte de Philippe de Commines dans la Collection de
Mémoires, t. XI, page 445.
(2) C'est ainsi qu'Onufrius nomme celte localité; Olivier de la Marche l'ap-
pelle Bruslan et Philippe de Commines Brustein. — * C'est Bruslhem, à une
demi -lieue S.-E. de Saint-Trond. La défaite des Liégeois à Brusthem eut lieu
le 28 octobre. Voy. Gachard, Coll. de documents inédits, t. II, p 168. Jean
de Haynin, dans sa relation inédite, donne une description très détaillée de la
bataille.
(s) * Charles entra clans Saint-Trond le 7 novembre,
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*0 ^^
son camp près de l'abbaye de Saint-Laurent, sous les
murs mêmes de la ville.
L'hiver approchait ; des pluies continues avaient changé
en marais tous les environs. L'armée bourguignonne man-
quait de tout, tandis que la Cité était abondamment pour-
vue de défenseurs et de vivres. Si elle avait suivi le conseil
de Raes de Lintre (1) et d'autres courageux citoyens, et
résisté pendant quelques jours, Charles eût été obligé
de lever le siège. Mais les Liégeois étaient divisés en plu-
sieurs factions hostiles les unes aux autres: les partisans de
l'évêque, rappelant la générosité avec laquelle le duc avait
rendu les otages, firent décider qu'on lui remettrait les clefs
de la ville, à la condition de ne pas la livrer au feu et au
pillage. Au moment même où Charles entrait par une
des portes, Raes de Lintre et ses partisans en sortaient
par une autre (2).
Cette fois, c'était au vainqueur à fixer les conditions de la
paix ; celles qu'il imposa furent plus dures encore qu'an-
térieurement. » Toute juridiction, de quelque nature qu'elle
soit (3), dont la commune et les métiers se sont emparés, leur
(1) 'Ou Raes de Heers. Raes de la Rivière, seigneur de Heers et de Lintre,
chevalier, était le chef du parti populaire. Voyez Abry, Recueil des Bourg-
mestres de Liège, p. 170, et Le Beffroi, 1. 1, p. 88, article de M.Cam. deRorman.
d) Jean de ïroyes, l. c. ; Olivier de la Marche, t. X, pp. 272 et suiv. ;
Philippe de Comm ines, t. XI, p. 440. — 'Voyez Rénaux, op.cil., t. H, pp. 132, 153.
(s) Savoir: 14 scabini, 12 eleclores, 12 generaliones, 22 magistri civilatis,
12 jurali d?* vinâves, se. quarteriorum civilatis et suburbiorum, 64 guberna-
tores ministeriorutn mechanicorum, 16 commissarii, etc. — * Cette liste est
incomplète et inexacte : les 14 échevins, présidés parle mayeur, constituaient
le premier tribunal séculier du pays ; les 2 maîtres ou bourgmestres et 12 ju-
rés formaient le magistrat de la cité ; les jurés des vinâves étaient préposés à
la police des six quartiers de la ville ; les gouverneurs des 32 métiers exer-
çaient une juridiction sur leur corporation, etc. Le nombre et la dénomination
de ces officiers municipaux ont, du reste, plusieurs fois varié.
— 24 —
est retirée ; elle ne peut être exercée que par 1 evêque, au
moyen d'échevins (scabini) nommés par lui ; ces échevins,
qui prêteront serment entre les mains du duc en sa qua-
lité de gardien et avoué de la ville, sont tenus de rendre
la justice, non d'après l'ancien droit coutumier qui est
déclaré aboli, mais suivant les lois écrites ; Liège s'étant
rendue indigne d'avoir dans ses murs le siège du tribunal
spirituel de l'évèque (sedes episcopalis in curia spiri-
tuali), il sera transféré, du consentement de l'évèque et du
Chapitre, dans trois villes ducales, savoir: Maestricht,
Louvain et Namur ; à Liège, les privilèges des trente-deux
métiers (1) et les confréries elles-mêmes sont supprimés ;
la colonne appelée le péron (2), sera enlevée du Marché et
devra disparaître des armoiries de la ville ; l'évèque et ses
successeurs ne pourront percevoir les droits de transit sur
la Meuse sans l'autorisation des ducs de Bourgogne ; ceux
qui, sans attendre les effets de la clémence de Charles, ont
quitté la ville, resteront bannis pour toujours et leurs
biens seront confisqués au profit de l'évèque et du duc ;
tous les fiefs appartenant aux ennemis du duc sont dévolus
à l'évèque ; les objets enlevés dans les églises de Huy seront
restitués; l'évèque sera indemnisé de tous frais pour les pro-
cès qu'il a soutenus, tant à Rome qu'ailleurs ; la sentence
du pape au sujet des droits juridictionnels de l'évèque, sera
confirmée. Les stipulations du traité de Saint-Trond rela-
(«) A Liège, tous les habitants, môme étrangers, (levaient acquérir la bour-
geoisie s'ils voulaient jouir de quelque considération, et celle acquisition ne
pouvait avoir lieu qu'en se laissant inscrire sur les rôles d'un mélierou corpo-
ration. Philippe de Commines, t. XI, p. 453, note \. — * Voy. S. Bormans, Le
bon métier des tanneurs de la cité de Liège, pp. 136 et suiv.
(2) C'était une colonne en cuivre, surmontée de quatre statues. Elle fut
transporlée à Bruges. — * Voyez une gravure représentant le Péron dans Abry,
Recueil des bourgmestres de Liège, p. 187.
— 25 —
tives à une chapelle expiatoire, au titre d'avoué, au passage
de la Meuse, etc., furent maintenues ; on y ajouta même
plusieurs autres conditions humiliantes, notamment : que
les Liégeois ne pouvaient déclarer la guerre, élever de for-
tification ni fabriquer des armes ou autres engins de guerre
sans l'autorisation préalable du duc ; qu'ils démoliraient jus-
qu'à ras du sol leurs murailles, leurs portes et leurs tours ;
qu'ils payeraient cent quatre-vingt mille florins d'amende et
livreraient au bon plaisir du duc, pour expier les crimes de
la ville, douze bourgeois à son choix. Quelques clauses ajou-
tées en faveur de Maestricht, affranchissaient en partie
cette ville de sa dépendance à l'égard de l'évêché. " C'est à
ces conditions onéreuses et cruelles que la Cité obtint
la paix, le 18 novembre de l'année 1467 (î).
Louis de Bourbon et son Chapitre ayant jugé que l'Eglise
de Liège se trouvait lésée par les dispositions relatives à la
juridiction et à la suzeraineté du pays, demandèrent, sur ce
point, l'observation complète de la sentence du pape. Mais
Charles ne voulut pas entendre parler d'exception et exigea
la ratification pure et simple de la paix telle qu'il l'avait
dictée. La plupart des chanoines convinrent de s'en rap-
porter à la décision du Saint-Siège et rédigèrent secrète-
ment un acte authentique, par lequel ils déclaraient n'avoir
donné leur consentement que contraints et forcés. Cette
protestation fut, secrètement aussi, remise plus tard au
légat Onufrius, aussitôt après son arrivée à Liège.
Charles ne se contenta pas des sommes extorquées aux
Liégeois. Il imposa aux villes alliées de la Cité toute espèce
(i) ' Ces conditions furent acceptées par les Liégeois le 20 novembre.
Le texte de la sentence se trouve dans le Recueil des ordonnances de la
principauté de Liège, lre sérip, page 615.
4
- 26 -
de contributions, sous forme d'amendes, de dons, de ving-
tième denier (i), etc : toutes ensemble, elles devaient payer,
dans les trois mois, une somme de trois cents mille florins ;
de plus, sous prétexte d'une ancienne dette de cinq cent
trente mille florins due à son père, il greva le pays d'une
taille extraordinaire sur toutes les denrées commerciales
et de consommation. Ce nouvel impôt, qui s'élevait à cent
mille florins du Rhin par an, frappait même le clergé et
les laïcs partisans de l'évèque ; c'étaient des percepteurs
nommés par le duc qui, jusqu'au paiement intégral de cette
somme, étaient chargés d'en faire la recette ; tous les biens
des églises, des Chapitres, des couvents ou des collèges
(probablement les écoles ecclésiastiques et les séminaires)
devaient servir d'hypothèque, de façon qu'en cas de non
payement, ces biens pouvaient être vendus à l'encan. Aussi,
avant l'arrivée du légat, des propriétés ecclésiastiques pour
une somme de quarante mille florins avaient déjà été
aliénées. Mais l'Eglise s'était réservé le droit de rachat.
Immédiatement après la conclusion de la paix, la démoli-
tion des murailles fut commencée à Liège et dans les six
principales bonnes villes du pays ; les privilèges furent
anéantis ; le siège de la cour ecclésiastique fut déplacé, et
parmi les douze bourgeois dont la remise avait été exigée
par le duc, neuf eurent la tète tranchée.
Après cette exécution, Charles retourna triomphalement
a Bruges, à la tête de son armée, emportant avec lui le
péron des Liégeois et traînant à sa suite un grand nombre
d'otages. Il avait laissé à Liège, en qualité de lieutenant,
pour veiller à ses intérêts et à l'exécution de la paix, un de ses
ministres les plus dévoués, Gui de Humbercourt. chevalier
(i) Dans le manuscrit : vicena pour vigesima.
— 27 —
picard (i). Un autre de ses fidèles, bourguignon de naissance,
fut investi de la présidence du Conseil de l'évêque (2), de
sorte que rien ne pouvait se faire sans l'assentiment du duc.
Ses serviteurs ne ménageaient ni ecclésiastique ni laïc et
exigaient, pour leurs peines, un salaire de cent florins d'or
par jour (?) (3). Les cloches mêmes des temples, sous prétexte
qu'elles avaient appelé le peuple aux armes contre les Bour-
guignons, furent confisquées dans les villes et jusque dans
les villages, puis revendues aux églises a des prix exhorbi-
tants. Les remparts de la Cité et des bonnes villes devaient
être démolis et les fossés comblés aux frais des habitants;
c'étaient de vieilles et solides murailles qui ne tombaient
pas au premier coup de pioche ; si, pour ce motif, on
demandait un délai dans l'accomplissement de ce travail,
on ne l'obtenait qu'à prix d'argent. Malgré les plus vives
protestations, la juridiction temporelle de la principauté,
qui appartenait à l'évêque et à l'Eglise, resta entre les mains
du duc.
On le voit, les Liégeois étaient traités, non en nation
indépendante, mais en sujets révoltés ; beaucoup d'entre
eux, préférant l'exil à l'esclavage, émigrèrent.
Lorsque la connaissance de ce fait arriva à Rome, Paul II
manda à l'évêque de Tricaria de se rendre immédiatement
à son poste. Par une bulle datée du 3 février 1468, il lui
(1) * Guide Brimeu, seigneur de Humbercourt, lieutenant-général du duc de
Bourgogne dans le pays de Liège. Nous retrouverons plus loin ce person-
nage.
(2) * En temps ordinaire, c'était le chancelier qui remplissait les fonctions
de président du Conseil privé. Le chancelier de Louis de Bourbon était Bay-
mond de Marliano, cité plus loin.
(3) * Ce point d'interrogation existe, et avec raison, dans le texte de
M. Estrup.
— 28 —
conféra des pleins pouvoirs pour négocier la paix entre l'é-
vêque et ses villes, pour lancer ou lever l'interdit ; il reçut
surtout pour mission d'exhorter le duc à ne pas souiller
l'éclat de la maison de Bourgogne par des attentats contre
l'Eglise. Le légat était enfin autorisé à ratifier, au nom du
pape, et avec le consentement des partis, tous les traités an-
térieurs, à l'exclusion, toutefois, des clauses contraires à la
souveraineté, au domaine, à la juridiction et à la liberté de
l'Eglise (i). Muni de ce mandat, Onufrius quitta Rome le
27 février 1468, avec cinq serviteurs à cheval ; dans sa suite
se trouvaient encore d'autres personnes, notamment Guil-
laume, abbé de Deutz près de Cologne, et le docteur Henri
de Lovemborgh, chanoine de Liège (-2). En route vint le
rejoindre le docteur Raymond de Morigliano (3), ancien
membre du Conseil du duc Philippe et, depuis, de celui de
l'évêque de Liège.
Après avoir traversé le Tyrol et la Souabe, le légat ar-
riva à Mayence, où une indisposition l'obligea à faire un
court séjour. Puis il descendit le Rhin jusqu'à Cologne ; là,
il trouva les chefs du clergé liégeois et de la noblesse du
pays qui, avec une escorte de soixante cavaliers, atten-
daient impatiemment son arrivée. Une nouvelle indisposi-
tion l'arrêta encore huit ou dix jours à Cologne ; mais il sut
mettre ce retard à profit pour rétablir la bonne intelligence
(1) L'étendue de ces pouvoirs réfute péremptoirement les écrivains bourgui-
gnons qui prétendent qu'Onufrius aurait dépassé, plus tard, les limites de sa
mission.
(2) * Guillaume Laner de Breitbach, «• vir nalalibus clarus, sed longe clarior
virtutibus » (Gallia chrisliana, t. III, col. 756), et Henri de Lovenberg ou
Lovenborcli, du diocèse de Cologne. Voyez de Theux, nji. cit., t. II, p. 282.
(5) * Maître Raymond de Marliano, professeur à Dôle et à Louvain, chanoine
de Besançon et de Liège, chancelier de Louis de Bourbon. Voyez de Theux,
/. c, H, 306. Cfr ci-dessus p. 27, note 2.
— 29 -
entre l'archevêque Robert (1) et ses sujets. Il put enfin ache-
ver son voyage, partie en voiture, partie en bateau sur la
Meuse, et s'installa chez les Chartreux ; le couvent de ces
religieux, situé non loin des murailles de Liège, n'était
séparé de la ville que par le fleuve, dont un pont reliait
les deux rives. Aussitôt qu'ils eurent appris l'arrivée
du légat, les habitants de la Cité, hommes et femmes, accou-
rurent en foule pour le supplier de lever l'interdit ; depuis
longtemps les cloches des églises n'avaient plus appelé le
peuple à la prière. L'époque de la réforme religieuse appro-
chait, il est vrai, et la liberté civile, dans son développement
progressif, se trouvait prête pour combattre la hiérarchie
comme elle avait autrefois lutté contre l'aristocratie ; mais
la foi était encore assez vivace pour devenir une arme
redoutable.
Louis de Bourbon, le clergé et une députation de bour-
geois se rendirent auprès d'Onufrius trois jours après son
arrivée. Le docteur Robert (2), moine de l'ordre des Carmes,
lui adressa une allocution en latin, au nom de l'évêque et
de la Cité. Alexandre Baral et Jobst de Marche (3) lui ex-
primèrent dans des discours français, le regret qu'éprouvait
la population liégeoise d'avoir désobéi au Saint-Siège, déso-
béissance qui avait causé tous ses malheurs. Louis, après
s'être agenouillé devant le légat, prit la parole pour
(i) * Ruperl, comte palatin du Rhin. Voyez Mering und Reischert, Die
Bischôfe und Erzbischôf'e von Coin. Coin, 1838-43. Voy. l'Introduction.
(■2) * « Ante alios Robertus adest, sacro ordine montis
Nomine Corneli, etc. »
(Ange de Viterbe dans VAmpl. Coll., IV, 1406).
(3) * Josse ou Judoc comte de la Marche, chanoine de St-Lambert. Voyez
de Theux, op. cit., t. II, p. 247. Alexandre Rérard était échevin de Liège.
Voy. Abry, op. cit., pp. 181, -182.
— 30 —
intercéder en faveur de ses sujets, déclarant qu'il avait reçu
pleine satisfaction pour les torts dont ils s'étaient rendus
coupables envers lui, et demandant la levée de l'interdit. Il
promit, au nom de la Cité et de toutes les villes du pays,
un subside de quatre-vingt mille florins pour faire la guerre
contre les Turcs. Tout cela fut mis par écrit et les pièces
authentiques délivrées au légat.
Le dernier jour du mois d'avril, Onufrius, entouré de tout
le clergé et suivi d'une foule nombreuse, fit son entrée so-
lennelle à Liège. Arrivé sous la porte de la ville, il leva l'in-
terdit et rendit aux prêtres excommuniés le pouvoir de célé-
brer,comme autrefois, les saints offices. Aussitôt les cloches,
que l'on n'avait plus entendues depuis trois ans, sonnèrent
à toute volée ; les églises — dont quelques-unes seulement
étaient restées ouvertes pendant l'interdit parce que leurs
desservants étaient des partisans de l'évèque — furent ren-
dues au culte. Les renseignements que nous donne ici Onu-
frius prouvent surabondamment que la cause de Louis de
Bourbon n'avait pas été, en général, embrassée par le
clergé, et que le différend qui révolutionnait la ville, était
occasionné non seulement par les usurpations des bourgeois
et de la Commune, mais encore par celles de l'évèque et du
Chapitre.
Louis de Bourbon qui, à la demande du légat, s'était
enfin fait sacrer (1), chanta solennellement sa première
messe le 1er mai et, portant entre ses mains l'hostie sainte,
(i) Piccolomini, dans Freher, Scriptores rerum germanicarutn, t. II, p.
273. — * Louis de Bourbon avait été ordonné prêtre dès le 6 juillet 1-466,
et sacré évèque le 13 du même mois. Voyez Ernst, Tableau des suffragants
de Liège, p. 139. Il ne chanta toutefois sa première messe que le 1er mai de
l'année suivante.
— 31 —
visita les églises et fit le tour du Marché , suivi du
clergé et de toute la population (1).
Cependant Onufrius avait de fréquentes conférences avec
les plus anciens membres du clergé et de la Commune, à
l'effet de s'entendre sur les réformes à introduire dans l'ad-
ministration des affaires ecclésiastiques, sur la restitution
des objets enlevés aux églises, etc. Dans ces réunions, l'é-
vêque et les délégués des villes formulaient leurs griefs
contre le duc de Bourgogne, qu'ils identifiaient avec Ario-
viste, tandis qu'ils se comparaient aux Gaulois opprimés et
nommaient Onufrius leur César (2). L'un prétendait être
relevé d'un serment qu'il n'avait prêté que sous l'empire
de la crainte; un autre voulait que l'on mit des bornes aux
exactions du duc; tous étaient d'accord pour demander qu'on
arrêtât la démolition des murailles. Mais, en même temps,
chacun, redoutant la colère de Charles, suppliait le légat de
ne pas le dénoncer. Onufrius rassurait tout le monde avec
bonté, disant que le Saint-Père se chargerait de résoudre
les difficultés et que le duc respecterait sa sentence.
A la demande réitérée d'un grand nombre de Liégeois, le
légat se rendit à Bruges, le 8 juin, avec toute sa suite. On
ne manqua pas de le prévenir qu'il courait au-devant d'un
affront : qu'il avait été décidé dans le Conseil du duc qu'il
ne serait pas reçu comme légat et n'obtiendrait pas
même audience s'il venait plaider en faveur des Liégeois.
Onufrius ne se laissa pas déconcerter par ces dires ; il dé-
clara qu'il " défendrait les justes réclamations de l'Eglise
(1) * Cfr. Adrien de Veteri Busco, dans V Amplitsima collectif) de Mar-
tène et Durand, t. IV, col. 43252.
(î) * Arioviste, roi des Suèves, vaincu par Jules César vers l'an 59 avant
Jésus-Christ.
— 32 —
de Liège, et que si on ne le recevait pas, il retournerait au-
près de celui qui l'avait envoyé. » On croit que les avertis-
sements anticipés donnés au légat avaient pour but d'éviter
à Charles une entrevue pénible ; mais il n'osa pas considérer
la bulle du pape comme non avenue et, voyant la fermeté
du prélat, il lui fit, à Bruges, une réception convenable.
Après trois jours d'attente, Onufrius obtint une première
audience ; il eut ensuite avec le duc plusieurs entrevues
particulières oU il fut question de différentes choses. Enfin,
les affaires de Liège furent abordées : Charles demanda au
légat, d'abord en l'absence de témoins, puis devant son chan-
celier, de ratifier par écrit et sous l'autorité du pape, tout
ce qui avait été stipulé à Saint-Trond du temps de son père
Philippe, et plus tard par lui-même, à Bruischen (1), après
la reddition de Liège. Onufrius, avait prévu cette demande :
« C'est avec plaisir, répond-il, qu'il ratifiera ce qui a été
convenu précédemment entre les deux partis pour protéger
le duc contre les attaques des Liégeois et lui faire payer l'in-
demnité de guerre fixée dans les traités ; mais il doit exiger
la modification de tous les articles relatifs à la juridiction
et à la souveraineté du pays,lesquelles ont été expressément
réservées par la paix de Saint-Trond et garanties à l'évêque
par la sentence de Paul II ; le pape ne peut confirmer des ré-
solutions prises au préjudice de l'Église: il doit, au contraire,
les repousser ; c'est à cause de son respect pour la maison
de Bourgogne qu'avant de faire cette déclaration publique-
ment, il a voulu en informer le duc ; celui-ci ne peut s'é-
tonner de ce que l'Église défende et revendique ce qui lui
appartient ; elle lui offre, du reste, en retour, des garan-
ties et une compensation convenables ; le duc, se trouvant
(i) * Lisez Brusthem.
— ^3
dans son camp devant Liège, avait fait publier dans toutes
les églises du Brabant qu'il avait pris les armes contre les
Liégeois sur les ordres du pape, pour venir au secours de
l'Eglise ; mais il est évident que beaucoup de choses se sont
faites contre la volonté du pape et au grand détriment de
l'Eglise, et que la situation s'aggrave tous les jours ; des
plaintes nombreuses, qui ne sont pas à l'avantage du duc.
lui ont été faites ; sans doute, bien des faits se sont passés
à l'insu de ce prince, mais il est tout-à-fait impossible que les
affaires de Liège restent dans l'état où elles se trouvent. »
Charles réfléchit quelques instants et, après s'être entre-
tenu avec son chancelier, il déclare •• avoir bien compris le
légat ; mais cette question présente tant de difficultés qu'il
veut la soumettre à son Conseil ; il espère, dans quelques
jours, pouvoir donner une solution favorable à l'Eglise et
agréable au pape. »
Différentes circonstances empêchèrent le duc d'examiner
les réclamations du légat. Ce furent d'abord les fêtes —
décrites tout au long par Olivier de la Marche (1), — qui
eurent lieu en Flandre lorsqu'une flotte de dix-huit navires
amena la sœur du roi Edouard IV d'Angleterre, et que cette
princesse fit son entrée à Bruges comme fiancée du duc
Charles, avec une suite nombreuse de gentilhommes (2).
Cette alliance de la maison de Bourgogne avec un des mo-
narques les plus puissants de l'Europe, ennemi déclaré de
(1) Collection de Mémoires, t. X, pp. -299 et suiv. Celte description donne
une idée, non seulement de la magnificence et de la richesse de la cmir de
Charles, niais aussi du goût artistique qui régnait à celte époque.
(2) Commises, Collection de Mémoires, t. X, [>. i6-2. — * Marguerite d'Yorck
débarqua à Damme le samedi 2 juillet. Charles arriva le lendemain à Bruges,
où rut lieu aussitôt la cérémonie du mariage.
5
— 34 —
Louis XI, rendait moins probable encore toute concession
de la part de Charles. Il activa, en effet, ses armements
contre la France, car la guerre était recommencée entre
Louis XI et le duc de Bretagne, et celui-ci réclamait le
secours du duc de Bourgogne.
Deux mois se passèrent ainsi sans que le légat reçut de
réponse à ses observations. Dans l'intervalle , on avait
discuté les clauses de la paix considérées comme préjudi-
ciables à l'Eglise ; mais de nouvelles difficultés rendaient
la marche de cette étude plus lente et plus pénible :
en effet, Louis de Bourbon, par l'intermédiaire de son se-
crétaire Richard (i), informait le légat que les Bourgui-
gnons, en dépit des protestations, continuaient à démolir
les remparts de Liège et à empiéter de toute manière sur la
juridiction épiscopale.
Vers la fin du mois de juillet, Charles voulut aller visiter
la Hollande, qu'il n'avait pas revue depuis la mort
de son père ; il demanda à Onufrius de prolonger de
quelques semaines son séjour à Bruges, promettant de
lui donner à son retour une réponse décisive ; il le priait en
même temps de solliciter du pape la solution de quel-
ques difficultés qui devaient être préalablement écartées.
Quoique fatigué de cette longue et vaine attente, le légat
se soumit au caprice du duc. Mais bientôt, sur l'observation
de ce prince qu'il l'attendrait plus à l'aise à Bruxelles,
il quitta Bruges pour aller dans cette ville, qui le rappro-
chait de Liège.
Le duc revint de son voyage à l'époque fixée ; il était
(i) * Richard de Troncillon, conseiller et secrétaire de Louis de Bourbon,
chanoine de St-Lambcrt, vicaire-général de l'évoque. Il fut assassiné àSt-Trond,
le 10 août 1474. Voy. de Theux, op. cit., t. H, p. 289.
— 35 —
accompagné de Charles, archevêque de Lyon (1), frère de
Févèque de Liège, envoyé par Louis XI à la cour de Bour-
gogne pour l'assurer que l'armée française, rassemblée sur
les frontières de la Picardie, n'était pas destinée a faire la
guerre au duc, mais qu'au contraire, le roi de France était
prêt à se soumettre à son arbitrage pour terminer sa
querelle avec le duc de Bretagne et le prince Charles de
France. Mais les efforts réunis de l'archevêque et du légat
furent impuissants pour rien changer aux sentiments du
duc et de sa mère: Charles n'avait aucune confiance en
Louis XI et son intérêt évident était de venir en aide au
duc de Bretagne.
Ce fut donc sur les affaires de Liège que se porta tout l'in-
térêt de l'entrevue.Le duc et ses ministres s'obstinaient à de-
mander la ratification des traités en disant « qu'ils étaient
avantageux aux deux parties ; que s'il y avait lieu de les
modifier en quelque point,le duc ne pouvait convenablement
le faire en l'absence des autres intéressés, c'est-à-dire de
l'évêque de Liège et des Etats. « A quoi le légat ré-
pondait avec beaucoup d'à-propos, « que lui, de son côté,
ne pouvait pas y donner son approbation, puisque, seule, la
partie demandant la confirmation était présente ; que si
l'évêque, les hauts dignitaires du Chapitreet les Etats attes-
taient par serment l'utilité de cette ratification par
l'Eglise, il ne se refuserait pas à la donner. » On convint en
conséquence de faire venir l'évêque de Liège à Bruxelles.
Louis de Bourbon eut d'abord de nombreuses conférences
avec le légat et l'archevêque de Lyon, qui s'intéressait aux
affaires de Liège, non-seulement à cause de son frère mais
encore en qualité d'ambassadeur de Louis XI ; après quoi,
(i) * Charles de Bourbon, intronisé en 1466, mort le 17 septembre 1488.
— 36 —
les trois prélats obtinrent une audience de Charles, dans la
petite chapelle de ce prince. Le légat ayant déclaré qu'il per-
sistait dans son avis au sujet de la ratification des traités,
le duc s'adressant à l'évêque lui demanda ce qu'il désirait :
ou bien la confirmation pure et simple des paix antérieures,
ou bien leur modification. Louis répondit d'un air embar-
rassé qu'il suivrait les conseils des plus anciens membres
du clergé et des Etats. Cette réponse évasive mit Charles en
fureur : " Je m'étonne, dit-il, que toi et tes prélats vous
vous montriez aujourd'hui beaucoup plus difficiles que lors-
qu'on traitait ces questions aux portes de Liège. Votre
détresse même devait vous rendre alors plus clairvoyants.
Souviens-toi que tout ce qui est fait, l'a été sur ta demande,
car tu considérais comme avantageuse à tes intérêts et
à ceux de ton Église mon intervention pour dompter l'au-
dace effrénée de ton peuple. » Louis fit observer « que le
légat ne demandait autre chose sinon de savoir si lui-
même, évèque, et son Chapitre avaient accepté les traités
sans faire de réserve, et qu'il n'avait pas dessein de cacher la
vérité. » Le duc, dont la colère augmentait à chaque objec-
tion, s'écria : « Je vois bien que vous avez adopté la politique
du roi Louis de France, qui a l'habitude de retirer ses pro-
messes faites sous la foi du serment. Tu veux marcher sur
ses traces, Louis de Bourbon ! Je me soucie peu que ces
dispositions soient ratifiées ou non : je saurai bien faire res-
pecter ma volonté par les armes. » A ces mots, il mit
la main à son épée et fit avancer ses chevaux pour mar-
cher immédiatement contre les Français. Les deux évêques
restèrent interdits. Le légat n'avait pas compris le duc
qui s'était exprimé en français (i) ; mais s'étant fait tra-
(i) * Cependant, nous avons vu plus haut, p. 29, qu'Onufrius entendit deux
discours français de Jossc de la Marche et de Bérard.
— 37 -
duire ses paroles, il émit l'avis « que l'évêque de Liège avait
raison en disant qu'il fallait connaître l'opinion des Etats ;
que sur les cinquante articles de la paix, dix ou douze seule-
ment devaient être modifiés comme étant préjudiciables
aux intérêts de l'Eglise ; il pria, en conséquence, le duc
d'envoyer à Liège deux de ses ministres, pour délibérer
sur cet incident avec l'évêque et lui-même. » Charles
réfléchit un moment à cette proposition, puis déclara
•• qu'il ne lui convenait pas d'envoyer des ministres à
Liège, parce qu'il aurait l'air de chercher, lui aussi, à ap-
porter des changements aux traités ; il serait préférable,
selon lui, qu'Onufrius, en qualité de médiateur désintéressé
dans la question, sondât les dispositions du clergé liégeois
pour l'informer ensuite de son sentiment. » Le légat déféra
au désir du duc, et promit de lui rendre compte de ses dé-
marches, soit par lui-même, soit par l'entremise de deux
chanoines. Là-dessus, le duc prit congé et donna le signal
du départ à son armée.
Onufrius quitta Bruxelles le 22 août et rentra à Liège.
Le 23 , il reunit en synode le clergé de la Cité dans
l'église de St-Lambert ; après avoir exposé le résultat de
ses négociations avec le duc, il demanda qu'un débat fût
ouvert sur les points à modifier dans les traités. On put
constater alors que l'archidiacre Robert (i) et certains
membres du clergé , aux conseils desquels les Liégeois
attribuaient toutes les fautes de leur évèque, avaient été
gagnes par Charles ou. du moins, n'osaient pas le
contrarier dans ses desseins ; que d'autres, sincèrement
attachés à l'Eglise, étaient dominés par la crainte de voir
leurs déclarations divulguées; que tous, enfin, auraient
0) ' Voyez ci-dessus page 8, note 2.
— 38 —
voulu mettre le légat en avant et le charger de porter,
de sa propre autorité, remède aux souffrances de l'Eglise,
qui — on l'avouait sans scruter davantage la question
— s'était mise dans son tort. Onufrius, devinant ces fai-
blesses, fit prêter serment à l'évêque et aux chanoines
d'exposer franchement leur opinion et défendit à chacun,
sous peine d'excommunication , de révéler au dehors les
déclarations de ses confrères. Cette menace produisit son
effet. Au bout de huit jours , une commission de huit
chanoines remit au légat un mémoire sur les articles
qui paraissaient devoir être modifiés; ils avaient trait à la
juridictiou, au domaine et aux biens de l'Eglise, et aussi à
la démolition des murailles de la Cité, « sans lesquelles,
disaient-ils. ils ne pourraient servir leur maître en sécurité
ni résister aux attaques de l'ennemi. » Deux chanoines
furent désignés pour se rendre à Péronne, où Charles avait
établi son camp, et lui faire connaître le résultat des déli-
bérations. Mais des événements imprévus vinrent retarder
leur départ.
Un courrier arriva dans la Cité apportant la nouvelle que
les bourgeois de Liège bannis par la sentence du duc (1), après
s'être réfugiés dans les Ardennes, pillaient et ravageaient la
principauté et, de concert avec les habitants des villes dont
les murailles étaient démolies (2) , avaient dessein de se
rendre maîtres de ces places. Aussitôt des émissaires furent
envoyés dans diverses directions pour avoir des renseigne-
ments exacts. Le 9 septembre, pendant que Louis de Bour-
bon était à Maestricht et, conformément aux lois, présidait
une journée d'Etat, les exilés, sous les ordres du comte Vin-
()) * La sentence du 18 novembre U67. Voy. ci-dessus pages 23 à 25.
(2) * Notamment Tongres,Sainl-T rond, Visé. Voyez Adrien de Veteri busco,
l. c, col. 1323.
— 39 —
cent de Buren(i),de Jean le Sauvage (2), gueldrois, des frères
deStrasen(3), lossains, et de quelques autres, firent irruption
dans la ville de Liège aux cris de : Vivent le Roi et les Lié-
geois libres! (4) Ils avaient arboré des drapeaux aux cou-
leurs françaises et portaient à droite, sur la poitrine, une
croix blanche (5) avec les armes de Louis XL Ce monarque
avait été assez adroit pour conclure avec le duc de Bre-
tagne une paix particulière, et Charles le Téméraire était
exaspéré au plus haut point de l'infidélité de son allié. Le
roi caressait aussi alors l'espoir d'une réconciliation avec
la cour de Bourgogne et, dans ce but, il chercha à avoir une
entrevue avec le duc. Mais Charles hésitait à l'accorder
parce que, dit Commines (6), il avait appris que les Liégeois,
à l'instigation du roi, s'étaient mis en révolte ouverte contre
leur évêque. On soutenait même que ses émissaires avaient
été vus à Liège. Le récit qu'Onufrius fait de la rentrée des
bannis dans la Cité, justifie les soupçons de Charles. En
effet, s'ils n'avaient été encouragés sous main par Louis XI,
(i) * Vincent de Bucrcn était fils de Guillaume, sire de Bueren, et d'Ermen-
garde de Lippe.
(2) * SUFFRIDUS PETRI dans Ciiapea. ville, Gesta pontif. leodicnsium, t. Il,
p. 2G0, l'appelle Villanus. Jean le Sauvage (en flamand de Wilde), descen-
dait d'une branche cadette de la maison de Horne et était seigneur de Kesse-
nich. M. le Baron df, Chestret a écrit un excellent article sur ce personnage
dans le Bulletin de l'Institut archéolog, liégeois, t. XIII, p. 5. Il remarque,
avec raison, que tous ces capitaines de partis sortaient des rangs de la noblesse.
(3) * Les frères de Straile, Eustache et Goswin, étaient fils d'un ancien bourg-
mestre de Liège. Voy. Abrï, op. cit., p. 448.
(1) * « Intraverunt civitatem circa horam XI, et clamantes : » Vivat Bex ! «
Adrianus de Veteri Biisco, op. cit., col. 1332.
(5) * Lisez droite (crux recta), par opposition à la croix de Bourgogne, qui
était en sautoir.
(f.) Collection de Mémoires, t. XI, pp. 462-89
— 40
tous les Liégeois, hommes et femmes — à l'exception de
deux cents qui étaient d'un avis contraire et qui, pour ce
motif, furent massacrés ou jetés en prisons, — ne se seraient
pas empressés d'attacher sur leur poitrine une croix
blanche, montrant par là qu'ils embrassaient le parti des
exilés. Ceux ci étaient d'abord à peine au nombre de deux
cents : la nuit suivante ils étaient mille et, peu de
jours après, dix mille. Les fonctionnaires bourguignons .
les partisans et les serviteurs du duc s'enfuirent lâche-
ment. Tout le monde s'accorde à dire que s'ils avaient
opposé la moindre résistance, ils auraient repoussé la pre-
mière invasion, puis toutes les autres.
Fendant que s'accomplissaient ces événements, beaucoup
de personnes étaient venues chercher un refuge auprès d'O-
nufrius installé dans l'abbaye de St-Jacques (1) ; les uns l'en-
gagaient à rester, parce que le peuple l'aimait ; d'autres lui
conseillaient de fuir sous un déguisement, « car, disaient-ils,
les bannis pourraient se venger sur lui et sur les siens de
l'excommunication papale. •• Il voyait par lui-même que le
Marché et les ponts étaient occupés par des hommes d'armes,
qu'on massacrait ceux qui cherchaient à se sauver, et que
sa fuite ne pourrait avoir lieu sans s'exposer à de grands
dangers. Aussi se décida-t-ilà rester. Néanmoins, quelques
personnes de sa suite ayant sollicité la permission de quitter
la ville, il la leur accorda, non sans leur adresser ce juste
reproche : « Vous êtes restés près de moi dans la joie et les
fêtes, et vous m'abandonnez dans la détresse. Malheur à
celui qui place sa confiance dans les hommes ! »
Dans la soirée, Onufrius envoya ses deux chapelains et
deux moines vers le groupe des bannis qui occupaient le
(i) * Les bàtimenls fie l'ancien monastère ont disparu, niais l'église existe
encore à Liège.
— 41 —
Marché pour leur représenter " qu'il n'avait cessé de tra-
vailler à ramener la paix et la concorde dans la Cité, et
qu'étant sur le point d'atteindre son but, il avait lieu de
s'étonner des troubles qui venaient de surgir. Il leur faisait
demander qui ils étaient, d'où ils venaient et ce qu'ils vou-
laient, ajoutant que si sa présence à Liège et ses questions
leur déplaisaient, il était prêta s'en aller pour s'occuper des
autres affaires dont il était chargé. » Les proscrits reçurent
avec respect ces envoyés et répondirent « qu'ils étaient des
bourgeois et des nobles de Liège, bannis depuis longtemps
de la Cité ; mourant de faim, de soif et de froid dans les
Ardennes, ils ne pouvaient davantage supporter les dou-
leurs de l'exil et étaient, en conséquence, revenus s'asseoir
à leurs foyers près de leurs femmes et de leurs enfants ; ils
voulaient obéir au Saint-Siège et à son représentant, le
légat, ainsi qu'à l'évèque, pour qui ils étaient prêts à sa-
crifier leurs biens et leur vie s'il consentait à les affranchir
et à s'affranchir lui-même d'un joug intolérable. La pré-
sence du légat ne leur était pas seulement agréable, mais
même nécessaire, à tel point que s'il était éloigné d'eux ils
iraient le chercher et le ramèneraient sur leurs épaules,
et qu'ils châtieront quiconque oserait lui causer le moindre
dommage, à lui ou aux siens. » Après cette déclaration, ils
députèrent vers le légat deux des bourgeois les plus consi-
dérés de la Cité, pour le prier de fixer l'heure à laquelle leurs
chefs pourraient, le jour suivant, aller conférer avec lui.
Onufrius fixa l'entrevue à l'issue de la messe ; il promit de
faire tout son possible pour réconcilier les Liégeois avec
leur évêque et avec les autres princes dont ils pourraient
rechercher l'amitié.
Le lendemain, les chefs et les députés de la bourgeoisie, au
nombre de quarante, vinrent, à l'heure fixée, à l'abbaye de
G
— 42 —
St-Jacques, où le légat avait, de son côté, convoqué quelques
chanoines (1) de Saint-Laurent et d'autres églises. Les moines
de Saint-Jacques et le général des Carmes, arrivé à Liège
depuis quelques jours, assistaient également à la conférence.
Amel de Velrois (2) prenant la parole au nom des bourgeois,
répondit aux questions du légat ; il le pria « de lui procurer
un sauf- conduit pour une députation des Liégeois proscrits
qui voulaient se rendre à Maestricht auprès de Louis
de Bourbon, le suppliant de les accompagner lui-même,
afin qu'il fut présent à leurs explications ; ils voulaient
implorer du prince la faveur de rester à Liège et s'enga-
gaient, à ce prix, à remplir à l'avenir leurs devoirs en
bons et fidèles sujets. « Onufrius n'ayant pas confirmé
la paix qui les avait proscrits, ne trouva pas d'objection
à faire à cette proposition ; il obtint le sauf-conduit
demandé et prit ses dispositions pour accompagner, le
lendemain, les députés à Maestricht (3). Avant de partir,
il dut certifier aux habitants de la Cité qu'il ne les quit-
tait pas pour toujours et promettre solennellement de
revenir à Liège ; car « ils ne pouvaient, disaient-ils, abso-
lument pas se passer de lui dans la situation désespérée où
ils se trouvaient. »
Onufrius et sa suite s'embarquèrent sur trois bateaux,
qui descendirent la Meuse aux acclamations de la foule
faisant des vœux pour la paix. En route, le légat s'arrêta
dans tous les villages assis sur les rives du fleuve, ordon-
(1) * Saint-Laurent, près de Liège, sur la hauteur, était aussi une abbaye
occupée par des moines, et non par des chanoines.
(•2) * Amel de Velroux, un des chefs des Liégeois révoltés. Voy. Abry, op.
cit., p. 179, et le Bull, de Vlnslit. archéol. liég., t. XIII, p. 9.
(s) Les évoques de Liège avaient, dans les anciens temps, résidé à Maes-
tricht et y possédaient un palais.
— 43 —
nant aux curés d'ensevelir les cadavres des bourgeois qui
avaient péri le 9 septembre dans les flots. Ami-chemin entre
Liège et Maestricht, au haut d'un rocher dominant la
Meuse, se trouvait le château d'Argenteau dont les proprié-
taires, trois frères, étaient vassaux du duc de Bourgogne
aussi bien que del'évêque de Liège ; hostiles aux proscrits,
ils lancèrent des projectiles sur leurs bateaux qu'ils auraient
coulés bas s'ils n'avaient appris que le légat accompagnait
la députation, se rendant auprès de l'évèque pour négocier
la paix. Lorsque les délégués approchèrent de Maestricht,
Louis de Bourbon n'osa pas les recevoir dans l'intérieur de
la ville, parce que celle-ci appartenait en commun au duc
et à l'évèque et comptait, parmi ses habitants, beaucoup de
personnes dévouées aux intérêts bourguignons. Onufrius
alla donc, avec ses compagnons et ses serviteurs, se loger
dans un couvent de Franciscains situé sur le territoire lié-
geois, à une demi-lieue de Maestricht (1).
Là, les proscrits renouvelèrent, en présence de l'évèque,
les déclarations qu'ils avaient faites au légat ; ils suppliè-
rent Louis "de rétablir sa résidence à Liège et promirent de
se conformer à la sentence qu'il lui plairait de prononcer,
de concert avec le légat et le pape, à la seule condition
qu'ils fussent rappelés de l'exil; ils ajoutaient que de grands
torts avaient été commis envers eux et envers l'Eglise, et
qu'il était de toute nécessité qu'on les réparât. »
L'évèque mit à son retour et à leur pardon les conditions
suivantes: « tous les proscrits, munis d'un sauf-conduit qu'il
(i) ' Il s'agit du couvent de Liehtenberg, bâti en 1452 et appelé plus tard
Slavanten, nom qui paraît une corruption du mot flamand Observanten sous
lequel on désignait alors une certaine classe de religieux franciscains obser-
vant plus sévèrement la règle primitive. Cfr. les Publications de la Société
hist. et archéol. dans le duché de Limbourg, t. VU, pp. 68, 134, 140, 202.
— 44 —
leur donnera, se rendront soit à Aix-la-Chapelle, soit à
Recru (1), et y séjourneront jusqu'à ce qu'il ait pris une
résolution au sujet de leur rentrée dans leurs loyers ; ceux
d'entre les bourgeois qui avaient fait cause commune avec
les bannis, pourront rester en toute sécurité dans la Cité ;
les habitants de Liège livreront à l'évêque leurs dra-
peaux et leurs armes. Alors seulement il reviendra dans
sa capitale pour y jouir, comme par le passé, de tous ses
droits de souveraineté. » La crainte de la vengeance de
Charles et le souci de sa propre sécurité avaient seuls dicté
ces clauses à l'évêque ; au fond, elles ne visaient qu'à ame-
ner le désarmement des Liégeois, et ne présentaient aucune
garantie pour la paix intérieure du pays.
Après cette déclaration, l'évêque et sa suite retournèrent
à Maestricht ; le légat resta auprès des députés pour veiller
à leur sûreté et à leur subsistance, car personne n'osait
fournir des vivres aux proscrits. Il désirait cependant,
disait-il, se rendre lui-même à Maestricht pour détourner
Louis de Bourbon de faire une guerre ouverte à ses sujets,
comme beaucoup de personnes l'y engageaient, du moins
suivant la rumeur publique. Persuadé qu'il serait, à
Maestricht, plus en état d'être utile aux Liégeois, il
proposa aux députés de retourner seuls dans la Cité pour y
faire connaître la réponse de l'évêque. Il dut, cette fois
encore, céder à leurs prières, car ils lui représentaient
que, s'ils revenaient sans lui, le peuple les mettrait en
pièces. Onufrius ayant promis de les suivre sans tarder, ils
se rembarquèrent vers midi.
(0 * Rolduc? petite ville à une lieue et demie au nord d'Aix-la-Chapelle et à
o lieues de Maestricht. Elle possédait autrefois une florissante abbaye de
chanoines réguliers de l'ordre de St-Augustin, aujourd'hui convertie en petit
Séminaire.
— 45 —
Le soir, un courrier vint lui annoncer que les députes
liégeois avaient été faits prisonniers par les seigneurs
d'Argenteau; d'après ce qu'on disait, les uns avaient déjà
été décapités, les autres jetés dans le fleuve. Onufrius
lut d'autant plus déconcerté par cette nouvelle, que, le
lendemain, des lettres des Chapitres de Liège vinrent
l'informer de certains faits qui se passaient dans la Cité :
quelques bourgeois accusaient le légat de trahison parce
que, n'étant pas revenu, suivant sa promesse, il avait
été la cause du massacre des députés ; d'autres envahis-
saient les églises, en menaçant de mort les prêtres et
les gens du légat restés en arrière, si réellement leurs
concitoyens avaient péri ou n'étaient pas remis en liberté ;
ils parlaient même de piller et de brûleries temples.
Onufrius écrivit aussitôt plusieurs lettres et envoya des
messagers de différents côtés : il offrait aux Liégeois de re-
venir immédiatement parmi eux et d'employer tous ses
efforts pour la mise en liberté de leurs concitoyens : il or-
donnait aux seigneurs d'Argenteau de relâcher les prison-
niers , leur reprochant d'avoir violé le sauf-conduit de
1 evèque de Liège et d'un légat du pape, et les menaçant de
châtiments temporels et spirituels ; il conjurait en même
temps l'évèque de protéger leur honneur à tous deux et
d'agir de telle sorte que ni les ecclésiastiques ni les gens
du légat ne fussent sacrifiés à la fureur populaire : c'était
le seul moyen qui lui restait pour se laver de tout soupçon.
Le texte de cette dernière lettre laisse entrevoir, pour la
première fois, qu'Onufrius se défiait des intentions secrètes
de Louis de Bourbon; dans la suite de sa relation, il exprime
plus ouvertement ses doutes sur la sincérité de l'évèque. Ils
n'étaient, hélas ! que trop fondés ; Onufrius fut plus d'une
fois obligé d'intercéder près de lui en faveur des Liégeois.
— 46 —
C'est ce qui explique comment des historiens contempo-
rains (1) ont pu soutenir sérieusement qu'il attisait le feu au
lieu de l'éteindre, qu'il outrepassait les pouvoirs qu'il avait
reçus du pape et excitait les Liégeois contre leur prince
pour se mettre à sa place.
Les lettres du légat calmèrent les bourgeois et les Cha-
pitres, d'autant plus qu'ils apprirent que les prisonniers
des seigneurs d'Argenteau étaient en vie. Quant à Louis de
Bourbon, il s'excusa en disant que les députés avaient été
arrêtés à son insu, et que le château d'Argenteau, quoique
environné de villages relevant de l'évèché, était un fief
ducal. Onufrius lui répondit que le bras de l'évêque pouvait
atteindre les criminels dans leurs terres lorsqu'elles étaient
soumises à sa juridiction, et qu'il avait le droit de jeter en
prison ou de livrer au légat les deux frères du seigneur
d'Argenteau qui se trouvaient dans son camp. Cette décla-
ration énergique eut pour effet immédiat de faire relâcher
les députés ; mais les deux partis, l'évêque d'un côté, les
Liégeois de l'autre, étaient tellement exaspérés, qu'Onufrius
ne parvint qu'à grand peine à empêcher la guerre civile et
à ouvrir de nouvelles conférences pour la paix.
Louis proposa, comme lieu de réunion, l'abbaye de Veteri-
Vincto (2), à mi-chemin entre Liège et Maestricht. Mais
comme c'était un monastère de femmes et qu'il n'était pas
convenablement fortifié, Onufrius ne consentit pas à y sé-
journer. Après un délai d'un jour, sur les instances du
(i) Paulus jEmilius, De rébus Francorum , ad an. 1468 ; Phil. de
Commines, t. XI, p. 493, suivi par Villaret et Garnier, Histoire de France,
I. XVII, p. 299.
(2) * Lisez Vcteri-Vinelo. Vivegnis, commune à 8 kilomètres de Liège. Sur
l'abbaye des Bénédictines, voyez les Délices du pays de Liège, et Stéphani,
Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique du patjs de Liège, t. I, p. 59.
— 47 —
clergé et de la fraction paisible des habitants, il vint à Liège
pour engager le peuple à accepter les trois conditions posées
par l'évêque. Il rentra dans la Cité le 21 septembre, salué
par les cris de joie de la foule ; puis, ayant réuni les princi-
paux bourgeois, il leur conseilla « de faire les concessions
demandées; si, après avoir livré leurs armes, ils doutaient
du retour de Louis de Bourbon, il promettait de décider ce
prince à leur fournir toutes les garanties désirables. « Les
bourgeois déclarèrent qu'ils n'oseraient rien décider sans
l'assentiment du peuple ; ils conseillèrent au légat de ne pas
parler des Bourguignons dans l'assemblée qui aurait lieu,
et de faire seulement mention de ce que désirait l'évêque.
En conséquence, les Liégeois furent convoqués sur la
place Saint-Lambert (i).Le légat, accompagné des chanoines
en habits sacerdotaux, d'un grand nombre d'autres prêtres
et de moines, monta à l'étage d'une maison située au milieu
du Marché et, du haut d'une fenêtre, harangua la foule par
l'intermédiaire de maître Robert (s) qui traduisait ses
paroles : car Onufrius ne connaissait pas la langue fran-
çaise. Il exhorta les bourgeois à rechercher la paix, leur
rappelant les maux qui avaient suivi les derniers troubles.
« Si l'évêque, ajouta-t-il, manque à sa parole, je lèverai
contre lui le bras ecclésiastique, et, au besoin, le bras
séculier. » Le chanoine Josse de la Marck, au nom du
clergé , et après lui Amel de Velrois , au nom de la
bourgeoisie, prirent la parole et parlèrent dans le même
(i) Quand une affaire devait être traitée publiquement à Liège, on convo-
quait le peuple devant le palais de l'évêque, au son de la grosse cloche de cet
édifice. Philippe de Commines, t. XI, p. -ioS. — * La place Saint-Lambert,
occupée par l'église de ce nom, n'existait pas à cette époque. C'était sur le
Marché que s'assemblait le peuple.
(*) * C'est le Carme que nous avons vu plus haut, p. 29.
— 48 —
sens. Mais celui-ci ayant négligé dans son discours de
faire mention des privilèges et des libertés des Liégeois, fit
éclater une tempête de cris et d'injures. Des hommes
du peuple éclatèrent en murmures : « Ce légat, disaient-ils,
a beau parler ; cela ne lui coûte que des mots ; mais pour
nous, il y va de la vie. « En même temps, un homme
appelé Clerfasot (1), poussé par le démon, et un noble du
nom de van Stralen, qui se trouvaient dans la même
maison que le légat, crièrent au peuple : « Montrez-vous
fermes à défendre les libertés que vous avez conquises à la
pointe de vos épées et sans le concours de qui que ce soit.
N'est-ce pas là ce que vous voulez ? » — « Oui, nous le vou-
lons, » répondit la foule d'une seule voix. Onufrius, devinant
ce qui se passait, se tourna vers les personnages influents
qui se tenaient à ses côtés, et leur dit : «■ Si l'on veut encore
parler de libertés et se mettre en opposition directe avec le
jugement du Saint-Siège, auquel vous vous êtes soumis d'un
commun accord, il ne peut plus être question de paix. Ce
jugement ne peut être réformé en rien. « On lui répondit
" qu'on ne songeait nullement à infirmer la sentence du
pape ; mais qu'en dehors de celle-ci, on avait à faire valoir
des griefs considérables qui, si l'on voulait arriver à un
accommodement, devaient être tout d'abord écartés. » Pour
en finir, Onufrius demanda une réponse nette et catégorique
aux propositions de l'évêque. Elle lui fut apportée le soir
même et contenait en substance ce qui suit : « Les bourgeois
exilés n'ont été bannis ni par sentence du pape ni par celle
de leur prince; leur condamnation est donc nulle; toutefois,
ils sont prêts à obéir a leur seigneur. L'affaire d'Argenteau
témoigne qu'ils ne peuvent se transporter où ils veulent sur
(i) * Nom inconnu dans les Annales liégeoises. — Van Stmlen, de Straile.
— 49 —
la seule parole de l'évêque ; mais ils consentent à séjour-
ner dans le faubourg d'Outre-Meuse (1) jusqu'à ce que le
légat et Louis de Bourbon aient statué sur leur sort. Ce
n'est pas pour combattre leur seigneur ni leur patrie qu'ils
ont pris les armes, mais pour lutter contre l'oppresseur
de leur pays et de l'Eglise, qu'ils sont décidés à défendre
jusqu'à la mort. Aussi sont-ils disposés à fournir des otages
suivant le bon plaisir du légat. Il ne serait ni juste ni utile
de livrer leurs armes à l'évêque, puisqu'il ne peut leur
donner d'autre garantie que ses lettres ; ils le prient donc
humblement de revenir à Liège et d'écouter leurs plaintes
en présence du légat. Enfin, ils expriment le désir qu'il ne
ramène pas avec lui les seize nobles et bourgeois qui,
pendant les troubles antérieurs, avaient assassiné ou fait
exécuter plusieurs parents des bourgeois actuellement
rentrés à Liège ; plus tard ils pourront revenir dans la
Cité, lorsque la tranquillité sera rétablie. »
La défiance qui régnait entre Louis et la bourgeoisie
ne permettait guère de faire espérer des rapports sincères
et durables. En conséquence, ce fut Onufrius qui porta à
l'évêque la réponse des Liégeois. Louis, accompagné d'une
suite de mille personnes, se porta à sa rencontre et
l'entrevue eut lieu non loin d'une petite ferme nommée
Milmort, à trois mille pas de Liège (2). Pendant qu'ils
délibéraient sur les moyens de conclure la paix, le cri aux
armes ! partit tout à coup de l'escorte de l'évêque et, peu
après, un bourgeois de Liège, tombé entre les mains de
ses cavaliers, fut pendu au premier arbre que l'on trouva.
Onufrius reprocha vivement à Louis cet acte déloyal et
(1) * Quartier de la ville sur la rive droite de la Meuse.
(2) * Milmorte est un village à 7 kilom. de Liège.
— 50 -
lui représenta que, si on en venait aux mains, il ne serait
pas en état de tenir tête aux Liégeois ; car son armée ne
comptait que trois mille hommes, cavaliers ou fantassins,
tandis que les proscrits rentrés à Liège étaient au moins
au nombre de dix mille. Sur cette observation, la suite
de Louis prit une attitude plus pacifique. Il fut convenu
que l'on proposerait aux exilés de passer la Meuse et de
livrer leurs armes, non à l'évêque mais au légat ; qu'on
ne ferait pas allusion aux libertés des bourgeois ni aux
seize personnes dont ils réclamaient l'exclusion, parce
qu'il n'appartenait pas à des sujets de poser des condi-
tions à leur souverain.
Chargé de ces propositions, Onufrius retourna dans la
Cité. Les exilés promirent de lui remettre leurs armes dans
l'abbaye de Saint-Jacques, et, pour plus de sûreté, de lui
fournir des otages qu'il pourrait envoyer où il lui plairait.
Mais comme l'abbaye n'était pas fortifiée, le légat crut
deviner le motif de leur choix, et exprima la crainte qu'ils
ne vinssent y reprendre leurs armes. L'offre de se retirer
sur l'autre rive de la Meuse fut acceptée sans difficulté.
Mais les exilés « ne pouvaient, disaient-ils, faire abstrac-
tion d'autres griefs légitimes. En ce qui concernait les seize
bourgeois, leur intention n'était nullement d'imposer leur
volonté à l'évêque, mais bien de lui donner un conseil, car
ils étaient certains que ces hommes seraient sacrifiés à
la vengeance de leurs parents, quand même ils seraient
certains d'encourir la peine capitale. »
Onufrius porta cette proposition à l'évêque, qui se
trouvait alors à Leers (1), petite forteresse dans les
environs de Tongres, lui conseillant de l'accepter et de
(i) * Liers, commune à 6 kilom. de Liège.
- 51 -
retourner comme un bon pasteur au milieu de ses ouailles.
Mais, pour des raisons que l'on ignore, l'évêque se montra
inflexible. La conférence durait encore que ses gens
donnaient déjà l'assaut à la ville de Liège ; mais ils furent
repoussés avec perte. Indigné de cette attaque au moment
même où il négociait la paix, le légat quitta Leers sans
vouloir écouter les excuses de Louis, qui prétendait que
la chose avait été faite à son insu, et déclara « qu'il ne
voulait plus travailler à un rapprochement et abandonnait
l'évêque comme une brebis au milieu des loups. Si l'on
voulait absolument la guerre, il était inutile de le tromper
par de vains pourparlers. *
Louis, ébranlé, lui envoya son chancelier et le président
du Conseil du duc de Bourgogne, en lui faisant promettre
d'accéder à ce qu'il demanderait ; " il ne voulait pas
exiger d'otages des Liégeois, afin de leur inspirer plus de
confiance ; il consentait à ce qu'ils déposassent leurs
armes dans leurs propres maisons ; il voulait bien les
recevoir, désarmés, et à condition que, pour le moment, il
ne serait plus question de libertés ni des seize bourgeois.
A ces conditions, il était prêt à rentrer dans sa capitale
avec son armée. » Onufrius ne fut pas dupe de ces conces-
sions ; mais quoiqu'il se rendît très bien compte de ce
qu'elles avaient d'insidieux et d'équivoque, il crut devoir
les faire connaître aux Liégeois. Arrivé aux portes de la
Cité, il trouva les gens de l'évêque aux prises avec les
habitants ; mais grâce à son intervention, le combat cessa.
Les députés du clergé et de la bourgeoisie, et même la
population toute entière, acceptèrent ces propositions ;
pour tous les points non réglés, on s'en rapportait à sa
décision. Acte fut aussitôt dressé de cette déclaration pour
être envoyé à l'évêque. Dans le cas où celui-ci refuserait
— 52 —
encore de ratifier cet accord, et où les Bourguignons
continueraient à inquiéter la Cité, le légat devait faire
usage des censures ecclésiastiques et prendre en main
l'administration de la ville jusqu'à ce que le pape en eût
décidé autrement ; les Liégeois le conjuraient enfin de
solliciter l'alliance des princes voisins , français et alle-
mands ; les premiers déjà, par l'intermédiaire de quelques
moines, avaient offert du secours au légat et aux bourgeois.
Dans ces circonstances, personne ne doutait plus de la
paix ni du retour de l'évêque. Onufrius convoqua, pour le
25 septembre, à l'abbaye de Veteri-Vincto, une réunion à
laquelle devaient assister Louis de Bourbon, son chance-
lier et le président du Conseil du duc. Mais, au lieu de
l'évêque, on vit arriver un messager porteur d'une lettre
disant que « Louis avait reçu de son parent, le duc
Charles, la nouvelle qu'il se chargeait du soin de prendre la
ville de Liège, et que par conséquent, lui, évèque, ne
pouvait et n'osait plus s'occuper de la paix. « Onufrius,
stupéfait de cette missive, défendit d'en divulguer la
teneur, dans la crainte que les bourgeois, furieux, ne
se précipitassent à l'instant sur les troupes de l'évêque.
Quant à lui, il forma le projet de se retirer à Aix-la-Chapelle
ou dans quelqu'autre ville impériale, pour y attendre les
événements. Mais, avant son départ, il chercha à avoir
une dernière entrevue avec Louis de Bourbon. L'ayant
rencontré, le 28 septembre, à la tête d'une armée à Millen-
op-den-Dresch (î), il lui rappela son devoir : « il ne pouvait
s'empêcher de s'étonner que lui, un évêque, cherchât à
recouvrer par les armes ce qu'il pouvait obtenir sans
(i) * Millen, commune à 6 kilom. de Tongres. Op den driesch, littérale-
ment : sur la pâture. Driesch désignait une pâture dans un terrain sec, par
opposition à broeck, indiquant une prairie humide.
— 53 —
verser le sang ; il savait bien quelles seraient les intentions
du duc à l'égard de la Cité s'il venait encore une fois à
en faire le siège ; si le spectacle de la destruction de sa
ville pouvait lui être agréable, il aurait bientôt l'occasion
de satisfaire sa fantaisie ; quant à lui, il ne voulait pas y
assister et se retirait dans d'autres états, sur la rive
droite de la Meuse. L'évêque connaissait bien le but de
sa mission ; il savait qu'il aurait pu l'accomplir beaucoup
plus aisément de concert avec lui que seul ; il ne lui restait
donc plus rien à faire en ce moment et allait se rendre
en Allemagne où l'appelaient d'autres occupations. Il au-
rait pu, ajoutait-il, dès son arrivée, infliger à bon droit
les censures canoniques à un évêque qui avait abandonné
entre des mains séculières— à savoir, au duc de Bourgogne-
la souveraineté, les possessions et les privilèges de l'Eglise ;
il lui aurait, en conséquence, enlevé pour trois ans l'ad-
ministration temporelle du pays, aussi bien que celle de
l'évêché, si, après avoir reçu ses lettres et ses plaintes,
il n'avait cru devoir user d'indulgence et admettre que,
loin d'agir librement, il avait dû céder à la contrainte ;
s'il retombait dans les mêmes fautes, il ne pouvait, en
sa qualité de légat, s'empêcher d'en informer le Souve-
rain-Pontife ; il l'en avertissait en présence de témoins,
et l'engageait , du reste , à prendre note par écrit de
ses observations. ••
Les ecclésiastiques présents à l'entrevue, consternés de
ce discours (1), se jetèrent aux pieds de Louis, l'engageant
à méditer les paroles du légat et à rentrera Liège. L'évêque,
s'étant retiré dans une chambre voisine pour délibérer
(i) Au dire d'Onufrius, ce n'était pas lui qui avait parlé, mais une voix sur-
naturelle s'était fait entendre sur ses lèvres ; c'était comme un flambeau divin
et non une langue humaine qui s'agitait, etc.
— 54 —
avec ses conseillers, déclara enfin qu'il devait plutôt obéir
au légat qu'au duc, et que le vendredi suivant il ferait son
entrée à Liège ; il pria le légat de lui préparer de la part
de ses sujets une réception conforme à son rang. « Quant
au reste, disait-il, on pourrait en ajourner la discussion. »
Onufrius accepta cette nouvelle offre, mais exigea qu'elle
fût faite par écrit.
Les Liégeois accueillirent avec joie le message du légat.
Ils ornèrent leurs maisons, élevèrent des arcs de triomphes,
préparèrent des torches. Huit membres du Conseil (1) déci-
dèrent de se porter à la rencontre de l'évêque avec les
principaux membres du clergé et de la bourgeoisie. Pour
mettre un frein aux rumeurs malveillantes de la populace,
Amel de Velrois, le bourgeois le plus influent de la ville, fit
publier un décret menaçant de la prison et d'autres peines
sévères la moindre offense faite à la personne de l'évêque ;
des officiers de police spéciaux étaient chargés de l'exécution
de cette ordonnance.
Onufrius, accompagné d'Amel de Velrois et des chefs des
bourgeois proscrits, se mettait en route pour se rendre à la
porte de Ste-Walburge. lorsqu'il reçut, sur les degrés mêmes
de la cathédrale, une lettre de Louis de Bourbon annonçant
qu'il était obligé de différer son entrée jusqu'au dimanche
suivant. Cette nouvelle répandit l'émoi dans la ville, et
en un clin d'œil les rues se remplirent de monde. Le légat
s'empressa d'envoyer un courrier à l'évêque pour l'en-
gager à ne pas différer d'un instant son arrivée s'il ne
voulait pas voir la tranquillité troublée. Louis lui fit
répondre qu'il devait absolument lui parler avant de faire
son entrée, et le pria d'indiquer un lieu sûr pour cette en-
(0 * Du Conseil de la Cité ?
— 55 —
trevue. Le légat, qui connaissait l'humeur capricieuse et la
faiblesse de caractère de l'évèque, avait deviné qu'il cédait
aux exhortations de ses conseillers, avides de sang et de
pillage. Toutefois il ne perdit pas sa présence d'esprit, et
s'adressant aux bourgeois qui l'entouraient, il leur dit « qu'un
empêchement très légitime forçait leur évoque à différer son
retour ; il avait manifesté le désir d'avoir avec lui une con-
férence et il allait se rendre auprès de lui pour savoir ce
qu'il avait à lui dire ; il était, du reste, persuadé qu'il le
ramènerait avec lui à Liège. » Il écrivit immédiatement
à Louis qu'il ne connaissait pas d'endroit plus sûr et plus
convenable pour une entrevue que la ville de Tongres, où
l'évèque demeurait alors, et qu'il irait l'y trouver le
lendemain, 2 octobre, qui, cette année, était un dimanche.
Les bourgeois rentrèrent chez eux, étonnés et inquiets.
Les uns croyaient bonnement que les choses s'étaient pas-
sées comme le légat le disait ; d'autres le soupçonnaient
d'accord avec l'évèque et d'agir ainsi pour éviter de la
part des Liégeois une attaque contre les troupes épisco-
pales, plus faibles que les leurs, afin de temporiser jusqu'à
ce que la querelle entre le roi de France et Charles le
Téméraire eût pris une tournure décisive ; on disait, en
effet, que ces princes étaient à la veille de livrer une
grande bataille. Ceux qui pénétraient mieux le fond des
choses, trouvaient les vrais motifs de la conduite de 1 evêque
dans les suggestions et les menaces du duc : et ils ne se
trompaient pas, en dépit des raisons mises en avant par les
partisans de Louis de Bourbon, qui voyait de mauvais
œil que les Liégeois avaient conservé leurs armes et laissé
leurs couleuvrines sur les murailles de la Cité. Or les
bourgeois n'avaient pas cru devoir désarmer parce que les
Bourguignons occupaient tous les villages dans les environs
— 56 —
de Liège ; d'ailleurs, afin de rassurer l'évêque sur sa sécu-
rité, ils lui avaient offert des otages ; mais ils savaient
que, malgré cela, son intention était d'entrer dans la Cité
avec une suite de cavaliers bourguignons portant sur
leurs drapeaux la croix de S* André, alors qu'il eut été
plus convenable d'arborer la croix droite et les fleurs-
de-lis de France.
Onufrius avait pris ses dispositions pour se rendre à
Tongres, lorsque, pendant la nuit, des éclaireurs des postes
avancés des Liégeois apportèrent toup à coup la nouvelle
que Gui de Humbercourt, en qualité de lieutenant du duc,
venait d'arriver à Meffe (i), à 5 lieues de Liège, avec cinq
mille hommes ; qu'il avait ravagé une bonne partie de la
contrée, donnant l'ordre de porter partout le fer et la
flamme, et même de piller et brûler la ville de Liège. Ce
bruit s 'étant répandu dans la Cité, les habitants courent aux
armes, persuadés qu'ils sont trompés par l'évêque et le
légat. De grands feux de houille — laquelle est fort abon-
dante dans le pays — sont allumés dans les rues et sur les
places publiques ; des bandes armées sortent de la ville
et se précipitent dans différentes directions. Quelques
hommes exaltés voulaient se venger immédiatement d'Onu-
frius ; mais il fut protégé contre leur fureur par les chefs de
la bourgeoisie. D'ailleurs, il ne craignait rien et désirait
même pouvoir s'adresser à la partie la plus hostile du
peuple pour la convaincre de son erreur. On vint, en effet,
le trouver à l'abbaye de St-Jacques, et il n'eut pas de peine
à prouver la loyauté de sa conduite en montrant la lettre
de l'évêque qui promettait de revenir dans sa capitale.
Après s'être excusés de leur violence, les bourgeois prièrent
le légat de se rendre auprès de Louis de Bourbon pour
(0 * Meefle, commune à 21 kilom. de Huy et de Waremme.
— 57 —
entendre sa justification, et de revenir ensuite au milieu
d'eux afin qu'ils pussent, sous sa direction, mener les
choses à bonne fin. Onufrius accéda à leur demande et char-
gea deux citoyens influents, Amel de Velrois et Gilles (1),
d'empêcher tout acte d'hostilité pendant son absence. Le
2 octobre, un dimanche, il fit dire des prières publiques
dans toutes les églises pour le retour de la paix. Dans
l'après-midi de ce même jour il partit pour Tongres,
accompagné du général des Carmes, d'un grand nombre
d'ecclésiastiques, des deux capitaines de Buren et van
Stralen, et d'une compagnie de troupes liégeoises. De son
côté, Louis de Bourbon envoya à sa rencontre une division
de son armée. Onufrius, afin d'éviter toute occasion d'en
venir aux mains, détacha deux hommes de sa suite pour
aborder les gens de l'évêque et les inviter à faire halte, en
même temps qu'il donnait à sa propre escorte l'ordre de
s'arrêter. Gosuin de Stralen voyant ensuite le légat s'éloi-
gner de ses compagnons, dit tout haut, en français, qu'il
s'attendait à ne plus le revoir, et que s'il ne réussissait pas
dans sa mission à Tongres ou ne revenait pas près d'eux,
plus jamais il n'accorderait sa confiance à un prêtre. Le
légat, s'étant fait traduire ces paroles, engagea ses gens à
avoir bon courage, car il espérait bien revenir avec l'évêque.
Lorsqu'il se trouva en présence de Louis de Bourbon,
celui-ci lui exhiba la lettre du duc, dont voici la teneur :
« il avait appris que l'évêque, par suite de l'intervention du
légat, avait repris possession de sa capitale et fait la paix
avec ses sujets ; il lui en témoignait sa satisfaction mais
lui faisait savoir que s'il violait en un seul point les clauses
(1) * Gilles de Lens qui, avec Amel de Velroux, était bourgmestre de Liège
(Voy. mon Introduction). Il l'ut précipité du pont des Arches dans la Meuse
lors du sac de la Cité.
— 58 —
de l'accord conclu antérieurement entre eux, cela lui dé-
plairait grandement et il prouverait au légat que, sous ce
rapport, sa conduite n'était pas justifiable. » Le messager
avait ajouté verbalement que le duc traiterait l'évêque en
ennemi s'il agissait contrairement à leurs conventions.
On sait positivement que Charles, après avoir pris con-
naissance de la lettre remise par l'évêque au légat, à
Millen, s'était écrié dans une grande colère : « L'évêque
soigne ses intérêts sans penser aux miens. J'arrangerai
aussi mes affaires sans égard pour lui. »
Onufrius, toutefois, ne put s'empêcher de reprocher à
l'évêque l'inconstance de son caractère et de lui faire
observer que « les soupçons de mauvaise foi qui planaient
sur lui l'exposaient, ainsi que lui, légat, à de véritables
dangers ; que la lettre de Charles ne contenait rien qui put
motiver son changement de conduite, puisque ce prince se
déclarait satisfait de l'arrangement qui avait eu lieu ; qu'en
conséquence, l'évêque, accomplissant sa promesse, pouvait
très bien se rendre à Liège et faire accepter au peuple les
conditions du duc dans ce qu'elles avaient de raisonnable ;
enfin, qu'après cela, ils auraient pu s'entendre entre eux
deux pour aller trouver Charles, alors engagé dans une
guerre avec la France, et essayer de le calmer. » Louis
pria Onufrius « de l'excuser auprès des Liégeois de ce qu'il
ne pouvait, en ce moment, agir contrairement à la volonté
du duc, qui le traiterait en ennemi s'il rentrait à Liège ;
mais il s'engagea à faire tous ses efforts pour arracher cette
autorisation au prince. »
Onufrius communiqua cette déclaration aux Liégeois,
qui la considérèrent comme une excuse imaginée entre lui
et l'évêque pour ne pas revenir auprès d'eux. Ils envoyèrent
alors à Onufrius un messager pour qu'il leur procurât un
— 59 —
sauf-conduit pour trente députés chargés de se rendre à
Tongres à l'effet de continuer les négociations, tant avec
Tévêque qu'avec les officiers du duc. Louis de Bourbon donna
le sauf-conduit sans faire d'objection ; mais Humbercourt,
qui s'était avancé jusqu'à Huy, refusa le sien. Onufrius en
avertit les Liégeois et se décida à partir sur l'heure pour
Maestricht ; mais l'évêque lui persuada de retarder son
départ de trois jours en disant que Humbercourt ne tarde-
rait pas à venir à Tongres et qu'on pourrait peut-être
encore s'arranger sans répandre le sang.
Humbercourt arriva effectivement le 10 octobre. Il
s'excusa auprès d'Onufrius " de ne pas avoir accordé le
sauf-conduit demandé, en disant qu'il avait reçu l'ordre de
ne pas conclure de paix avec les Liégeois, mais au contraire
de mettre à mort tous ceux qui tomberaient entre ses
mains ; il devait, dès le lendemain, donner un assaut à la
Cité avec les troupes réunies du duc et de l'évêque. « En
présence de l'évêque, qui n'ouvrait pas la bouche, il de-
manda au légat» de vouloir prendre part à cette expédition,
car, disait-il, on combattait pour l'Eglise contre ses enfants
révoltés, et sa présence inspirerait à ceux-ci une crainte
salutaire. » Onufrius répondit " que les Liégeois se sou-
mettant à la décision du Saint-Siège, il ne pouvait consi-
dérer cette attaque contre la Cité comme une guerre en
faveur de l'Eglise, mais plutôt comme une entreprise dont
il fallait chercher les motifs dans de mauvaises passions, la
vengeance et la cupidité ; qu'il ne voulait, en conséquence,
y prendre aucune part ni approuver les châtiments que l'on
trouverait bon d'infliger aux Liégeois à raison du droit
du plus fort; que si tout espoir de paix était évanoui, il n'a-
vait plus qu'à se retirer. Il conseillait toutefois à Humber-
court d'agir avec prudence parce que les Liégeois avaient
— 60 —
l'avantage du nombre ; il n'avait plus eu de leurs nou-
velles depuis plusieurs jours, ce qui lui faisait croire qu'ils
méditaient un coup hardi, soit en tombant sur l'ennemi,
soit en mettant le feu à la ville pour l'abandonner ensuite
avec leurs femmes et leurs enfants. » En terminant, il sol-
licita un sauf-conduit qui lui permît de se rendre à Maes-
tricht, et il envoya dans cette ville des messagers pour lui
préparer un logement.
Sur ces entrefaites, le bruit se répandit que la paix venait
d'être conclue entre le roi Louis XI et le duc Charles,
et que ce dernier, avec toute son armée et à marches
forcées, se dirigeait sur Liège. Ces nouvelles n'étaient
pas entièrement exactes. Depuis longtemps, il est vrai,
Louis avait demandé à Charles une conférence à Péronne ;
mais le duc hésitait à accepter ses avances précisément
parce qu'il avait appris le récent soulèvement des Liégeois,
et qu'il avait, avec raison, attribué à Louis XI une part
considérable dans cet événement. L'entrevue n'eut lieu que
le 9 octobre 1468 (î). La nouvelle certaine de l'arrivée du roi
de France à Péronne ne pouvait donc pas avoir été reçue à
Tongres le lendemain, et la solution des difficultés encore
moins. Cependant, des feux de joie allumés dans le camp de
Humbercourt et le son des cloches annoncèrent la conclu-
sion de la paix; les soldats, après s'être abandonnés à toutes
sortes de réjouissances, ne se livrèrent au repos qu'après
minuit, sans prendre de prudentes dispositions, tandis que
les chefs tenaient conseil dans le palais de l'évêque.
Onufrius aussi s'était retiré dans ses appartements,
lorsque Jean de Berger (2), homme savant et éloquent,
(1) Philippe de Commines, t. XI, pp. 462 et suiv.
(2) * Lisez Bergen, Jean de Bergues ou Berghes. Voy. mon Introduction.
— 61 —
qui possédait de vastes propriétés en Hollande, vint frapper
à sa porte. Il avait été envoyé par le duc auprès de Humber-
court pour lui dire de ne rien entreprendre contre les
Liégeois sans l'assentiment de l'évèque. Aussi, dans le con-
seil de guerre qui venait de se tenir cette nuit, avait-il
exprimé son mécontentement de ce que le lieutenant avait
refusé aux trente députés liégeois la faculté de venir né-
gocier avec lui, et obtenu que tous ceux qui voudraient
se rendre à Tongres pourraient le faire librement ; or,
comme il trouvait juste que les Liégeois fussent informés
de cette circonstance, il venait en prévenir le légat. Celui-
ci, à cette communication, répondit que les Liégeois avaient
été trop souvent trompés pour encore ajouter foi à une
lettre ; aussi conseilla-t-il à Berger de se rendre lui-même
à Liège, ce qu'il pouvait faire d'autant plus sûrement qu'il
était fort bien vu des bourgeois. Mais Berger ayant objecté
qu'il n'oserait jamais s'aventurer seul, Onufrius lui promit
de l'accompagner pour l'aller et le retour. Là-dessus ils
se serrèrent la main, après avoir fixé leur départ au lende-
main matin.
Malheureusement, les Liégeois ne donnèrent pas à ce
projet pacifique le temps d'aboutir. Exaspérés par le refus
du sauf-conduit, et inquiets de la concentration des troupes
dans le voisinage de Tongres, ils tentèrent contre cette
ville, deux heures après l'entrevue du légat et de Berger,
une entreprise audacieuse. Ayant tué les sentinelles placées
« Consiliis habitis médise sub tempora noctis,
Johannes patria Berges, quera lingua latina
Atque probi mores et copia maxima fandi
Illustrant, Batavis summus regnator in arrais,
Advenit et sacri legati limina puisât. »
(Ange de Viterbe, col. 1440.)
— 62 —
sur les ponts du Jaar et franchi les fossés, grâce à la
démolition des murailles ordonnée l'année précédente par
le duc, ils arrivèrent jusqu'au milieu du Marché avant que
personne s'en fût douté (1). Ils étaient au nombre de cinq
mille fantassins et de deux cents cavaliers; ceux-ci, pour ne
pas éveiller les habitants, s'étaient arrêtés à l'entrée de
la ville; les fantassins seuls occupèrent le Marché ainsi que
les rues voisines. A. un signal donné, les couleuvrines
tonnent de différents côtés et les portes des maisons
sont enfoncées ; les habitants, presque nus, entre autres
Jean de Berger, se jettent par les fenêtres ; beaucoup se
cachent dans les caves, les puits et même les tombeaux.
Quelques-uns veulent opposer de la résistance, mais doivent
céder presque aussitôt. Louis de Bourbon fut un de ceux-ci;
il perdit cinquante hommes dans la lutte. Lui-même réussit
à regagner sain et sauf son palais, où quelques officiers de
son armée et de celle des Bourguignons se réunirent autour
de sa personne. Onufrius, au contraire, resta tranquillement
chez lui sans être inquiété. L'évêque, à l'aide d'une corde,
ayant fait descendre un de ses officiers dans la rue, l'envoya
en toute hâte chez le légat pour le prier instamment de se
rendre auprès de lui ou de lui permettre de se réfugier
sous son toit : les Liégeois le soupçonnant d'avoir appelé les
Bourguignons dans le pays, il ne se croyait pas en sécurité
dans son palais. Onufrius lui ayant fait savoir qu'il préférait
le recevoir chez lui, mais en secret et avec le moins de
monde possible, Louis fit abattre un pan de mur qui séparait
son palais de la maison voisine, et gagna, à la faveur de la
nuit, la demeure du légat avec une centaine de gentils-
hommes , parmi lesquels se trouvaient Humbercourt et
(i) « Jverunt per Liwaige (Lowaige) et intraverunt in Tungris per viam
qusevenit de Hasselt. » (Adrien, col. 1334).
— 63 —
les seigneurs d'Argenteau. Les Bourguignons tremblaient
de peur, et Humbercourt dit au légat : « Ah! vénérable
père, les Liégeois sont venus sans sauf-conduit ! » — « Que
Dieu nous vienne en aide, répliqua Onufrius, car mieux
eût valu qu'ils fussent venus avec un sauf-conduit. » Cepen-
dant il tâchait de rassurer les Bourguignons, leur répétant
que, si les Liégeois respectaient encore le Saint-Siège, ils
n'avaient rien à craindre ; et eussent-ils même perdu ce
respect, il leur assurait encore que personne ne serait
maltraité avant que sa robe ne fut teinte de son sang.
Tout le monde le priait de se rendre sur le Marché pour
calmer les Liégeois. Mais il s'y refusa en faisant remarquer
« qu'il ne parlait pas la langue des révoltés, qu'il faisait
nuit et que des coups de feu éclataient à tous moments. Il
était certain, ajoutait-il, qu'aucun Bourguignon ne l'ac-
compagnerait, et cependant il lui fallait un interprête connu
de tous. Si l'évêque voulait le suivre, il était prêt à partir.
Mais il croyait plus prudent d'attendre le jour, parce
qu'alors on pourrait plus facilement éviter lesarquebusades
et autres dangers. Ils n'avaient, du reste, rien à craindre
pendant la nuit, car il savait qu'il était défendu aux Lié-
geois de quitter leur position avant le lever du soleil et
de se disperser dans les rues à la recherche des Bourgui-
gnons. » Enfin, comme consolation suprême dans leurs
angoisses mortelles, il donna à tous les assistants l'absolu-
tion de leurs péchés.
A la pointe du jour, les Liégeois commencèrent à pénétrer
dans les maisons et s'approchèrent du palais de l'évêque
qui joignait la demeure du légat. Ce fut alors qu'Onufrius,
accompagné d'un seul domestique et de son chapelain
Altfast comme interprète, voulut sortir de chez lui pour
se rendre au milieu des Liégeois. Mais comme les gens de
— 64 —
l'évèque avaient accumulé devant la porte des pierres et des
arbres, il dut, pour éviter tout retard, sortir par la fenêtre
à l'aide d'une échelle, et se présenta aux révoltés dans ses
vêtements sacerdotaux. Devant la maison gisaient des
cadavres que l'on était en train de dépouiller. Onufrius les
fit enlever, puis pria quelques cavaliers de lui amener
Vincent de Buren ainsi que d'autres chefs, ajoutant qu'il
apportait la paix tant désirée. Buren était resté à Liège;
on alla donc chercher les frères Stralen et Jean de Wilde (i),
qui arrivèrent avec deux cents cavaliers. Onufrius les
conjura, au moins par respect pour le Saint-Siège auquel
ils avaient si souvent promis obéissance, de faire cesser le
carnage ; il les invita ensuite à exposer leurs griefs, les
assurant qu'on leur accorderait toutes leurs demandes.
Les chefs ayant ôté leurs casques, Jean de Wilde prit la
parole pour se plaindre de la violation plusieurs fois réité-
rée des conventions, des ravages commis par les Bourgui-
gnons et du refus de l'évèque de rentrer dans la Cité ;
formulant en peu de mots les désirs de ses compatriotes,
»Nous ne connaissons, dit -il, et nous ne voulons connaître
d'autres maîtres que Dieu, l'Eglise, toi et notre évêque.
Nous désirons votre présence au milieu de nous pour que
vous nous protégiez contre les ennemis qui excitent aujour-
d'hui notre vengeance. » Le légat leur promit de nouveau
qu'on ferait droit à leur requête, et demanda s'ils avaient
l'intention d'emmener l'évèque prisonnier à Liège. Jean
de Wilde répondit « qu'ils voulaient l'avoir comme leur
(i) Onufrius l'appelle Dervild et Philippe de Commines, t. XI, p. 474,
Guillaume de Ville. Son vrai nom était Jean de Wilde, chevalier et seigneur
de Hautpeene ou Ilautepanne. — * Jean de Home, dit de Wilde ou le Sauvage.
Voyez ci-dessus, p. 39, note 2. C'est Olivier de la Marche qui lui donne le
titre de seigneur de Hautepenne. — Stralen, de Slraile.
— 65 —
seigneur, mais de telle façon qu'il serait réellement leur
maître et non le serviteur d'autrui. » Louis et Humber-
court se tenaient dans un coin derrière le légat, d'où ils
pouvaient tout entendre sans être vus ; l'évèque souffla à
l'oreille d'Onufrius de faire semblant de l'envoyer chercher,
et qu'il se présenterait à la foule. Les Liégeois ayant promis
d'épargner tous ceux qui se trouvaient dans la ville, sauf les
Bourguignons, le légat déclara qu'il n'admettait pas d'ex-
ception, surtout pour les personnes réfugiées auprès de
lui, et qu'il défendrait jusqu'à la mort ceux auxquels il
avait promis sa protection. Les Liégeois promirent alors de
laisser la vie sauve aux Bourguignons et de se contenter de
les faire prisonniers. Comme Louis hésitait encore à paraître,
Gosuin Stralen en vint à soupçonner qu'on ne cherchait
qu'à gagner du temps pour réunir toutes les forces ennemies
et engager un combat. Alors Onufrius se retourna, et
prenant Louis par le bras, le fit avancer jusque devant
la porte de la maison. Les Liégeois le reçurent au cri de
Vive l'évèque ! Mais ils voulaient savoir qui se trouvait
encore à l'intérieur de l'habitation. Jean de Wilde y
pénétra seul, et les Bourguignons se rendirent sans résis-
tance. Humbercourt, qui n'ignorait pas la haine profonde que
lui portaient les Liégeois, le supplia de ne pas le conduire à
Liège ; plutôt que de se voir livré aux mains de la populace,
il préférait être mis à mort sur le champ. Il assura que
si on voulait lui accorder un délai de vingt jours pour se
rendre auprès du duc, il se faisait fort d'en obtenir la paix.
Sa demande lui fut accordée à condition qu'il se constitue-
rait de nouveau prisonnier dans le château de Montfort (1),
(«) Montfort appartenait sans doute à Jean de Wilde, car Olivier de la
Marche, t. X, p. 285, dit que Humbercourt se trouvait sous la surveillance u'u
seigneur de Hautepanne. — * Montfort sur Ourtho appartenait à cette époque
à la famille d'Alsteren de Hamal.
— 66 —
à deux lieues de Liège, avant l'expiration du terme indiqué.
L'évêque,de son côté, envoya un messager au duc Charles,
pour le supplier de ne pas s'irriter au récit des événements
qui venaient de se passer à Tongres ; selon lui, « tout irait
mieux que beaucoup de personnes ne le pensaient. » Mais il
fallait bien peu connaître le puissant, orgueilleux et vindi-
catif Charles, pour croire qu'il oublierait ou pardonnerait
jamais la surprise dont les siens venaient d'être victimes.
Le message arriva dans le plus fâcheux moment, et eut
pour effet d'enlever aux Liégeois le dernier allié qui aurait
encore pu tirer l'épée en leur faveur. Louis XI, en proposant
à Charles une entrevue à Péronne, et en se rendant, avec
une légèreté inconcevable pour un prince aussi rusé, dans
le camp de son mortel ennemi, paraît avoir oublié toute
prudence, et s'être souvenu trop tard que c'étaient ses
émissaires qui avaient allumé à Liège le feu de la révolte.
Il n'est donc pas étonnant que Charles, apprenant — avant
le 13 octobre — tout à la fois la nouvelle de la prise de
Tongres et la présence, à Liège, des envoyés de Louis XI,
ait retenu celui-ci prisonnier. Sa colère était extrême (1).
Dans un accord conclu le 14 octobre, le roi, pour échapper
à des conditions plus dures encore, dut honteusement
s'engager à suivre Charles dans son expédition contre
Liège et à assister au châtiment qu'il se proposait d'infliger
à cette ville. Il consentit à tout et offrit même de renforcer
l'armée bourguignonne par un contingent de troupes fran-
çaises (2). Mais revenons à Tongres.
(1) Dans la première explosion de sa fureur, il avait déjà donné l'ordre
d'appeler auprès de lui, le duc Charles, frère du roi, pour s'enlendre au sujet
de la déposition de Louis XI ; mais il ne larda pas à renoncer à un projet
dont la hardiesse l'effrayait lui-môme. « Tout à coup, le duc recula devant une
si grande résolution. » (De Barante, t. IX, p. 164).
(2) Philippe de Commines, l. XI, pp. 462-489.
— 67 —
Jean de Wilde donna sa parole que les promesses faites
seraient inviolablement tenues, mais fit observer que la
populace de Liège, avide de sang et de pillage, de même que
les habitants des campagnes (i),ne manqueraient pas d'affluer
à Tongres ; dans cette prévision, il conseilla au légat et à
l'évêque de se porter à la rencontre de ces bandes, de les
arrêter et de les ramener à Liège. Après avoir mis Hum-
bercourt en lieu sûr, dans le voisinage de Saint-Trond (2),
Jean de Wilde accompagna Bourbon dans sa marche triom-
phale. Parmi les personnes qui formaient le cortège, les
uns rendaient grâce à Dieu de la paix, les autres deman-
daient pardon à l'évêque. Mais, à l'exception de quelques
amis fidèles, personne, dans l'entourage de Louis, ne croyait
à un accord sincère, et tous le quittèrent par crainte des
Liégeois. Quanta ceux-ci, ils avaient différentes raisons de
se réjouir : d'abord, ils avaient la paix, à ce qu'ils croyaient
du moins ; puis, pour le cas où il faudrait faire la guerre,
ils avaient deux mille chevaux bourguignons dont ils s'é-
taient emparés, sans compter un grand nombre d'armes,
et pouvaient donc remonter leur cavalerie qui était leur
côté faible ; or, à cette époque, la cavalerie jouait encore un
rôle très important dans les batailles et décidait souvent la
victoire. Deux serviteurs du légat restèrent à Tongres pour
veiller sur les objets précieux que l'évêque y laissait, et
pour donner leurs soins au chanoine Robert, blessé dans
la bagarre ; c'était à lui que les Liégeois attribuaient tous
leurs malheurs, et ils rejetaient sur lui les torts dont ils
(i) IL faisait sans doule allusion aux paysans de Franchimont, qui avaient
embrassé la cause des Liégeois et jouèrent plus tard un rôle important dans
la guerre.
(2) * Ceci m s'accorde pas avec ce qui a été dit plus haut. Cf. Adrien,
col. 1334 à 1336.
— 68 —
croyaient avoir à se plaindre de la part de leur évèque.
En route, Louis de Bourbon et sa suite rencontrèrent
une troupe de deux mille Liégeois qui couraient à Tongres;
Onufrius réussit à les faire rebrousser chemin. Plus loin, à
deux mille environ de la Cité, dix mille hommes, ayant
à leur tête les principaux bourgeois, et notamment Vincent
de Buren, vinrent au-devant d'eux pour saluer leur évêque.
Le clergé, en habits sacerdotaux, se tenait aux portes de
la ville ; le peuple poussait des cris d'allégresse, les cloches
des églises sonnaient à toute volée. Louis de Bourbon fut
conduit à son palais (1) à la lumière des torches et au son
des trompettes, comme le prince le plus puissant et le plus
aimé de la terre.
Onufrius, accédant au désir de l'évèque, descendit aussi
au palais. C'est de là qu'il adressa son rapport au Saint-
Siège. Mais son messager ayant été arrêté en route, sa
lettre fut remise entre les mains du duc Charles.
Dans la nuit du 10 au 11 octobre,Amel de Velrois dépêcha
au légat un exprès porteur d'une lettre qu'il venait de rece-
voir de Louis XI; le roi de France recommandait à Onufrius
de lui écrire dès son retour à Liège avec l'évèque, pour
demander du secours en cas d'attaque, promettant de lui
en envoyer immédiatement. « Mais, disait-il, il était néces-
saire, pour la bonté de la cause, que cette demande lui
fût adressée par écrit. » Il entendait sans doute par là
que la cause devait paraître juste, afin de n'avoir pas l'air
de donner son appui à des révoltés, mais au contraire
de se poser en défenseur de l'Eglise. C'est probablement ce
message que Louis XI, au dire de Philippe de Commines,
0) Ce palais dlait contigu à l'église de Sainl-Lambert. Voy. ci-dessus,
p. 47. note 1 .
— 69 —
déclara, à Péronne, regretter d'avoir envoyé. Onufrius déli-
béra avec Tévêque sur cette demande. Louis de Bourbon
hésitait : il craignait la vengeance du duc si le secours du
roi n'arrivait pas à temps. Le légat répondit donc à Louis
XI que l'on ne jugeait pas à propos de recourir à lui
avant de savoir si le duc Charles refuserait d'accorder
une paix acceptable ; réponse peu adroite, à moins — chose
improbable — que le légat ne fut déjà informé de l'entrevue
de Péronne.
Le lendemain, les principaux bourgeois de Liège vinrent
trouver Onufrius et l'évêque pour prendre leurs ordres.
On leur répondit brièvement, et devant tous les assistants,
qu'ils devaient observer les promesses faites au duc, se
garder de l'offenser ou de provoquer sa puissance par des
actes ou par des paroles ; on les engagea aussi à ne rien
faire de leur propre chef, mais, avant d'agir, à consulter en
toutes choses l'évêque et le légat. Louis exprima ensuite,
avec une grande vivacité, son désir de rentrer en possession
des objets précieux qu'il avait laissés dans la maison du
légat, à Tongres, et surtout, de ravoir auprès de lui son
favori, l'archidiacre Robert. Onufrius, qui savait combien
ce chanoine était en exécration près du peuple, proposa
de le faire mener à Maestricht ; mais Robert, consulté,
déclara qu'il voulait retourner auprès de son maître.
Les gens du légat et de l'évêque furent, en conséquence,
envoyés à Tongres avec des voitures ornées des armoiries
des deux prélats, et une litière pour ramener Robert à
Liège. Au retour, les batteurs d'estrade de la Cité laissèrent
passer tranquillement les voitures sur la déclaration
qu'elles transportaient les biens de Louis de Bourbon ; mais
à peine eurent-ils entendu prononcer le nom de Robert,
qu'ils se ruèrent sur lui et l'assassinèrent, malgré ses
— 70 —
supplications et la résistancedeceuxqui l'accompagnaient (1).
Dès qu'il fut informé de ce crime, Onufrius convoqua
le peuple dans le grand jardin du palais épiscopal, et
lui déclara , par l'intermédiaire du moine carme maître
Robert, qu'il jeterait de nouveau l'interdit sur la ville si les
meurtriers de l'archidiacre restaient impunis. Cette menace
ne resta pas sans effet : l'affaire fut remise entre les mains
de Jean de Wilde que l'évêque, après son retour de Tongres,
avait investi des fontions de bailli de la Cité. Mais l'enquête,
à peine commencée, fut suspendue par suite des bruits de
guerre qui bientôt vinrent porter l'attention sur un autre
point. On découvrit, toutefois, que Vincent de Buren était
le coupable et qu'il avait commis le crime pour venger son
frère, victime d'une injustice de Robert dans la collation
d'un emploi. Du moins Louis de Bourbon l'accusa-t-il du
meurtre en présence du légat, et de Buren, rougissant, ne
put que balbutier quelques excuses.
Charles leTéméraire,pourcombattre Louis XLavait voulu
rassembler toutes ses forces ; il avait mandé près de lui
Thibaut de Neufchàtel, seigneur de Blanmont et maréchal
de Bourgogne, avec les troupes qu'il commandait, de même
que quelques princes, voisins de ses états, entre autres
Philippe de Savoie (2) et ses deux frères ; cela formait un
(<) Philippe de Coramines, t. XI, p. 475, rapporte que les Liégeois tuèrent
encore cinq autres chanoines. Il dit que Robert fut massacré sous les yeux de
l'évêque, puis déchiré en morceaux, et que les meurtriers, par un jeu barbare,
se jetèrent à la face les membres du malheureux. — * Cf. Adrien, col. 1337,
et voy. Dewez, t. II, p. 63, note.
(2) Philippe de Bresse, ennemi mortel de Louis XI, qui, à l'instigation de
son propre père, le duc de Savoie, l'avait jadis tenu prisonnier (Philippe de
Commines, t. XI, p. 468). Je dois ajouter, du reste, pour rectifier la relation
d'Onufrius, que, suivant Philippe de Commines, les seigneurs dont il est ici
question, à la grande frayeur du roi de France, étaient déjà présents à
— 71 —
corps d'armée de vingt mille hommes, tant bourguignons
que savoyards, qui devaient se diriger, par Namur, vers la
Picardie (1). Mais ces princes, ayant appris que Tongres
était tombé entre les mains des Liégeois, que l'évêque était
mort ou prisonnier, changèrent leur itinéraire — on ignore
si ce fut spontanément ou sur l'ordre de Charles, —et enva-
hirent le territoire liégeois. Ils trouvèrent Tongres sans
garnison, y mirent tout à feu et à sang, et ravagèrent les
environs (2).
Cependant, Humbercourt et Jean de Berger ne restaient
pas inactifs : ils travaillaient à la paix. Humbercourt, se
trouvant à Léones (3), expédia à Onufrius un sauf-conduit
pour Jean de Wilde, Amel de Velroux et Gilles de Lenz,
en demandant « qu'ils se rendissent tous quatre, sans
tarder, auprès de lui, dans un endroit nommé aux quatre
Péronne et partirent de là pour le siège de Liège. Philippe de Commines,
témoin oculaire, était sans doute mieux renseigné sur ce point qu'Onufrius.
0) * - Omnes
Bellorum primas Theobaldo crédit habenas,
Quem Legio Burgunda virum, quem forte Comala
Gallia, quem sequitur lurba comitante Philippus
Atque Allobrogicis ingens exercitus oris ;
Finitimos Legiis gentespetiere Namurcos
Ventura in Francos atque arva Picardiabello. »
(Ange de Viterbe, col. 1431).
(«) * C'est probablement le la octobre que les Bourguignons entrèrent a
Tongres. Voy. Adrien, col. 1337, et le Bull, de l'Inst. nrchéol. lit:g., t. XIII,
p. 16. Le lendemain partit de Cambrai Sim. de le Kerrest, secrétaire du duc,
envoyé par celui-ci au-devant du légat « estant lors en la Cité de Liège, pour
le conduire par devant Monseigneur. » (Voy. Annales de l'Acad. d'archéol.
de Belg., 1. c, p. 658, note).
(3) Peut-être Léau en Brabant, sur les frontières du Limbourg, ou bien
Louvain. — * C'est la première de ces deux localités, ou plutôt encore Lonz
(Los castrum).
arbres, entre Hubertingen et Jamine (1), car déjà Charles
s'avançait et entrait dans le Hainaut (2). Il exprimait le
désir que l'évêque leur adjoignit son chancelier et un de ses
conseillers, et que le légat assistât à l'entrevue, personnel-
lement ou par des délégués munis de ses pleins pouvoirs. »
On fit comme il le désirait; seulement Onufrius, retenu à
Liège par une indisposition, dut se faire remplacer par
son chapelain Altfast et par le moine carme Robert.
Chemin faisant, l'ambassade rencontra quelques soldats
bourguignons qui ne voulurent pas reconnaître la validité
du sauf-conduit délivré par Humbercourt, sous le prétexte
que le maréchal de Neufchâtel seul était investi du com-
mandement en chef. Ils permirent cependant aux députés
de se rendre à leur destination, les invitant, toutefois, à ne
pas chercher à revenir à Liège parce qu'ils seraient pendus
si on les attrapait. Effrayés par ces menaces, les bourgeois
et le chancelier rebroussèrent chemin ; les envoyés du
légat continuèrent leur route.
Lorsque ces nouvelles arrivèrent à Liège, une grande
rumeur se répandit dans la Cité et déjà l'on se préparait à
la guerre. Cependant Humbercourt ne cessait de prêcher la
paix et conseillait aux Liégeois de se soumettre à la volonté
du duc. Onufrius partageait sa manière de voir et, de son
côté, exhortait les bourgeois à exécuter fidèlement la con-
vention conclue avec Charles. Ceux-ci, ou plutôt les pros-
crits, firent savoir au légat qu'ils se conformeraient
(1) * Houppertingen et Grand-Jamines, communes du canton de Looz, à
une lieue de cette ville.
(2) L'un des deux, d'Onufrius ou de Humbercourt, doit avoir été mal infor-
mé. D'après la relation du premier, la lettre de Humbercourt était datée du 12
octobre, tandis que, suivant Philippe de Commines, Charles ne quitta pas
Péronne avant le 14 octobre. — * Ce fut le 15 octobre, dans l'après-midi, que
le duc Charleset le roi Louis quittèrent Péronne pour aller assiégerles Liégeois.
- 73 —
volontiers à sa volonté et à celle de l'évèque, mais qu'ils
aimaient mieux mourir que de retourner en exil, parce
qu'ils ne pouvaient supporter davantage que la liberté de
l'Eglise de Liège fut sacrifiée à des étrangers (1). Onufrius
leur fit remarquer « que la liberté de l'Eglise était affaire
du pape, de l'évèque et de lui-même ; quant à eux, ils
n'avaient qu'à exécuter leurs promesses. » Mais précisé-
ment, c'était là le point difficile, car il avait été stipulé que
les Liégeois qui, au nombre d'environ vingt mille, avaient
pris part à la bataille de Bruschen, seraient bannis ;
que personne, dans la Cité, ne pourrait plus porter d'armes;
que tous les officiers de la ville prêteraient serment de
fidélité au duc ou à son représentant, etc. Demander l'exé-
cution de la première de ces clauses, c'était exposer vingt
mille Liégeois à périr de faim dans les bois. Ils offraient au
duc " de l'indemniser de ses pertes et s'engageaient, sous la
garantie d'otages qu'ils étaient tout disposés à lui livrer, à
ne plus lui faire la guerre : pour le reste, ils s'en rappor-
taient à la décision de leurs maîtres, l'évèque et le légat.
Dans ses vieilles chartes, dans ses armoiries, sur son
sceau, la ville de Liège était appelée la fille de la sainte
Eglise romaine, et ses habitants les sujets et les vassaux
de Véglise de Saint-Lambert et de l'évèque de Liège (2) ;
il n'était donc pas raisonnable qu'ils fussent placés sous
la domination des maîtres temporels qui les opprimaient,
(0 * - Ergo legatus suadet Leodina juventus
Pareat : illa refert velle observare petita
Cuncta ducis, verum non in deserla redire
Posse iterum, exiliumque duci non utile »
(Ange de Viteiibe, col. 1451).
(2) * Je crois qu'Onufrius se trompe ici, car je n'ai jamais rencontré cette
dernière formule. Pour la première, voyez ci-dessus, p. 4, note 4, et le Bull,
de In Société scientif, et litt. du Limbourg, t. X, p. 31.
10
— 74 —
notamment du duc de Bourgogne, qui lui-même était un
prince catholique. »
Cette déclaration fut loin de déplaire au légat et à l'é-
voque; mais ils n'osèrent la faire connaître au duc (1). Ils se
bornèrent à inviter les chefs de l'armée bourguignonne « à
envoyer l'un d'eux à Liège pour recevoir les offres de
paix qu'on voulait leur faire, puisque, par leurs menaces, ils
avaient empêché les Liégeois de se rendre auprès d'eux. »
Le maréchal de Neufchàtel, absent lors de l'arrivée de ce
message, fut très irrité, à son retour, d'apprendre que les
autres capitaines avaient envoyé à Liège Pierre Hagen-
bach (2) avec un sauf-conduit et une escorte de quarante
cavaliers. Hagenbach, dans ses négociations avec le légat
et l'évêque, plaida la cause de la paix avec une noble obsti-
nation, exprimant le regret qu'il aurait de voir une si
belle ville livrée aux horreurs de la guerre. Dans une nom-
breuse assemblée du peuple, Amel de Velrois lui réitéra, au
nom de la Cité, les déclarations qu'il avait faites la veille
au légat et à l'évêque, et pria Hagenbach de représenter
au duc combien il serait plus avantageux pour lui que les
Liégeois fussent ses alliés fidèles plutôt que de misérables
esclaves sans aucune utilité pour lui.
Hagenbach, de retour à Tongres, rapporta ces paroles
(i) * - Tum molus lacrymis miseralus episcopus ipsos
Legatusque fuit ; cuperet cura mitleread aures
Cuncta ducis, non est inventus, forte timoré,
Qui portare velit, Theobaldiis quando minatus
Legati est famulis, Legios si forte per agros
Ultra irent, ipsos morti crucibusque daturus. »
(Ange de Yiterbe, col. tiol).
(2) Il est qualifié dans le manuscrit miles cl magister hospilii ducis
Burgundice. — ' Nous retrouverons plus loin ce personnage. Cf. Adrien.
col. 1337.
- 75 —
au maréchal ; mais il n'essuya que des reproches pour
avoir négocié la paix à son insu. Quant aux Liégeois, leurs
propositions restèrent sans réponse; mais ils les envoyèrent
par écrit à Thibaut de Neufchâtel, lui déclarant « qu'ils
consentaient à observer la paix toute entière, pourvu que
la clause relative à leur exil fut révoquée, et, quant aux
points qui ne pouvaient blesser aucun des intérêts du duc,
que leurs plaintes fussent entendues. » Thibaut répondit
sèchement « qu'il ne pouvait, sans l'autorisation du duc,
entamer de négociation. « En attendant, il fortifiait la
position de son armée, la rapprochait de la Cité et mettait
les environs à feu et à sang. Aussi, c'était à grand peine
que les Liégeois pouvaient se retenir de commencer l'at-
taque. Les bourgeois les plus sensés supplièrent instamment
Onufrius de se rendre auprès du duc, avec le chancelier de
Louis de Bourbon et le noble chevalier Jean de Vogel-
sang (i), favori du duc, qui avait été fait prisonnier à
Tongres. Le légat céda encore une fois à leurs instances (2)
et résolut de remonter la Meuse jusqu'à Huy, pour de là
continuer son voyage jusqu'au camp de Charles. Il crut pru-
dent d'envoyer d'abord le chancelier de l'évêque et Vogel-
sang vers Thibaut de Neufchâtel pour lui faire part de son
projet et lui demander un sauf-conduit. Ces deux person-
nages ne revinrent pas, ce qui était peu rassurant. D'un
autre côté, le général des Carmes rapporta à Onufrius un
bruit qu'il tenait de l'abbesse d'un monastère de Huy,
suivant lequel soixante cavaliers devaient tomber sur le
(i) * Jean d'Autel ou d'Elter, seigneur de Vogelsanck.
(2) * Selon Ange de Viterbe, col. 1451, ce fut Louis de Bourbon qui prit la
parole pour engager Onufrius à se rendre auprès de Charles, en démontrant
l'inutilité de la résistance depuis que le duc avait fait sa paix avec le roi de
France.
— 76 —
légat et l'assassiner dans un bois dès qu'il aurait quitté
le territoire liégeois et se serait éloigné de Huy (1).
Vers minuit, un moine vint trouver Onufrius et lui apprit
que, depuis quelques jours, l'évêque avait échangé de
nombreuses lettres avec les Bourguignons et formé le
projet de sortir de Liège sous un déguisement. Aussitôt
après cette confidence, Onufrius entra dans la chambre à
coucher de Louis, qui joignait la sienne, et lui fit des
reproches de ce « qu'il ne songeait qu'à se sauver à la
faveur des parents et des amis qu'il comptait dans l'armée
bourguignonne, tandis qu'il l'abandonnait, lui, et l'exposait
à la fureur du peuple; cependant, s'il le voulait, il trouverait
bien aussi le moyen de s'échapper et de dévoiler à tous les
desseins de l'évêque. •» Louis ne put s'empêcher de rougir;
il avoua » que la fuite lui avait été conseillée, mais qu'il
avait repoussé cette proposition; il jura, et engagea le légat
à prêter, comme lui, le serment de ne pas quitter la ville
l'un sans l'autre. " Défense fut faite au délateur, sous
peine d'excommunication, de souffler mot de cette affaire (2).
Le 20 octobre, Simon de Leurest (3), secrétaire de
(1) * « Ergo inventa fuit raylier vestalis in Huio
Quae narret, quotiens vellet legatus ad ipsum
Ire ducem, triginta équités bis forte paratos
Et qui legato simulato occurrere honore
Debent, mox illum et périmant, aut tempore longo,
Ne bellura impediat, tenebrosis claudere in antris. »
(Ange de Viterbe, col. 4451-1452).
(s) * Cf. Ange de Viterbe, col. 1452.
(s) * Simon de le Kerrest. Voy. Annales de V Académie d'archéol. de
Belgique, 1867, p. 658.
» Ocyor interea Sancto ex Trudone redibat
Robertus, nuper quem jam dimiserat ipse
Legatus, pelèrent Simo quid sibi dicere vellet,
— 77 —
Charles, arriva à Saint-Trond, d'où, n'osant aller lui-même
à Liège, il écrivit à Onufrius pour savoir s'il consentirait à
se rendre près de lui, ou s'il préférait lui envoyer un homme
sûr auquel il pût confier ce qu'il avait à lui communiquer
de la part du duc. Le légat répondit » qu'il pouvait en
toute sécurité venir dans la Cité ; que s'il ne le voulait pas,
il pouvait confier son message à son chapelain Altfast,
qui se trouvait en ce moment à Saint-Trond, chez Hum-
bercourt. ■■■ Pour plus de précaution, Onufrius envoya
quelques hommes d'une fidélité éprouvée à la rencontre
de Simon, pour l'escorter jusqu'à Liège ; ils l'attendirent en
vain. Mais ce qu'ils virent, ce fut l'armée bourguignonne
qui s'éloignait de Tongres, semant sur son passage le
meurtre, le pillage et l'incendie ; Crestençay (1) en feu,
lançant dans les airs des tourbillons de flammes et de
fumée, et les paysans s'enfuyant vers Liège avec leurs
enfants et leur bétail.
Altfast, qui s'était mis en route pour remettre à Onufrius
les lettres dont Humbercourtet Simon de Leurest l'avaient
chargé, fut arrêté à Crestençay par les soldats bourgui-
gnons et mené à Philippe de Savoie; celui-ci le relâcha
immédiatement et le chargea de saluer de sa part le légat
Qui vir Burgundi ducis ipsa arcana tenebat,
Quidve Umbcrcurtus bis dente ad tempora lucis
Pollicitus Legise rediturum ad mœnia gentis,
Dum captus summis Tungris sub mœnibus essct. »
(Ange de Viterbe, col. 1452-4453).
(i) * Probablement Crisnt'e ou Crisgnée (autrefois Creslingnic), commune
à 15 kilom. de Liège.
« Vix Crestienaci patuerunt culmina villa;,
Agricolas cernit fugientes atque ferentes
Ex flammis prsedas, elc.
(Ange de Viterbe, col. 1453).
et l'évêque, auxquels il faisait dire « qu'il aurait l'honneur
de les voir le lendemain devant Liège, si Dieu ne le rappelait
pas à lui pendant la nuit (i). « Altfast continua son voyage ;
mais bientôt, de nouveau arrêté, il fut amené en présence
de Thibaut de Neufchâtel ; celui-ci ne se souciait nullement
de Humbercourt, dont il voyait le nom au bas du sauf-
conduit que le chapelain lui présenta ; mais ayant vu les
lettres du secrétaire Simon, il laissa partir Altfast, non
sans lui dire « qu'il serait pendu s'il retombait entre ses
mains. ••
Il est évident que ni le duc Charles ni ses officiers, pour
ne pas être entravés dans leurs projets par les négociations
d'Onufrius, ne voulaient pas lui reconnaître la qualité de
représentant du pape; et si on renonçait à faire croire qu'il
s'était arrogé un titre et une qualité qui ne lui apparte-
naient pas, au moins cherchait-on à rendre ses intentions
personnelles suspectes. Les récits des écrivains contempo-
rains et les opinions qu'ils émettent sur notre légat (2),
attestent que les efforts de cette politique ne restèrent pas
tout à fait sans résultat.
Sur ces entrefaites, les chefs de la Cité et les principaux
bourgeois de Liège vinrent solliciter le légat de lancer les
(i) * - Intravit villam, mox captus ab ipsis
Burgundis, domino jam ductus et ipse Philippo
Quem Sabaudinse misère ad prœlia terrœ.
Mox cum legati famulum novisset, ad ipsum
Ire sinit, mandatque ferat de morle salutem,
Tumjussit narret Legiis, nisi noctesuprema
Illa occidantur, Burgundos luce sequenti
Visuros belloLeodinas denique gentes. »
(Ange de Viterbe, col. 14S3).
(2) Philippe de Commines, t. XI, p. 493; Paul EsiiLE.De rébus Francorum,
ad a. 1468.
— 79 —
foudres de l'Eglise contre leurs ennemis. Quelques hommes
du peuple disaient même hautement qu'il fallait le considérer
comme leur étant hostile s'il tardait à le faire. Mais il jus-
tifiait son attitude passive, en disant « qu'il ne pouvait
légalement excommunier les Bourguignons ni les laisser
attaquer tant qu'on n'avait pas reçu de réponse du duc ;
que prendre l'offensive c'était agir contrairement à la pru-
dence et à la sagesse, tandis que personne ne pourrait leur
reprocher de repousser une attaque ; qu'ils ne feraient
qu'exaspérer le duc en commençant les hostilités, et d'ail-
leurs, qu'ils se trouvaient sans armes en présence d'une
armée parfaitement équipée, composée de cavaliers et de
fantassins aguerris, et ne devaient pas s'attendre à rencon-
trer des gens endormis comme à Tongres ; que les Bour-
guignons étaient très au courant de tout ce qui se passait
dans la ville ; il ajoutait même qu'ils tenaient leurs infor-
mations de personnes dont le devoir eut été d'éclairer leurs
concitoyens et de veiller au troupeau dont la garde leur
était confiée, plutôt que de donner à leurs ennemis des con-
seils funestes. »
Les chefs, ayant écouté ces paroles du légat, lui deman-
dèrent alors '• ce qu'il y avait à faire en ce péril imminent;
car pendant qu'ils délibéraient dans l'inaction, la patrie
était dévastée par l'ennemi. - — « Des champs et des mai-
sons, leur répondit Onufrius, peuvent facilement être
remis en bon état. Ce qu'il importe surtout de sauvegarder,
c'est votre ville. Continuez à proposer des conditions de
paix acceptables ; si elles sont. rejetées, implorez le secours
de Dieu et de saint Lambert, et défendez-vous jusqu'à la
dernière extrémité. Surtout, ne risquez pas de sortie ; c'est
le dernier avis que j'aie à vous donner. » Louis de Bourbon
avait engagé Onufrius à conseiller aux Liégeois de faire
— 80 —
une sortie : « qu'ils tussent vainqueurs ou vaincus, disait-
il, la guerre était finie. » Mais le légat ne voulait pas se
rendre responsable du sang versé dans une bataille.
Cependant, les Liégeois ne suivirent pas ses avis ; ils se
décidèrent à tenter, pendant la nuit, une sortie avec huit
mille hommes (1). Jean Altfast en rencontra jusqu'à deux
mille, divisés par bandes de cent, qui cherchaient les Bour-
guignons ; ils croyaient, en effet, parce que ceux-ci étaient
sortis de Tongres — ville très convenable pour y établir des
quartiers d'hiver, — que leur intention était de quitter le
pays. Mais Altfast, qui avait présents à l'esprit les compli-
ments dont Philippe de Bresse Tavait chargé, assura aux
Liégeois que , loin de se retirer , les Bourguignons au
contraire se dirigeaient vers Liège ; il les engagea donc à
retourner en toute hâte chez eux. Malheureusement, ils
méprisèrent son conseil.
Altfast apporta au légat la réponse verbale donnée par
Charles à son secrétaire ; ce n'était pas une proposition
de paix, mais un avertissement amical : « il était persuadé
que la surprise nocturne de Tongres n'avait pas eu lieu à
l'instigation de l'évèque et du légat : mais telle était la
croyance générale des Bourguignons ; aussi , ceux-ci
étaient-ils très mal disposés envers les deux prélats ; son
armée étant composée de rudes soldats de différentes
nationalités, le légat devait bien prendre garde de tomber
(1) * « Interea rumor Legiorum perculit aures
Crestenam (Crisgnt!e) incensam, bisquinque et raillia ab urbe
Sunt egressa hominum, préparant noclisque per umbram
Ad bellum ; dulci non.sunt sermone retenti
Sacri oratoris (Onufrii), médise sednoctis ad horam
Congressi, telis plures slravere coliortes
Burgundas. "
(Ange de Viterbe, col. 1453).
— 81 —
entre leurs mains; si Liège était prise d'assaut, sa vie serait
en danger ; en conséquence, il l'engageait à quitter la
ville. »> Onufrius communiqua ce message à l'évêque ;
" c'était là, disait-il, sa récompense pour avoir sauvé la
vie aux Bourguignons ; s'il n'avait pas mis obstacle à la
fureur des Liégeois, la position serait peut-être toute
autre. » Ils délibérèrent sur ce qu'il y avait à faire pour
détourner le danger qui les menaçait tous deux ; mais
comme les Liégeois s'apprêtaient en ce moment à faire une
sortie, ils décidèrent qu'ils en attendraient l'issue.
La rencontre eut lieu le 22 octobre ; les premières nou-
velles que l'on en reçut dans la Cité, annonçaient la
déroute complète des Bourguignons ; d'autres messagers
suivirent, apportant des dépêches tantôt bonnes tantôt
mauvaises. La lutte dura depuis le matin jusqu'à midi (i).
Les Liégeois se battirent comme des lions pour leurs foyers
et leurs autels ; mais ils paraissent avoir commis la faute
de se porter contre l'ennemi, non avec toutes leurs forces
réunies, mais par bandes détachées telles qu'elles sortaient
de la ville. Au moins Onufrius rapporte-t-il que Jean de
Wilde, le plus vaillant capitaine des troupes liégeoises,
fut menacé de mort par ses concitoyens parce qu'il était
arrivé trop tard sur le lieu du combat. Les Bourguignons,
au contraire, massèrent tout d'abord leurs troupes et
attaquèrent vivement l'ennemi près du village de Lantin,
à une lieue de la Cité (2). Les Liégeois, qui n'avaient que
(1) * Voy. Ange de Viterbe, col. 1453-4454 ; Adrien, col. 1337-4338 ;
Bull, de Vins t. archéol. Hcg., t. XIII, pp. 16 et 47.
(a) Villa Lantin, probablement au Nord-Ouest de Liège, quoique cela ne
concorde pas avec la distance indiquée, car Lantin est éloigné de Liège de
trois milles géographiques au moins. Les faits qui suivent paraissent égale-
ment arrivés au Sud de la rivière du Geer et de Landen. — * C'est cependant
bien de Lantin, à une lieue et demie de Liège, qu'il est question ici. Cf. Adrien,
col. 1338. 11
— 82 —
mille cavaliers peu aguerris, ne purent résister au choc de
la formidable cavalerie bourguignonne, et furent refoulés
jusqu'aux portes de leur capitale avec une perte de quinze
cents hommes. Cinq cents de leurs fantassins se retirèrent
à Lantin et s'y défendirent héroïquement , retranchés
dans les maisons et dans la tour de l'église. Les Bourgui-
gnons ayant mis le feu aux demeures et au temple, ils
périrent tous, jusqu'au dernier (1).
La plus grande confusion régnait dans la Cité (2) ; les
bourgeois échappés au désastre ne contribuaient pas peu
à y répandre la terreur ; on n'y parlait que de la ruine de
la ville, qui paraissait imminente à tous. Onufrius et Louis
de Bourbon eurent d'abord la pensée de se porter à la
rencontre des Bourguignons et de faire un dernier effort,
par leurs supplications et leurs prières, pour obtenir la
paix. Mais la crainte de tomber entre les mains des soldats,
affolés de sang et de carnage, les détourna de ce projet. Ils
se décidèrent à monter sur la tour de l'église Saint-Lambert ,
où les suivirent plusieurs ecclésiastiques et bourgeois, afin
de pouvoir, de cet endroit élevé, parlementer, s'il y avait
lieu, avec les chefs de l'armée ennemie. Du haut de cet
observatoire, ils assistèrent à un lugubre et émouvant
spectacle ; de quelque côté que se portassent leurs regards,
ils voyaient les portes et les murailles dégarnies de leurs
défenseurs ; le peuple qui se réfugiait en partie dans les
églises, en partie sur les ilôts de la Meuse ; d'autres qui
(1) * Piccolomini, dans de Ram, p. 378.
« Ad portas usque sequunlur
Burgundi Legios fugientes, altéra Lantsin
Pars fugit ad villam, et se nititur ipsa tueri, etc. «
(Ange de Viterbe, col. -1434).
(1) ' Cf. Ange de Viterbe, col. 1454,
— 83 —
traversaient le fleuve dans des barques. Les Bourguignons,
heureusement, n'entrèrent pas dans la ville ; ils ignoraient
ce qu'Onufrius constatait du haut de la tour et craignaient
une embuscade, notamment de la part du corps qui s'était
replié sur Lantin, et qui, en ce moment, n'était pas encore
anéanti.
Témoins de la retraite des Bourguignons, le légat et
l'évêque quittèrent leur refuge pour délibérer sur la
situation (1). On s'attendait à un assaut. Le bruit courait
aussi que Louis XI et le duc Charles avaient conclu un
arrangement et étaient en route pour rejoindre Thibaut de
Neufchàtel (2). Les Liégeois se berçaient du fol espoir que
le roi de France arrivait plutôt en ami qu'en adversaire,
et leur procurerait une paix honorable, puisqu'ils avaient
agi en grande partie par ses ordres ou d'après ses sugges-
tions. Douze bourgeois , au nombre desquels se trouvait
Amel de Velrois, estimaient que la seule chose à faire était
de prier le légat et l'évêque d'aller au devant des princes,
pour implorer la paix, ou du moins pour tâcher d'obtenir la
vie sauve, car les Bourguignons avaient juré que tous les
habitants seraient passés au fil de l'épée. Les gens du peuple
étaient partagés dans leur opinion. Après une longue
discussion à laquelle prirent part le légat, l'évêque, de
Klerck, Amel de Velrois et d'autres, il fut décidé qu'Onu-
frius (3), Louis de Bourbon, Amel et dix autres bourgeois
0) * Cfr. Ange de Viterbe, col. 145o.
(2) * Thibaut de Neufchàtel appartenait à l'une des maisons les plus consi-
dérables de la Bourgogne, qui ne doit pas être confondue avec celle des
comtes de Neufchàtel en Suisse. Voyez p. 87, note 2.
(3) * Le légat, paraît-il, exigea que l'évêque l'accompagnât dans ce voyage
parce qu'il comptait des amis parmi les Bourguignons, tandis que lui leur
était suspect comme trop favorable aux Liégeois : a Legatus cunctis Burgun-
dis invisus fuerat, quod nimium Leodiensibus favere creditus sit. » (Herbenus,
dans de Ram, p. 359). Cfr. Adrien, col. 4338.
— 84 —
notables se rendraient auprès du roi de France et du duc
Charles, après avoir prorais formellement de revenir à
Liège, leur mission accomplie (1).
Ce fut le 23 octobre qu'ils quittèrent la malheureuse
Cité pour entreprendre leur périlleux voyage, escortés par
une troupe que commandait Jean de "Wilde (2) ; leur départ
ne s'effectua pas sans résistance de la part de plusieurs
bourgeois, armés et non armés, qui voulaient à toute force
les retenir. A peine eurent-ils dépassé l'enceinte de la ville,
qu'un tableau déchirant frappa leurs regards ; des femmes
et des vieillards cherchaient leurs parents parmi les morts
couchés dans la plaine. Près de Lantin, leurs chevaux ne
purent qu'à grand peine franchir les ruines du village
incendié et les cadavres carbonisés des cinq cents soldats
qui avaient péri en héros (3).
« Properant incendere flammis
Burgundi, sœvum nisi mollia verba tyrannum
Legati flectant. Igilur rogitandus ad ipsum
Ul vadat, tantse et causam Ievet ipse ruina?. —
Sic ait (Velrous) atque omnes illius dicla probarunt.
Tum legatus ait : Si me concedere vultis
Borbonius comitem nobis se adjungat, et ibo,
Quamvis verba ducis moneant vitare superbos
Burgundos, nostro Tungris factum omne putantes
Consilio, etc. »
(Ange de Viterbe, col. 1455).
0) * Cf. Piccolominj, pp. 378-379. Phil. de Commines prétend que le
légat s"enfuit de la Cité ; cette assertion est réfutée par M. de Gerlache,
op. cil.,\>. 283.
(2) * « Itaque hora diei jara décima profecti omnes ad terciam noctis, non
sine crebris vitse periculis ad primas stationes hosliumpervenere. » (Piccolo-
mini, p. 579).
(3) * Cf. Adrien, col. 4338 ; le Bull, de l'Insl. archèol. liég., t. XIII, 17.
« Jam cum bis quinis egressi civibus urbe,
Ante ipsas portas cernunt miserabile visu, etc. »
(Ange de Viterbe, col. 1456).
— 85 —
En route, Louis de Bourbon voulut renvoyer Jean de
Wilde et son escorte. Longtemps le brave soldat résista à
ses sollicitations : il se rappelait les menaces qu'il avait en-
tendues la veille, à Liège, et redoutait plus les caprices de
ses concitoyens qu'une mort honorable en face de l'ennemi.
Il semblait pressentir un danger. Cependant, pour ne pas
manquer à la parole donnée, il se laissa enfin persuader et
retourna vers la Cité (1). Amel aussi était plein d'appréhen-
sions sinistres, et l'on peut dire que le plus grand malheur
des Liégeois fut d'avoir eu à leur tète des hommes dont les
plus sages se laissaient aller au découragement avant que
tout espoir fût perdu.
Louis de Bourbon, avant de partir, avait envoyé au
maréchal de Neufchâtel trois messagers pour annoncer son
arrivée et demander un sauf-conduit; aucun de ces hérauts
ne reparut.
Les ténèbres enveloppaient la contrée que traversaient
les voyageurs, mais les flammes qui dévoraient Schindel (2)
leur indiquaient la route. Sur le conseil du légat, on se
dirigea vers ce village pour reconnaître, à la clarté de
l'incendie, le chemin qui devait les conduire à Maestricht (3).
(1) * Jean de Wilde, dit M. de Chestret, accompagna l'évoque cl le légat
jusqu'en vue du camp de Ravenstein (Bull, de CInst. archéol. liég., t. XIII,
p. 17).
(2) * Xhendremael, autrefois Scficndelmalc, entre Lantin et Othée.
« Flamma relucens
Schindelim interea exustifi monslrabat eunti
Ipsa viam ; placuit villam concedere ad ipsam
Et exspectare aliquem, si posset noscere, vel si
Notus ab his esset. »
(Ange de Viterbe, col. 4457).
(3) * D'après Ange de Viterbe, col. 1456-1457, Onufrius, dans la crainte
de tomber entre les mains des Bourguignons, proposa à Louis de Bourbon de
retourner à Liège à la faveur des ténèbres, ou de se diriger sur Maestricht.
Ce fut à ce dernier parti qu'ils s'arrêtèrent :
— 86 —
Enfin, on aperçut un campement, vers lequel fut dépêché
un quatrième héraut, que l'on ne revit plus. Douze ca-
valiers qu'ils rencontrèrent les menèrent à un village
voisin nommé Elschals Othey (1), où se trouvait le camp.
Deux gentilshommes allemands, Frédéric et Werner de
Vieten(2), ayant reconnu l'évèque et le légat, restèrent stu-
péfaits de leur témérité ; en effet, le conseil de guerre avait
statué que tous ceux qui sortiraient de la Cité seraient mis
à mort. Ils les accueillirent néanmoins sous leurs tentes,
leur firent servir à manger et leur donnèrent de la paille
pour passer la nuit. Là, Louis de Bourbon et Onufrius
apprirent que le roi de France et le duc avaient décidé
la destruction de Liège, que Charles était mécontent
d'eux, et que ni Humbercourt ni personne ne pouvait lui
enlever la conviction qu'ils avaient été cause de la surprise
de Tongres. Comment concilier cette dernière assertion
« Quare melius repeteraus iniqua
Nocte urbem Legiam, melius vel mœnia ad ipsa
Trajecli tendemus iter. — Pauca ipse pudore
Borbonius loquitur, ventura atqueagmina rursus
Asserit. Ipse tamen legatus mœnia adibat
Trajecli, famulusque viani monslravit habendam
Tylmandus, Tungris fuerat qui mœnibus ortus.
Borbonius dubiis sequitur mox passibus illum. *
(0 * Evidemment Othée (en flamand Elch), à 1/2 lieue de Xhendremael.
« Audilo legati nomine ab ipsis
Borboniique simul, quoniam responsa dabantur
Fida satis, dominos lseta mox voce salutant.
Tune ad vicinam quae fertur nomine villam
Elchis, perducunt. «
(Ange de Viterbe, col. 1487).
(2) * « Erat hic Fredericus, et alter
Varnerus germanus adest, quem misit Aquensis
Urbs equidem... »
(Ibidem.)
— 87 —
avec l'avertissement que le secrétaire Simon avait fait
parvenir au légat ? Il est probable qu'alors Charles avait
déguisé sa pensée pour amener Onufrius, par des avis
simulés, à se retirer en Allemagne ; en effet, la présence
d'un juge apostolique, aussi bien à Liège que dans son
camp, le contrariait vivement, car il n'osait porter at-
teinte à sa personne inviolable (1) ; mais il n'eût pas été
fâché d'apprendre qu'un malheur était arrivé à son insu à
ce négociateur gênant.
Un parent de l'évêque qui servait dans l'armée bour-
guignonne, le seigneur d'Arguel (2), conduisit les deux
prélats auprès de Thibaut de Neufchâtel et du Conseil du
duc. Les gens de la suite du légat furent déclarés prison-
niers de guerre (3). Onufrius s'en plaignit à l'évêque ; mais,
suivant ce dernier, il était nécessaire que lui-même, aussi
(i) Voyez l'introduction.
(2) Dominus de Argul ; Argul est probablement le même nom qu'Arguel,
fief relevant de la baronnie d'Arloy, appartenant à la famille de Chalons ;
celle-ci jouissait des droits de souveraineté dans la principauté de Neufchâtel
en Suisse. Thibaut de Neufchâtel appartenait sans doute aussi à la môme
famille. Voyez Johan von Muller, Schweizer Geschichle, t. Il, p. 604, et
Picot, Statistique de la Suisse, pp. 528 et suivantes. — * Arguel est un
village du département du Doubs, à 4 ou 5 kil. S.-O. de Besançon. On y voit
les restes d'un château féodal. Dans la lettre adressée par Mathias Herbenus
à l'évêque de Cambrai au sujet des événements qui nous occupent, on lit que
le sr d'Argué (sic) avait épousé une sœur de Louis de Bourbon (de Ram, p. 360).
Ce doit avoir été une sœur naturelle.
(s) * « Quibus stalim prœfecli duo obviam facti, quorum aller erat praeses
Burgundiae, aller sororis cpiscopi vir, intellecta vise causa, vetuerunt eos
ulterius progredi, ac stalim in cuslodiam prœsidis legatus, episcopus in
affinis sui tabernaculum adductus est, magistralus vero omnis in vincla con-
jectus. » (Piccolomini, p. 379). « Quantocius in tam procacem legatus,
comilatus episcopo Leodiensi, castra Burgundorum noclu prosequeretur, a
domino de Argul, cui soror Borbonii nupserat, cum omni familia sua caplus
est, bonis direptis... » (Herbenus, p. 360).
— 8S —
bien que sa suite, fussent considérés comme prisonniers (1).
Onufrius protesta vivement contre ce traitement infligé à
un personnage revêtu d'un caractère sacré ; mais on lui
fit entendre qu'il était prudent de se soumettre à cette
formalité, pour ne pas s'exposer aux mauvais traitements
des soldats, et il engagea sa parole d'honneur de ne pas
chercher à s'enfuir.
Arguel avait son campement sur les deux rives du
Jaar (2). L'évèque, le légat et leur suite furent menés dans
le village le plus voisin, à environ mille pas de Lantin (3),
mais non sans subir de nouvelles avanies : un gentilhomme
savoyard s'empara violemment des objets précieux du
secrétaire d'Onufrius, ainsi que des papiers de son maître,
et lorsque le légat eut passé le Jaar, les soldats se parta-
gèrent ses chevaux. Arguel et l'évèque l'avaient quitté.
Enfin, il fut appelé à une entrevue avec Thibaut de Neuf-
chàtel et le Conseil ducal, entrevue à laquelle devaient
également assister l'évèque et les députés de Liège (4).
(1) * Cfr. Ange de Viterbe, col. 1458-1459.
(2) Hiar ou Hyccara. — * Le Geer(lat. Jecora). Voy. p. 21, note 3.
— * « Ast Arges Jecorœ legatum ad flumina ducit,
Kineccham (Kemexhe ?) et villam dictam, lenloria habebat
Juxta ipsam, et late miles sua commoda cepit. »
(Ange de Viterbe, col. 1459).
(s) * Il est impossible de préciser quel est ce village. Lantin étant situé à
6 kilom. du Geer, en est séparé par Paive.JupprellejVillers-S'-Siméon^tc.jetc.
« Hue etiam famuli capti ducuntur ab Elcbe (Othée),
Postquam legatus castris est ipse receptus
Cum famulis, Argis miles ruitomnis in ipsos,
Et prsedatur equos qusecumque et commoda habebant. •>
{Ibidem).
(•i) * « Talia jactabant duo cum venere, rogantes
Legatus dominus Theobaldura nomine adiret
Ductorem, quoniam non ipse relinquere castra
— 89 —
Onufrius appelait de tous ses vœux cette conférence ;
mais Arguel fit naître des obstacles, car il voulait forcer le
légat, qui passait pour extrêmement riche, à lui payer cin-
quante mille ducats, et refusait de céder sa proie au maré-
chal (1). Enfin il le laissa partir, sous la conduite d'une
nombreuse escorte, pour le village de Beyrsées (2), où il
trouva Thibaut, l'évèque, Humbercourt, Hagenbach et
d'autres membres du Conseil. Les députés liégeois y arri-
vèrent également. Thibaut adressa d'abord la parole à Amel
de Velrois : il désirait apprendre « ce qu'il avait à lui
exposer avant de donner l'assaut à la ville de Liège, qui
devait avoir lieu le lendemain. Ayant entendu dire que les
Liégeois avaient formé le projet de l'attaquer pendant la
nuit, il avait mis le feu à plusieurs villages, afin d'éclairer
leur marche. » Amel répondit avec autant de prudence que
de dignité : " Ses concitoyens désirent la paix ; ils recon-
naissent l'évèque et le légat pour leurs maîtres, et promettent
de se soumettre à leur jugement pour le cas où ils auraient
Tune polerat, quando Lcodinis luce sequenti
Kella movere viris jtissus. »
(Ange de Viterbe, col. 1459).
(1) * « Consilium inlerca caslris fiebal, et Argi
Dicebant multi : legalus solvere posset
Quinquaginta auri nummorum millia soins,
Sed bonus ut domino tanto sis filius olim,
Quinquc et viginti solvantur millia tantum. »
(Ibidem).
(2) * « Bierset, commune du canton de Hollogno-aux-Pierres. Arguel lui
rendit trois de ses serviteurs :
« Verumubi legalum vidit concedere vclle,
Et blandis mentem nullis se posse movere
Vocibus, adjunxit très se permiltere tantum
Restitui famulos comités, nec reddere plures.
(Ange de Viterbe, col. 1460).
12
— 00 —
causé au duc un dommage quelconque. » Amel portait le titre
de maître (1) ; le maréchal l'avertit « de ne pas se donner
cette qualification parce que le duc Charles avait ordonné
aux Liégeois d'abolir toutes les magistratures de leur ville. »
Se tournant ensuite vers Louis de Bourbon et Onufrius, il
leur demanda ce qu'ils avaient à dire. Les deux prélats ré-
pondirent « qu'ils n'avaient rien à ajouter à ce qu'Amel avait
exprimé si clairement, à savoir que les Liégeois consentaient
à se soumettre à tout ce qui était raisonnable. « L'évêque
supplia cependant le Conseil d'épargner cette ville de
Liège si magnifique, en l'aisant valoir que le duc pourrait en
obtenir ce qu'il voudrait s'il consentait à ne pas la mettre à
feu et à sang. Le maréchal fit observer que son maître
s'était déjà mis trois fois en campagne pour réduire à
l'obéissance les turbulents sujets de l'évêque, et qu'ils ne se
soumettraient pas plus cette fois que les autres. Ensuite,
s'adressant de nouveau aux députés, il leur dit « que, pour
avoir la paix, il ne pouvait leur conseiller autre chose sinon
de livrer leur Cité à la discrétion du duc (2); au cas contraire,
tout serait décidé le lendemain par le glaive ; la ville, après
avoir été mise au pillage, deviendrait la proie des flammes,
ensevelissant les bourgeois sous ses ruines. Mais tout cela
n'était pas de nature à émouvoir sa pitié : ce qui lui ferait
de la peine, ce serait de voir les églises tomber en ruines,
les objets sacrés livrés à la profanation, les femmes et les
enfants égorgés. « Amel répondit avec une noble audace :
" Si le légat et l'évêque l'ordonnent, nous nous soumettrons
(1) * Maître à temps ou bourgmestre de la ville de Liège. Voy. ci-dessus
pp. 42, note 2, et 57, note ; et cf. Ampliss. coll., IV, col. 1-iGl, note.
(•2) * « Nihilo his diclis obstinata ad ultionem raenspotuit flecli. Respondit
tantum liberam sibi in res atf|tie animas civium velle potestalem pcrmitti, nec
< 1 ni r 1 i n 0 conditioncm aliquam dici. » (Piccoi.omtm, p. 379).
— 91 —
même à cette extrémité. » Et Onufrius, non moins fier et
courageux, ajouta « que l'Eglise de Liège, fille de l'Eglise
romaine, ne devait pas se plier aux caprices du duc; il dou-
tait grandement qu'elle le fit sans y être forcée ; s'il était
investi de pouvoirs plus étendus, il en dirait davantage,
et le maréchal serait plus modéré dans son langage. » Après
ces mots, il quitta la salle, suivi de l'évêque (i).
Humbercourt renouvela ses efforts près du légat pour
le persuader d'engager les Liégeois à faire leur soumission
au duc; mais Onufrius voulait d'abord savoir à quelles con-
ditions on leur accorderait la paix. Humbercourt et le
maréchal lui-même l'assurèrent d'abord qu'Arguel serait
puni pour les mauvais traitements qu'il lui avait fait subir.
Enfin, les députés liégeois s'engagèrent, au nom de leurs
concitoyens, à se soumettre à tout ce que leur ordonnerait
le maréchal. Thibaut dicta alors à son secrétaire les clauses
suivantes : « Amel et les autres députés imploreront la
miséricorde du duc ; les Liégeois abandonneront leur ville,
leurs corps et leurs biens à son bon plaisir. * Ces conditions
ayant été signées par les deux parties, et même par Onu-
frius, un héraut les porta à Liège.
Arguel voulut reconduire le légat à son campement; mais
Onufrius, indigné, lui reprocha sa cupidité et ses violences,
et le menaça du châtiment réservé à ceux qui portaient la
main sur un légat du Saint-Siège. Il ordonna à l'évêque de ne
pas le quitter, et Arguel fut obligé d'emmener seulement les
députés liégeois. Toutefois, il fit encore une tentative pour
s'emparer de la personne d'Onufrius, mais elle échoua (2).
(1) * Celte entrevue est décrite par Ange de Viterbe, col. 1461-1462, qui met
de longs discours dans la bouche des orateurs. Il faut renoncer à citer. Cf.
Piccolomini, 379.
(2) * Voy. Ange de Vlterbe, col. 1463.
— 92 —
Le légat et l'èvèque cherchèrent alors un refuge dans un
château-fort appelé Foux (1), situé à mille pas de là, sur la
Meuse, au nord de Liège. C'était en cet endroit que Hum-
bercourt et Jean de Berger avaient établi leur camp, avec
deux mille hommes de la Cité et du pays de Liège qui, se
mettant en opposition avec leurs concitoyens, s'étaient dès
le principe déclarés pour 1 evêque.
Comme le maréchal ne recevait de la Cité aucune réponse
aux conditions qu'il avait faites, il fit, le lendemain (2),
avancer ses troupes pour mettre le siège devant la ville.
Onufrius, qui craignait de rester sans escorte à Foux,
se décida à suivre l'armée (3). Celle-ci formait un demi-cercle
composé de trois lignes. Dans la première se trouvaient
les lansquenets et les archers à pieds (lancearii et balis-
tarii pedites), dans la seconde les archers à cheval
(architenentes) — dont les petits chevaux étaient dressés à
s'arrêter dès que les cavaliers descendaient pour combattre;
—la troisième comptait tous les autres soldats. Les chefs et
les porte-drapeaux se tenaient au centre. Il y avait en tout
vingt-deux bataillons (agmi?ia), forts chacun de deux mille
hommes à pied et à cheval. Dix-huit cents chariots, attelés
(1) * Eooz, à 3 kilora. de Bierset.
(i) * C'est-à-dire le 24 octobre.
(3) * " Legatus, quamvis potuisset tutus abire,
Se tamen huic genti comitem prsebere volebal,
Casibus uttanlis populos paler ipse labantes
Eriperel, possetque segris conferre salutem.
Sed quoniam sequilur non agmina passibus œquis,
Ipse sibi jungi socios ex agmine poscit,
Qui post extremas ducanl ad bella cohortes,
Eloquio sperans aniraum mollire furentis
Ipseducis, placidœ et conjungere fœdera pacis. Etc. -
(Ange de Viterbe, col. 1464-4465).
— 93 —
de douze mille chevaux, voituraient les vivres, l'artillerie
et autres machines de guerre. Telle était la formidable
armée qui, sous le commandement de Thibaut de Neufchà-
tel, s'avançait sur Liège (1).
Tout à coup arriva un courrier de Charles ordonnant
au maréchal de revenir sur ses pas et de lui envoyer Hum-
bercourt et l'évêque. Le duc et le roi Louis se trouvaient
alors dans un village voisin nommé Momalie (2). Chacun
rentra donc dans son ancien campement, et Humbercourt,
avec Berger, le légat et l'évêque, retournèrent à Foux.
Avant que Humbercourt et l'évêque se fussent mis en route
pour aller rejoindre le duc dans ses quartiers, le héraut qui
avait été expédié vers la Cité revint avec la réponse des
Liégeois à Louis de Bourbon et au légat : » Le maréchal
était autorisé à pénétrer librement dans la ville avec huit
cents soldats, pendant que l'évêque et Onufrius s'y ren-
draient aussi pour traiter des conditions de la paix ; mais
(1) * - Burgundus ductor habebat
Quinquaginla hominum Theobaldus milita : secum
Ibat tota phalanx, et cogebatur in arclura.
Uastalos pedites, etc. »
(Ange de Viterbe, col. 1464).
(2) * Momalie, commune de la province de Liège, à 9 kilom. de Waremme.
Suivant Adrien, col. 1338, Louis X! et Charles étaient à Fallais, village à 12
kilom. de Waremme : « Illa die (feria lertia = 25 octobre) venit dux cum rege
Francis? post meridiem in Falais, et occurrit ei dominus de Humbercourt...
lllo sero comcdit rex ad unam mensam, dux ad aliam mensam ; dominus Leo-
diensis cum archiepiscopo, fratre suo, cl duce Borbonise, et aliis fratribus et
sororibus suis, comedit in lertia mensa ; et dominus de Humbercourt fuit
ullerius in eadem mensa, ex cujus relalu isla scripta sunl. » Selon M. Hen-
rard, Annales citées, p. 662, Charles arriva à Namur le 21 octobre ; il quitta
cette ville le 24, passa deux jours à Fallais, et se rendit le 26 à Momalie où il
apprit l'escarmouche de Vivegnis ; il monta aussitôt a cheval, et le 27 au soir
il occupait les hauteurs de Stc Walburge.
— 94 —
dans tous les cas, ces deux derniers devaient tenir leur
parole et revenir dans la Cité. -> Louis, sans tenir compte
de cette réponse, se hâta de partir pour se rendre auprès
du duc.
L'époque approchait où Humbercourt, d'après l'engage-
ment qu'il en avait pris, devait se remettre sous la garde
de Jean de Wilde au château de Montfort. Il s'excusa par
écrit de ne pas remplir sa promesse, sous prétexte » qu'en
restant à l'armée, il serait mieux à même d'agir en faveur
des Liégeois, et qu'il voulait y consacrer tous ses efforts.
Il conseillait, du reste, aux Liégeois, d'ouvrir leurs portes
aux Bourguignons. »
Onufrius, à l'insu de l'évèque, envoya au duc un héraut
porteur des armes papales, avec mission de lui remettre
une lettre datée du 25 octobre, dans laquelle il lui faisait
savoir "qu'il avait quitté Liège d'après ses conseils, et que.
néanmoins, le seigneur d'Arguel l'avait retenu prisonnier
et traité comme tel ; que si c'était par son ordre, il devait
se soumettre, mais qu'il l'engageait à bien réfléchir sur la
gravité de cet acte, car il était de son devoir de protéger
l'honneur du Saint-Siège et de son légat ; qu'enfin, il faisait
des vœux pour le succès de ses armes contre les rebelles,
en sauvegardant, toutefois, les intérêts de l'Eglise, de la
ville de Liège, et ceux des bourgeois innocents. »
Pendant la nuit, les postes avancés firent savoir que, à
la faveur des ténèbres, huit mille fantassins liégeois se diri-
geaient sur Huy en longeant la Meuse. Onufrius, dont les
lettres avaient fait connaître le lieu de retraite ainsi que
celui de l'évèque, supposait que cette expédition, quoique
faite, semblait-il, dans une direction toute opposée, avait
pour point de mire le château de Foux. Il eut beaucoup de
peine à persuader aux chefs bourguignons que c'était
— 95 —
une ruse des Liégeois. Ceux-ci arrivèrent, en effet, à
minuit, au nombre de dix mille, et exigèrent qu'on leur
remît le légat et l'évêque, » qui, n'ayant quitté Liège
que pour négocier la paix, étaient retenus contre toute
justice ; >» ils demandèrent aussi que Humbercourt, obéis-
sant à son serment, se constituât prisonnier à l'époque et
au lieu qui avaient été fixés (i). Les défenseurs du camp
sortirent à la hâte pour combattre les arrivants ; mais
tous étaient loin d'avoir la même ardeur, car la discorde
régnait entre les Bourguignons et les Liégeois partisans
de l'évêque. Les premiers ayant, dans l'obscurité, jeté à
quelques-uns de ceux-ci le cri : Qui vive ? les Liégeois
se contentèrent de répondre : Bom, boni, boni (2) / ce qui
fit croire aux Bourguignons qu'ils étaient d'accord avec
leurs compatriotes ; aussi leur demandèrent-ils de se
retirer, ce que les Liégeois eussent fait volontiers si leur
troupe avait été plus nombreuse. Cependant , Berger
réussit à apaiser ce conflit et à les mener ensemble au
combat. Les Liégeois, s'étant aperçu que l'armée était
concentrée, se retirèrent, à la grande satisfaction d'Onu-
frius qui, dans cette position fausse et dangereuse, n'était
pas sans appréhension.
(1) * « Sic liber factus legatus rellulil illis :
.lam luce hesterna, cum prima crepuscula noctis,
Exivisse hominum Legiorum raillia dena,
Alque Hoyum peliisse adverso flumine Mosa?
Fa ma fuit, eic. «
(Ange de Viterbe, col. 1463).
(î) * « Interea legatus fuerat qui plurimus exul
Junclus Burgundis, partes ducis alque seculus,
Dum Burgunda phalanx poscit : Quis vivat ? ineple
Bourbon respondit : visus sic prodilor esse est,
Alque urbi Legiae et palrise prabere favorem. »
(Ange de Viterbe, col 1464).
— 96 —
Quelque temps après, Humbercourt et Louis de Bourbon
revinrent du camp du duc avec une réponse à la lettre
d'Onufrius : Charles « désapprouvait la conduite d'Arguel
qui avait agi contre sa volonté ; rien de tout cela ne serait
arrivé si le légat, suivant ses conseils, s'était éloigné de
l'armée pour se retirer en Allemagne; il devait se considérer
comme libre et pouvait se rendre où il voulait, car le
maréchal avait reçu Tordre de lui restituer ses gens, ses
chevaux et ses bagages (i) ; il lui était impossible de lui
accorder une entrevue , car son temps et ses pensées
étaient entièrement absorbés par les préparatifs du siège
de Liège, dont il comptait se rendre maître dans six ou
huit jours ; enfin, il lui conseillait de rester à Foux jus-
qu'au retour de sa suite, envoyée par Arguel en Bourgogne."
L'armée bourguignonne reprit son mouvement en avant
dans le même ordre que la première fois. Les Liégeois
s'étaient mis en mesure pour recevoir le choc et Onufrius
était loin d'être rassuré sur son sort, même dans le cas
où il suivrait l'armée. Malgré le conseil qu'on lui avait
donné d'attendre le retour de ses domestiques, ou de se
rendre à Saint-Trond pour y avoir une entrevue avec le
duc, il chercha à se retirer dans un endroit sûr. Comme
on lui faisait observer qu'on ne pouvait se priver de soldats
pour lui former une escorte, il répliqua " que, n'étant plus
prisonnier, il n'avait besoin pour gardes que de deux
hérauts, et que ses gens sauraient bien le rejoindre plus
tard. On lui donna en conséquence deux hérauts revêtus,
(0 ' « Ubi sunt ad caslra reversi,
Exponunt doluisse dncem quod ceperat Arges
Legatum, atque ipsi, si qua olim ablata fuerunt
Reslitui jussisseaiunt. »
(Ange de Viterbe, col. U63).
— 97 —
l'un de la livrée du roi, l'autre de celle du duc, et portant en
main des bâtons blancs ; ce fut sous leur conduite qu'il
gagna Maestricht. Alors seulement s'évanouit toute crainte
des Bourguignons qui appréhendaient de le voir rentrer à
Liège, où, par dépit, il aurait pu exciter davantage encore
le peuple à la vengeance (1). Par suite de méfiance ou
de peur exagérée, c'est avec peine qu'on lui ouvrit, ainsi
qu'à ses hérauts, les portes de Maestricht, où le bruit de
sa mort était répandu depuis trois jours. Il était exténué ;
la pluie, la neige, le froid, la faim l'avaient fait cruellement
souffrir. Mais les chanoines de Saint-Servais l'accueillirent
avec la plus grande bienveillance et lui fournirent des vête-
ments et de la nourriture (2).
Sur ces entrefaites, arriva à Maestricht la nouvelle que
les Liégeois avaient remporté une grande victoire, et la
terreur se répandit aussitôt dans la ville (3).
Immédiatement après le départ d'Onufrius, l'armée bour-
guignonne fut divisée en plusieurs corps de bataille qui
devaient respectivement attaquer le côté de la ville qu'ils
avaient en face d'eux (4). L'évêque, Humbercourt, de
(1) * >< Mirantur plures nimium quo tempore pergat,
Et Tungrim inulti credunt concedere, raulti
Clam Legias portas subiturutn nocte putabanl,
Scilicet armaret Legiorum peclora bello,
Rursus et ulcisci cuperet quicumquepararunt
Insidias, ipsum et captum voluere teneri. »
(Ange de Viterbe, col. 1465).
(2) ' « Ast is Trajeclum per multa pericula venil ;
Quatuor et famuli, reliquosjam detinet Arges
Captivos, dominum cum hyraldis forte sequuntur. Etc. »
(Ange de Viterbe, col. 1465-4466).
(s) * Ce bruit, malheureusement, était faux.
(4) * « Feria quarla (26 octobre) venit pars exercitus supra montem
S. Walburgis, et stetit ibi quasi per duas horas, expectando alios nescientes
13
— 98 —
Berger et quelques seigneurs allemands qui servaient dans
l'armée du duc, se trouvaient en aval de la Meuse, près
de la porte Saint-Léonard. D'après les ordres de Charles,
c'était Louis de Bourbon qui, le premier, devait livrer un
assaut aux remparts ; il voulait, par là, faire croire que
cette guerre était juste, que les Liégeois s'étaient révoltés
contre leur seigneur, et qu'il n'agissait que de concert
avec lui. L'évêque souscrivit à cet arrangement qui, plus
tard, lui valut de la part du légat, de légitimes reproches :
« Les Liégeois, lui dit-il alors, l'avaient laissé partir pour
négocier la paix et non pour changer sa crosse en une épée
tirée contre son propre peuple. « Le faible évêque donna
pour toute excuse qu'il n'avait pu faire autrement. Il est
certain que Charles, afin d'éviter des difficultés avec la
cour de Rome, chercha, de toute manière, à donner à la
guerre contre Liège une apparence de légalité. C'est ainsi
que pour forcer Louis XI à prendre part à cette expédition,
il avait invoqué la parenté du monarque avec Louis de
Bourbon, en lui disant que la cause de l'un devait être
défendue par l'autre. Le roi se servit lui-même de ce
prétexte hypocrite pour répondre à son fidèle général
Dammartin qui, considérant l'alliance de Louis XI avec le
duc comme imposée de force et son maître comme prison-
nier, lui offrait de le délivrer, par les armes, des mains des
Bourguignons (1).
Pendant quelques heures, les Liégeois, retranchés der-
quo diverlerent, quia major pars volebat descendere ad S. Margaretam et ad
S. Lauremium, limens pertransire civilatem, ne Leodienses prœcluderent viam.
Dorainus vero de Humbercourt, volens servareS. Laurentium, suasit ire versus
S. Leonardum, sciens ducem cum rege in crastino advenlurum. » (Adrien,
col. 1338-1339).
(i) Philippe de Communes, I. XI, pp. 486 et suiv., cl 490,
— 99 —
rière les murs à moitié détruits de leur ville, et qu'ils
n'avaient pas encore eu le temps de réparer, se défendirent
vaillamment.
Vers trois heures, ils firent une sortie. Près de la porte
Saint-Léonard, à gauche vers le Sud, coule la Meuse ; mais
à droite, vers le Nord, s'élève une montagne escarpée,
dont la partie surplombant la ville était garnie d'une
muraille qui empêchait celle-ci d'être dominée par l'ennemi.
Cette fortification, suivant la pente de la montagne,
descendait vers la porte de Saint-Léonard où elle allait
rejoindre la Meuse. La route de Liège au village d'Astal (1),
situé à quatre mille pas de là, était resserrée entre le fleuve
et les rochers, et se trouvait en quelques endroits, si
étroite que deux voitures n'auraient pu que difficilement
y passer de front. Elle était bordée d'une foule de petites
maisons, dont la plupart étaient déjà occupées par les
Bourguignons. Pendant la nuit, les Liégeois envahirent
ces demeures en criant : Vive Liège et la verdure (2) /
car depuis qu'ils avaient constaté que Louis XI était venu
en ennemi et non en négociateur de la paix, ils avaient
supprimé son nom dans leur cri de guerre. Tout d'abord
les Bourguignons, surpris, furent mis en déroute (3) ; mais
(«) * Herslal, aux portes de Liège.
(î) C'est-à-dire les compagnons de la Verte tente, proscrits Liégeois qui
avaient cherché un refuge dans les forêts des Ardennes et étaient rentrés
dans la Cité.
(5) * « Illo vespere factus est gravis comflictus ad portam S. Leonardi, et
infra unam horam obtinuerunt Leodienses duo vexilla de ipsis, duravitque
conflictus quasi per très horas. Circa quartam horam de mane exiit Johannes
de Ville per portam de Vivengnis, cum illis de Rivagio et de Franchimont, et
invasit exercitum, et tanta csede percussit, quod ultra duo millia sagitlarioruni
acceperunt fugam... Dominus de Humbercourt traclus inpede, et mulli nobiles
vulnerati, quia tenebrœ erant, et ignorabant extranei a quibus se custodere
debebant. » (Adrien, col. 1339).
— 100 —
les chefs ayant réussi à réunir leurs troupes, il s'engagea
un combat opiniâtre qui dura jusqu'au jour. L'artillerie
put alors balayer les rues du faubourg, et les Liégeois,
repoussés, furent obligés de fermer leurs portes (1) ; deux
mille morts et autant de blessés jonchaient le lieu du
combat. Parmi ceux qui avaient succombé dans la lutte
ou s'étaient noyés dans le fleuve, figuraient quinze cents
soldats bourguignons ; mais pour que cette perte ne jetât
pas l'effroi dans l'armée, leurs cadavres furent précipités
dans la Meuse avant que le soleil n'éclairât le champ de
bataille ; au contraire, les corps des Liégeois restèrent
couchés tout le long de la route, où ils furent écrasés
sous les sabots des chevaux et sous les roues des voitures.
Parmi les Liégeois mortellement blessés se trouvait Jean
de Wilde ; épuisé par la perte de son sang, il se cacha sous
un tas de cadavres amoncelés près de la porte et feignit
d'être mort. Lorsque le combat fut fini, il se traîna sur les
pieds et les mains jusque dans la ville, où il mourut le
lendemain. Ses concitoyens lui firent des obsèques dignes
de lui (2). Arguel, Berger et Humbercourt avaient aussi
reçu des blessures ; les deux premiers furent transportés
à Maestricht, mais Humbercourt resta dans le camp,
auprès de l'évêque.
(i) Philippe de Commines lui-même, t. XI, p. 494, attribue à Thibaut de
Neufchâtel l'infériorité des Bourguignons dans ce combat. Dans leur impa-
tience du pillage, ils n'avaient pas voulu attendre l'arrivée du duc et du roi ;
et c'est ainsi que leurs troupes en désordre furent surprises par les Liégeois,
auxquels il était facile de sortir de leurs murs à moitié détruits. — * « Illi de
Leodio incenderunt unam domum, et sic adversarii se defendere viso lumine
cœperunt,et dominum Johannem de Ville cum suis retrocedere compulerunt.
Qui invenit portam clausam et ascendit per scalam... etc. » (Adrien, col. 1339).
(*) * Voy. dans le Bull, de l'Inst. archéol. liég., t. Xllf, p. 20, une
longue note de M. de Chestret sur ce point.
— 101 —
Entretemps, Onufrius était rentré en possession de la
presque totalité de ses bagages et tous ses gens étaient
venus le rejoindre à Maestricht.
Cependant Charles le Téméraire n'était pas encore arrivé
avec son armée et son royal prisonnier. La perte que ses
troupes venaient d'essuyer ne laissait pas de l'inquiéter et
il cherchait à la cacher à Louis XI qui, de son côté, tâchait
de faire bonne contenance. Il est vrai que les murailles de
Liège étaient à moitié ruinées, qu'elles n'étaient défendues
par aucune pièce d'artillerie (1), et que les fossés qui
auraient dû entourer la ville n'avaient pu être creusés
partout à cause de la nature rocailleuse du sol. Mais, ainsi
que le fait remarquer Philippe de Commines, ces rochers
mêmes, les nombreux accidents du terrain, la longue et
étroite vallée dans laquelle s'allonge la ville : toutes ces
circonstances jointes à la saison avancée, rendaient extrê-
mement périlleuse l'entreprise d'un siège en règle. On peut
donc admettre comme très plausible cette assertion d'Onu-
frius que, pendant une suspension d'armes de deux jours,
on travailla encore à la paix par l'intermédiaire de Louis
de Bourbon. Charles lui-même en avait peut-être dicté les
conditions : " le duc entrerait librement dans la Cité ;
l'évèque veillerait à ce que la ville et les habitants
innocents de toute participation dans la guerre, fussent
épargnés ; les coupables seuls seraient abandonnés à la
(1) On peut, à bon droit, s'étonner de ce que les Liégeois fussent si peu pré-
parés pour cette dernière guerre. Ils ne manquaient ni de fer que leur procu-
raient les Ardennes, ni d'armuriers pour le forger, ni d'hommes pour porter
les armes. Et cependant les Bourguignons trouvèrent les murailles en ruines
et constatèrent l'absence de toute artillerie. L'espoir qu'ils nourrissaient de
conclure la paix, la confiance qu'ils avaient dans les négociations d'Onufrius
et la persuasion où ils étaient que le roi de France viendrait à leur secours,
peuvent contribuer à expliquer cette circonstance.
— 102 —
merci du vainqueur. » Mais cette dernière clause fit
repousser toute capitulation ; les coupables, en effet,
n'étaient-ce pas précisément tous les hommes en état de
porter les armes et ces compagnons de la Verte tente
qui, le glaive en main, faisaient l'opinion publique ?
Dans cette extrémité, les Liégeois conçurent une entre-
prise aussi audacieuse que désespérée : ils formèrent le
projet de tuer ou d'enlever, par surprise, Charles et Louis,
au milieu même de leur camp qui, d'après leurs informa-
tions, était établi dans le village de Noubruer (1), à quinze
cents pas de Liège (2). Lorsqu'on fut assuré que les
Bourguignons dormaient, une troupe de mille hommes à
pied, au nombre desquels se trouvaient six à sept cents
campagnards du pays montagneux de Franchimont. con-
sidérés comme l'élite des milices de la ville, se mit en
marche. Comme ils devaient suivre un défilé, on envoya
en avant, pour épier l'ennemi, dix hommes parlant le
dialecte bourguignon, qui furent conduits par des soldats
de la garde même du roi et du duc, jusqu'au quartier des
princes. Là, ils se mirent à causer avec des vivandières
assises autour d'un feu, tandis que tout le camp était
plongé dans le sommeil, et firent croire qu'ils venaient
d'être relevés de faction. Mais deux d'entre eux s'étant
éloignés pour donner à leurs compagnons le signal convenu,
les femmes se doutèrent d'une trahison et se communi-
(1) * Cela ne peut être que St0 Walburge.
(2) * « Feria quinta (27 octobre), circa priraam horam, venit dominus dux
cum rege Francise et magno exercitu circa S. Walburgem ; tune Leodienses
incenderunt vicum S. Margarelse. « (Adrien, col. 1339 ). « Igitur admoto ad
urbem exercilu bipartito copias dividit, ac colle occupato qui Valburgensi
porlsc proximus erat, suam et régis stationem eodem in loco constituit. Ad
alteram autem ac longe diversam civitatis partem, Philippum Sabaudiensem
cum reliquis mittit. » (Piccolomini, p. 380).
— 103 —
quèrent leurs soupçons à voix basse. Les Liégeois, qui s'en
aperçurent, se précipitèrent sur elles pour les empêcher de
répandre l'alarme; mais l'une d'elles parvint à se sauver et,
se jetant dans un fossé plein d'eau, se mit à crier : « Aux
armes ! Les Liégeois sont là ! » A ces cris, la garde du
roi et du duc, forte de quinze cents hommes, s'éveille et
arrête les Liégeois qui déjà couraient en avant et étaient
sur le point d'enfoncer les portes du logis des deux princes;
ceux-ci se sauvèrent à la hâte par une issue derrière la
maison. Après avoir tué douze hommes et blessé deux cents
autres, les Liégeois durent opérer leur retraite (1).
Charles le Téméraire, effrayé du danger qu'il avait couru,
fit le vœu d'accomplir à pied le pèlerinage de la Sainte
Vierge de Boulogne, ou de parcourir une distance de
cinquante lieues.
Le 30 octobre, la paix fut de nouveau offerte aux
Liégeois, aux mêmes conditions que précédemment, sauf
que les fauteurs des troubles en étaient exclus ; mais
ces propositions ne paraissent avoir été faites que pour
(i) Philippe de Commines raconte ce fait d'armes avec des détails quelque
peu différents. — * C'est dans la nuit du 29 au 30 octobre que cette entreprise
eut lieu. Les Liégeois étaient conduits par Gosuin de Slrailhe et Vincent de
Buren. Cfr. les Annales de VAcad. d'archéol. de Belg., I. c, pp. 66o à 668.
« Illo sero (29 octobre) exivit Gocs de Slrailhe per valles monlium, eu m CCC
sociis, et pervenit a rétro usque ad tentorium ducis, et in ostio domus inter-
fecerunt servitorcm ducis, et incenderunt tentorium ducis etc. » (Adrien, col.
1341). * Ecce egressi ex Leodio per porlam S. Margarelse non minus trecenti
viri... » (Jean de Looz, dans de Ram, p. 60). Cf. Piccolomini, ibid., p. 380.
La Gazelle de Liège du 23-24 mars 1878 contient un article tendant à prou-
ver, et avec raison, que ce ne furent pas uniquement des Franchimontois, mais
aussi et surtout des Liégeois qui tentèrent cet audacieux et héroïque coup de
main. Bouille, t. Il, p. 339, nous apprend qu'en 1556 les Franchimontois
reçurent le droit de bourgeoisie en récompense de la promptitude avec laquelle,
de temps immémorial, ils élaient venus garder la Cité.
— 104 —
endormir leur vigilance, car, dans ce moment même, on
discutait, dans le camp bourguignon, le projet d'un assaut
général. Louis XI le déconseilla et fit naître par cet avis
des soupçons dans l'esprit de Charles (1). Ce fut Humber-
court qui proposa l'attaque, accomplissant ainsi (2) l'enga-
gement d'honneur qu'il avait pris. Il savait que les Liégeois
veillaient la nuit et dormaient le jour De plus, c'était un
dimanche, et les bourgeois, affaiblis par de fréquentes
sorties, épuisés par les fatigues des huit derniers jours,
étaient prosternés devant les autels ou étaient à table (3).
Entre 9 et 10 heures du matin, un boulet tomba tout à
coup dans la Cité. C'était le signal. Au même instant, les
Bourguignons coururent à l'assaut de divers côtés à la
fois. Seule, une petite troupe de Liégeois opposa quelque
résistance à la porte Saint-Léonard ; mais les ennemis,
beaucoup plus nombreux, la refoulèrent clans l'intérieur
de la ville.
Les chefs bourguignons, qui étaient : le bâtard de Bour-
gogne, fils naturel de Philippe le Bon, le seigneur de
Ravenstein , frère du duc de Clèves et cousin du duc
Charles , Thibaut, maréchal de Bourgogne et premier
lieutenant du duc dans cette expédition , Philippe de
Savoie , Humbercourt et le porte-drapeau du seigneur
d'Arguel, en l'absence de ce capitaine lui-même, entrèrent
tous dans la Cité, égorgèrent les femmes et les enfants, et
dispersèrent les habitants. La plupart se réfugièrent dans
les églises et furent massacrés au pied des autels ; beau-
coup d'autres se cachèrent dans leurs maisons. Dans cette
(1) Philippe de Commines, t. XI, p. 506.
(â) Dérisoirement ?
(r,) Au moins les Bourguignons trouvèrent-ils les tables servies lorsqu'ils
entrèrent dans la ville. — * Cf. Adrien, col. 1341 et suiv.
— 105 —
horrible boucherie, les paisibles bourgeois tombaient sans
défense sous le glaive des vainqueurs. En effet, Vincent
de Buren, les frères Stralen, une bonne partie des nobles
et des bourgeois, huit cents cavaliers et dix mille fantassins,
aussitôt qu'ils surent que les Bourguignons étaient maîtres
de la ville, passèrent la Meuse sur le pont et s'enfuirent
dans les Ardennes ; quelques-uns allèrent jusqu'à Maizières.
La ville fut ensuite livrée au pillage, quartier par quartier,
puis on y mit le feu. On vit le roi Louis XI, portant à son
chapeau la croix de saint André que les Bourguignons
arboraient en temps de guerre, à cheval au milieu du
Marché, l'épée à la main et le bras étendu, s'écrier à
haute voix...
Ici se termine la relation cl'Onufrius — car les dernières
feuilles de son manuscrit manquent, — et force nous est de
recourir aux sources déjà souvent citées pour achever l'his-
toire de la destruction de Liège.
Louis XI, dit Olivier de la Marche, s'écria : Vive Bour-
gogne ! et donna par là le signal du pillage (1). Cependant,
Charles le Téméraire se dirigeait vers la cathédrale de
Saint-Lambert, non pour sauver les malheureuses victimes
qui s'y étaient réfugiées, mais bien les reliques. Toutes les
autres églises furent dépouillées, et inondées par le sang
des fugitifs qu'on y massacrait. Le pape excommunia dans
la suite ceux qui ne restituèrent pas aux églises les objets
qu'on en avait enlevés (2).
(t) Collection de Mémoires, t. X, p. 289.
(2) * Par ses lettres datées de Bruxelles, le 26 décembre 1468, le duc
Charles ordonna à lous ses officiers de faire restituer aux églises de Liège les
objets qui en avaient été enlevés par ses soldats. 11 publia à nouveau, en
l'amplifiant, cet ordre, le 22 mai 1467 (Charte de la collégiale S'-Martin, aux
14
— 106 —
La soldatesque bourguignonne se livra sans frein au viol,
au pillage, à l'incendie : elle n'épargna pas même les prêtres
qui tenaient dans leurs mains le saint Sacrement des
autels. Enfin, de toute cette population de Liège, si nom-
breuse, il ne resta en vie que quelques femmes, des enfants,
des prêtres, des religieuses, des vieillards. Charles fit pré-
cipiter dans la Meuse les habitants arrachés de leurs
maisons et qui n'avaient pas de quoi payer leur rançon.
Mais c'est à ceux qui avaient décrété la mort de Jean le
Charpentier qu'il infligea les plus cruels supplices (1).
Lorsque le pillage fut achevé, on fit venir quatre mille
habitants du Limbourg qui reçurent l'ordre de jeter bas les
murailles de la Cité et de combler les fossés avec les
décombres, puis de mettre le feu à la ville, en ayant
soin, toutefois, d'épargner les églises et environ trois cents
maisons habitées par des chanoines et des prêtres. Cet ordre
fut exécuté à la lettre. Plus tard, beaucoup de fugitifs
revinrent se cacher dans ces demeures, et une nouvelle
ville ne tarda pas à sortir des ruines de l'antique Cité
Pendant ce temps, Charles le Téméraire donnait des
fêtes en l'honneur de son royal prisonnier, qui, après un
séjour de cinq ou six jours au milieu des débris fumants de
cette ville de Liège dont il avait lui-même fait jaillir la
première étincelle, il l'autorisa à rentrer dans ses états. Il
s'en alla la honte au front, pour devenir un objet de risée
même de la part de ses propres sujets (21.
archives de l'Etat à Liège, n° 272). C'est en vertu de cette ordonnance que fui
sans doute dressée la Liste de ces objets, que j'ai publiée en 1-468 dans les
Ditll. de Vlnst. archéol. liégeois.
(1) Philippe de Commines, l. c., t. XI, p. 509. — * Cfr. les Annales île
VAe.ad. iVarchéol. de Belgique, I. c, pp. G69 et suiv.
(2) ' Louis XI quilla Liège le 2 novembre, Charles, le 9. Hcrben us résume les
sentiments de tous les chroniqueurs sur le compte Je Louis XI, en disant :
— 107 —
Charles, lui, reprit sa campagne de vengeances. Par les
froids rigoureux du mois de novembre, il s'en alla dans le
pays montagneux de Franchimont pour y continuer les
scènes de carnage inaugurées à Liège; tous les campagnards
qui ne réussirent pas à se sauver dans les bois furent
massacrés, toutes les maisons furent pillées puis brûlées.
Il détruisit les forges, qui constituaient le plus grand
élément de la prospérité des Franchimontois. Ces braves
gens avaient prêté à Liège l'appui de leurs bras, il fallait
qu'ils payassent par la mort et la ruine leur généreux
dévouement. Ainsi l'incendie et le pillage apaisaient la soif
de vengeance de Charles, tandis que ses cruels soldats
recueillaient un riche butin (i).
Tel fut l'épouvantable dénouement de ce sanglant épi-
sode. Toutefois, l'histoire doit être juste envers Charles :
si elle doit porter le jugement le plus sévère sur la cruauté
qu'il déploya dans cette expédition, elle n'oubliera pas que
les Liégeois n'avaient jamais respecté aucune paix, tenu
aucune promesse ; que pendant quatre années consécutives
il avait du se mettre en campagne pour les faire rentrer
dans le devoir ; qu'il lui avait fallu souffrir leurs railleries
et supporter tout espèce de dommages ; enfin, qu'il ne
pouvait espérer de vivre en paix avec eux , même en
concluant des traités, aussi longtemps, du moins, que le
méprisable Louis de Bourbon aurait occupé le siège épis-
copal de Liège.
« Quod cunctis mortalibus indignissimum visum est, rex adversus tam fidèles
clientes... hostis accessit. » Dans de Ram, p. 360. Cfr. Ange de Viterbe,
col. U50.
(i) Olivier de la Marche et Phil. de Commines, l. c. ; Jean de Troyes,
Coll. de Mémoires, t. XIU,p. 387 et suiv.
TABLE DES MATIÈRES
Pages .
Introduction i
Examen des sources vu
Renseignements que fournissent les chroniqueurs sur Onu-
frius
Avant-propos 1
Comment M. Estrup a trouvé et utilisé les Commentaires
d'Onufrius 1
Son opinion sur le légat 3
La cour de Rome répugne à accorder l'investiture de l'évê-
ché de Liège à Louis de Bourbon parce qu'elle craint
la sécularisation que semblait poursuivre le duc de
Bourgogne 4
Description de la ville de Liège 4
Le pays de Liège convoité par les ducs de Bourgogne ... 6
Les Liégeois craignent et haïssent les Bourguignons ... 6
Relations de Jean de Heinsberg avec les ducs de Bourgogne, fi
Philippe le Bon promet au pape des secours contre les Turcs
et obtient la confirmation de Louis de Bourbon ... 7
Caractère de Louis de Bourbon . 7
Il entre dans les vues du duc de Bourgogne . 7
Griefs des Liégeois contre Louis 7
L'archidiacre Robert gagné par Louis à ses projets de sécu-
larisation 8
Force des Liégeois puisée dans leur système communal . . 8
Ils comptent sur l'appui des rois de France 8
— 110 —
Pages.
Leur turbulence et leur orgueil 9
Attitude insouciante de l'empereur 9
Hostilité entre les Liégeois et leur évêque 9
Louis de Bourbon jette l'interdit sur la Cité et va s'établir à
Huy 9
Il est remplacé par Marc de Bade 9
Le pape Pie II envoie Pierre Ferrici à Liège 10
Les Liégeois s'emparent de Rbeidt 10
Paul II rend une sentence favorable à l'évêque 11
Analyse de la Pauline (23 décembre 1465) 11
Politique de Louis XI ; sa guerre avec le duc de Bourgogne. 12
Il excite les Liégeois contre les Bourguignons 13
Les Liégeois battus à Montenacken (20 octobre 1465). ... 13
Les comtes de Horne et de Meurs obtiennent de Philippe le
Bon la paix de Saint-Trond (22 décembre 1465) ... 13
Analyse de cette paix qui met en quelque sorte Liège à la dis-
position du duc de Bourgogne 14
Dinant exclue de la paix 15
Paix de Conflans entre le roi de France et le duc de Bour-
gogne (5 octobre 1465) 16
Destruction de Dinant 16
Désaccord entre Louis de Bourbon et les Liégeois au sujet de
la paix 17
Démarches inutiles du duc de Bourgogne auprès de l'évêque
pour amener un accord avec les Liégeois 18
Philippe le Bon demande au pape de ratifier la paix de
Saint-Trond 18
Mort de Philippe. Charles le Téméraire, duc de Bourgogne. 19
Le pape refuse de ratifier la paix de Saint-Trond, préjudi-
ciable à la juridiction de l'Eglise . 19
Il envoie Onufrius à Liège 19
Les Liégeois assiègent Huy pour ramener l'évêque à Liège . 20
Louis de Bourbon se réfugie à la cour du duc de Bourgogne . 20
Charles déclare la guerre aux Liégeois et s'empare de Saint-
Trond 20
Protestation de Louis XI qui déclare les Liégeois ses alliés . 20
Charles envahit le pays de Liège 21
Les Liégeois sont vaincus à Brusthem (28 octobre 1467). . . 22
Charles assiège Liège 23
— 111 —
Pages.
Division entre les Liégeois; ils remettent les clefs de la ville
à Charles 23
Raes de Heers et les bourgeois hostiles à l'évêque quittent la
Cité 23
Cruelle sentence du duc de Bourgogne (18 novembre 1467). . 24
Raes de Heers et ses partisans sont bannis 24
Vaine protestation de Louis de Bourbon et du clergé liégeois
contre les articles préjudiciables à l'Eglise 25
Exactions du duc 26
Exactions de son lieutenant Humbercourt 27
Paul II mande à Onufrius de se rendre à Liège 27
Ses pouvoirs 28
Son itinéraire 28
Sa réception à Liège 29
Il constate que la désunion n'existait pas seulement entre les
bourgeois et leur évoque, mais aussi en partie entre
celui-ci et le clergé 30
Il lève l'interdit 30
onufrius écoute les griefs des Liégeois contre le duc de Bour-
gogne 31
Il se rend à Bruges auprès de Charles 31
Il expose les griefs des Liégeois 32
Retards apportés à la réponse du duc 33
Noces de Charles avec Marguerite d'York 33
Son voyage en Hollande 34
Onufrius se rend à Bruxelles 34
Il essaie en vain de détourner Charles de faire la guerre à
Louis XI 35
Charles demande la ratification de la paix de Saint-Trond . 35
Louis de Bourbon appelé à Bruxelles ; conférences .... 35
Colère de Charles contre le légat et l'évêque 36
Onufrius rentre à Liège - ... 37
Ses conférences avec le clergé ; attitude de celui-ci .... 37
Adroite diplomatie d'Onufrius 38
Raes de Heers et ses partisans s'emparent de la Cité (9 sep-
tembre 1468) 39
Ils sont soutenus sous main par Louis XI 39
Colère de Charles contre les Liégeois et Louis XI 39
Position critique d'Onufrius à Liège ; son courage .... 40
- 112 —
Pages.
Il engage les insurgés à rentrer dans le devoir .41
Pourparlers à S'-Jacques entre Amel de Velroux et Onufrius. 42
Le légat consent à aller trouver Louis de Bourbon à Maes-
tricht, avec des députés Liégeois, pour implorer leur
pardon 42
Entreprise hostile des seigneurs d'Argenteau 43
Conférences entre les proscrits et l'évêque; médiation d'Onu-
frius 43
Conditions posées par Louis à son pardon 44
Dévouement d'Onufrius pour les Liégeois 44
Les proscrits, retournant à Liège, sont faits prisonniers par
les seigneurs d'Argenteau . 45
Le légat accusé de trahison par les Liégeois ; son zèle pour
la paix 45
Onufrius commence à se défier de Louis de Bourbon ... 45
Position critique du légat 46
Il engage les Liégeois à accepter les conditions de l'évêque . 47
Assemblée populaire sur le Marché 47
Déclaration des proscrits 48
Onufrius porte cette déclaration à l'évêque 49
Ses conseils pacifiques. Nouvelles propositions de Louis . . 50
Condescendance des proscrits 50
Obstination et duplicité de Louis 51
Indignation et menaces de rupture d'Onufrius 51
Les Liégeois acceptent les propositions de Louis 51
Un arrangement est convenu et doit se conclure à Vivegnis . 52
Louis, sur l'injonction du duc de Bourgogne, élude sa pro-
messe 52
Onufrius va le trouver à Milieu et l'accable de reproches (28
septembre 1468) 53
Louis cède à ses menaces et fixe son retour à Liège ; allé-
gresse des Liégeois 54
Nouvelle tergiversation de Louis 54
Conduite adroite du légat pour calmer les Liégeois .... 55
Louis n'agissait que d'après les ordres de Charles le Témé-
raire 55
Humbercourt envahit le territoire liégeois 56
Les Liégeois accusent de nouveau Onufrius de trahison . . 56
Ils reconnaissent son dévouement et le prient d'aller trouver
l'évêque à Tongres 57
— 113 —
Pages.
Rencontre d'Onufrius et de Louis ; celui-ci lui montre une
lettre de Charles 57
Le légat lui reproche sa faiblesse 58
Louis refuse d'agir contrairement aux ordres du duc ... 58
Humbercourt arrive à Tongres ; il engage Onufrius à se
joindre à lui contre les Liégeois 59
Refus énergique du légat 60
Nouvelles de Péronne; bruit de paix entre Louis XI et le duc
Charles .60
Jean de Bergues intervient en faveur des Liégeois .... 61
Les Liégeois surprennent Tongres pendant la nuit et s'em-
parent de l'évêque (8-9 octobre 1468) 62
Noble conduite d'Onufrius 63
Déclaration de Jean de Wilde 64
Démonstrations pacifiques des Liégeois envers leur évèque . 65
Situation de Humbercourt ; conduite généreuse de Jean de
Wilde à son égard 65
Ces nouvelles transmises à Péronne ; colère de Charles . . 66
Louis de Bourbon ramené à Liège 67
Conduite charitable d'Onufrius envers l'archidiacre Robert . 67
Allégresse des Liégeois au retour de Louis 68
Les rapports du légat saisis et remis au duc Charles ... 68
Message secret de Louis XI aux Liégeois 68
Soumission des Liégeois à leur évêque 69
Assassinat de l'archidiacre Robert 69
Indignation et menaces d'Onufrius 70
Thibaut de Neufchàtel envahit le territoire liégeois .... 71
Humbercourt et Jean de Bergues travaillent à la paix ... 71
Onufrius leur envoie des députés 72
Le légat et Humbercourt engagent les Liégeois à faire leur
soumission au duc 72
Déclaration désespérée des bannis 73
Le bourguignon Pierre de Hagenbach envoyé à Liège pour
négocier 74
Son attitude conciliatrice 74
Propositions pacifiques des Liégeois 75
Le maréchal de Bourgogne repousse toute proposition d'ac-
commodement 75
Les Liégeois décident Onufrius à se rendre auprès de Charles
le Téméraire 75
- 114 -
Pages.
Embuscade tendue au légat 75
Projet de l'évêque de s'enfuir de Liège 76
Reproches que lui adresse le légat 76
Le duc Charles envoie son secrétaire à Onufrius 77
Crisgnée livré aux flammes par les Bourguignons .... 77
Retour à Liège d'Altfast, chapelain d'Onufrius, avec un mes-
sage 77
Sentiments de Charles à l'égard du légat. Calomnies répan-
dues sur le compte de celui-ci 78
Conduite prudente d'Onufrius, sages conseils qu'il donne aux
Liégeois. 79
Ce qu'aurait voulu Louis de Bourbon 79
Les Liégeois méprisent les conseils d'Onufrius et d'Altfast . 80
Avis donné par Altfast au légat de la part de Charles, d'aban-
donner les Liégeois 80
Les Liégeois attaquent les Bourguignons, à Lantin (22 octobre) 81
Ils sont battus. Désarroi dans la Cité. Embarras de Bourbon
et d'Onufrius 82
On décide qu'une ambassade composée de Louis, d'Onufrius,
d'Amel de Velroux, de Jean de Wilde et d'autres se
rendra auprès de Charles 83
Départ de l'ambassade (23 octobre) 84
Jean de Wilde retourne à Liège 85
Incendie de Xhendremael 85
Bourbon et Onufrius se dirigent sur Maestricht 85
Ils arrivent au camp bourguignon, à Othée 86
Projet bien arrêté de Charles de détruire Liège 86
Le seigneur d'Arguel déclare le légat prisonnier 87
On le dépouille. Ses protestations 88
L'évêque, le légat et les députés appelés à une entrevue avec
le maréchal de Bourgogne 88
Vues intéressées d'Arguel sur le légat 89,91
Projet bien arrêté des Bourguignons de prendre Liège. . . 89
Questions du maréchal. 89
Réponses dignes et sages d'Amel de Velroux et du légat . 90,91
Efforts de Humbercourt pour amener la paix 91,94
Les Liégeois se soumettent. Conditions du maréchal .... 91
Le légat et l'évêque se retirent à Fooz, dans le camp de Hum-
bercourt 92
— 115 —
Pages.
Les Bourguignons s'avancent vers Liège ; leurs forces ... 92
Charles mande l'évêque et Humbercourt à Momalle. ... 93
Réponse des Liégeois aux propositions du maréchal. ... 93
Humbercourt infidèle à sa promesse 94
Lettre d'Onufrius à Charles pour se plaindre d'Arguel ... 94
Sortie nocturne des Liégeois pour s'emparer de l'évêque à
Fooz 95
Ils sont repoussés 95
Réponse de Charles à Onufrius; il lui fait rendre ses bagages. 96,101
Onufrius, accompagné de deux hérauts, se rend à Maestricht. 96
Ce que les Bourguignons craignaient de sa part 97
L'armée Bourguignonne en face de Liège 98
Faiblesse de Louis de Bourbon . 98
Explication de la conduite de Charles 98
Les Bourguignons attaqués la nuit par les Liégeois à St-Léo-
nard 99
Mot d'ordre des Liégeois 99
Ils sont repoussés avec perte 100
Mort de Jean de Wilde 100
Arrivée de Charles à Ste-Walburge avec Louis XI ... . 101
Nouvelles propositions pour la paix 101
Conditions inacceptables du duc 102
Entreprise héroïque des Liégeois et des Franchimontois . . 102
Elle échoue. Vœu de Charles le Téméraire 103
Fausses ouvertures pour la paix 104
La ville de Liège prise par les Bourguignons 104
Massacres et pillage 104-105
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